La Couronne et le pouvoir du premier ministre.

AuthorLagass
PositionArticle vedette

Le 9 septembre 2015, la reine Elizabeth II est devenue la souveraine ayant le plus long règne en surpassant celui de la reine Victoria. Le gouvernement canadien a marqué l'occasion par un billet de banque, une pièce de monnaie et un timbre commémoratifs. Les monarchistes ont célébré l'atteinte de ce jalon et les politiciens ont fait des déclarations. Mais la plupart des Canadiens, quant à eux, ont probablement haussé les épaules. Des sondages indiquent en effet qu'ils sont ambivalents au sujet de la monarchie (1). Si nous devions réécrire la Constitution à partir de zéro, il y a fort à parier que le Canada n'aurait pas de souverain. L'attachement profond à l'égard de la Couronne en tant qu'institution ou symbole d'unité nationale s'est dissipé. Certes, un nombre important de Canadiens éprouvent toujours ce sentiment, mais aucun monarchiste honnête ne peut prétendre que c'est le cas de la majorité d'entre eux. La reine elle-même est admirée, Will et Kate attirent les foules et font vendre des magazines, mais la Couronne, elle, n'est pas vénérée.

Vu la tiédeur des Canadiens à l'égard de la monarchie, il serait tentant de présumer que la Couronne en ellemême est sans importance et que cette apathie envers la monarchie n'est que le reflet de la réalité de la Couronne au Canada. Mais de telles hypothèses sont erronées. En fait, la Couronne revêt une grande importance (2), et il est possible d'illustrer ce point de différentes façons. On peut souligner comment la Couronne équilibre les relations entre l'État fédéral et les provinces (3), ou encore, décrire comment les traités forgent les obligations du gouvernement à l'égard de certaines Premières Nations (4). Ce sont tous des enjeux importants. Toutefois, si l'on souhaite convaincre les Canadiens que la Couronne importe réellement, et qu'il convient de lui consacrer beaucoup plus d'attention et d'études, il vaudrait mieux se concentrer sur un enjeu qui attise les passions, du moins chez ceux qui s'intéressent à la politique : le pouvoir du premier ministre.

La domination de l'exécutif au Parlement, la suprématie exercée au Cabinet par le premier ministre et la capacité qu'a ce dernier de centraliser le contrôle du gouvernement sont enracinées dans l'autorité d'exercer les pouvoirs de la Couronne que lui confère sa charge. En effet, comme David E. Smith l'a démontré, lorsque l'on mesure l'ampleur des pouvoirs que cette charge tire de la Couronne, il est évident que la primauté du premier ministre au sein du gouvernement et le commandement de la Chambre des communes par l'exécutif ne sont pas accidentels; dans une grande mesure, ils témoignent de l'importance que garde la Couronne dans la Constitution canadienne (5).

Dans cet article, l'auteur expose dans le détail la relation entre la Couronne et le pouvoir du premier ministre sous l'angle de la convention sur la confiance et des prérogatives royales. Il explique en quoi le statut du premier ministre, à titre de premier conseiller de la reine, complique l'application de la convention sur la confiance, soit le moyen par lequel la Chambre détermine, en définitive, qui dirige le Cabinet au pouvoir. Il explique ensuite que la discrétion dont dispose le premier ministre pour exercer des prérogatives royales clés sert de fondement à la centralisation du gouvernement autour de sa charge. Enfin, plutôt que de voir la centralisation du pouvoir entre les mains du premier ministre comme une forme de >, l'auteur soutient qu'il serait plus juste de la considérer comme une forme de > qui tire ses origines de l'autorité royale.

La Couronne, le premier ministre et la convention sur la confiance

Le Canada est une démocratie parlementaire. La chambre basse du Parlement, c'est-à-dire la Chambre des communes, se compose de députés élus par la population. À titre de chambre élue, elle assume des rôles uniques. Le plus important découle de la convention constitutionnelle voulant que la plupart des membres du Cabinet (le groupe de ministres sous la direction du premier ministre qui dirigent l'exécutif) doivent provenir de la chambre basse élue. Fait tout aussi important, il incombe au Cabinet d'obtenir la confiance des Communes pour exercer le pouvoir exécutif, ou d'en jouir possiblement. La > garantit ainsi que c'est la chambre élue qui, en définitive, décide qui dirige le pays. De plus, comme ils élisent les députés qui siègent aux Communes, les Canadiens ont indirectement voix au chapitre sur la composition du Cabinet (6).

Selon cette description de la relation entre la Chambre des communes et le Cabinet, il va de soi qu'elle en est le maître. La légitimité démocratique du gouvernement relève de la confiance de la Chambre, et celle-ci décide qui dirige. Lorsqu'on parle du régime de gouvernement responsable du Canada, on peut comprendre que le Cabinet doit rendre des comptes aux Communes pour les affaires du gouvernement, et que la Chambre tient le rôle principal dans la formation du gouvernement. Pour en venir au vif du sujet, c'est certainement ainsi que l'on pourrait décrire le concept de gouvernement responsable et les relations entre les organes exécutif et législatif au Canada.

Malheureusement, s'en tenir à cette seule interprétation porte à confusion, en particulier lorsqu'on constate que le premier ministre et le Cabinet contrôlent les Communes la plupart du temps. Pour dissiper cette confusion, il faut prendre en considération les partis politiques. Compte tenu de la discipline de parti rigoureuse au Canada, un Cabinet est assuré d'obtenir la confiance des Communes si les députés de son parti forment la majorité. De plus, comme les partis politiques élisent leur chef dans le cadre de conventions, les caucus ne sont pas disposés à forcer les premiers ministres à renoncer à leurs fonctions en les destituant comme chefs de partis, comme cela s'est produit récemment en Australie. La dynamique des partis est nécessairement en partie responsable de la domination des Communes par l'exécutif (7). Toutefois, les partis à eux seuls ne sauraient expliquer cette domination.

Pour comprendre tous les facteurs l'expliquant, il faut aussi comprendre les pouvoirs qu'exerce la Couronne au sein du Parlement et à son égard. Comme le Parlement se compose de la reine, du Sénat et de la Chambre des communes, la Couronne et les deux Chambres en sont des éléments égaux et interdépendants. Or, à bien des égards, la Couronne est l'élément le plus influent du Parlement. C'est en effet elle qui conserve le pouvoir de convoquer, de proroger et de dissoudre le Parlement. De plus, pour être adopté, tout projet de loi portant...

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