Culture et droit de la famille : de l'institution a l'autonomie individuelle.

AuthorMoore, Benoit

Over the course of the twentieth century, the progression of individual autonomy and the loss of the influence of the Catholic Church in Quebec, accompanied by the religious diversity introduced by multiculturalism, has profoundly transformed family law. Old legislation favoured the traditional conception of a nuclear family, based on marriage, in the name of overriding societal interests. The author argues that a new regime of family law is now in place, the principal objective of which is to assume the protection, notably the economic protection, of members of the family unit. This family unit, a central societal and cultural institution that was traditionally conceived as being under the absolute authority of the husband, can no longer escape the influence of individual liberty. Rather, the family is now defined by the fundamental values of equality and individual autonomy.

Au Quebec, au cours du vingtieme siecle, la progression de l'autonomie individuelle et la perte d'influence de l'Eglise catholique, accompagnee de la concurrence religieuse induite par le multiculturalisme, ont profondement transforme le droit de la famille. Uancienne legislation visait a favoriser la conception unitaire de la famille, basee sur le mariage, au nom de l'interet superieur de la societe. L'auteur estime qu'il existe desormais un nouveau regime du droit de la famille, dont l'objectif principal est d'assurer la protection, notamment economique, des membres de la cellule familiale. Le corps familial, institution societale centrale, dont la conception traditionneUe et religieuse faisait reposer l'autorite absolue sur le mari, n'echappe dorenavant plus a la volonte individuelle et fonde ses grandes lignes sur les valeurs fondamentales que sont l'egalite et l'autonomie individuelle.

Introduction I. Eclatement du referent religieux : entre la'icite et confessionnalite multiple A. La secularisation de la famille B. La concurrence religieuse et la necessaire neutralite de l'Etat II. Eclatement du referent social : rascension de l'autonomie individuelle A. L'egalite : valeur fondatrice B. Le role croissant de la volonte : la privatisation de la famille Conclusion Introduction

Tout comme son modele francais, le droit de la famille quebecois a longtemps ete fonde sur une double puissance : la puissance paternelle et la puissance maritale. C'est cette conception de la famille autorite, laquelle reside dans la reunion de personnes autour d'un chef absolu (1), qui est retenue en 1866 lors de l'adoption du Code civil du Bas Canada. Le pere exerce seul, en principe, l'autorite sur les enfants (2). L'epouse, devenue incapable par le mariage, est soumise a son mari (3) ; elle lui doit obeissance et a l'obligation de vivre avec lui (4). En ce sens, la famille du Code civil du Bas Canada est traditionnelle et se rapproche de la famille francaise.

Une difference importante avec la France existe toutefois en ce qui a trait a l'influence religieuse. A l'epoque de la codification de 1866, la France reconnait depuis la Constitution de 1791 le mariage comine un simple contrat, dont la celebration est civile depuis une loi du 20 septembre 1792. Egalement, le divorce, bien qu'abroge depuis 1816, avait ete introduit par la loi de 1792 et reconduit dans le code de 1804>> (5). Les idees la'iques revolutionnaires a l'origine de ces reformes n'ont pas traverse l'ocean pour penetrer le Bas-Canada, ofl l'influence de l'Eglise est encore tres forte. La celebration du mariage y demeure l'apanage du religieux et est, avant la conquete britannique, le monopole de l'Eglise catholique. Apres la conquete, grace a l'Acte de Quebec de 1774 (6), l'Eglise catholique continue de proceder a la celebration du mariage, mais partage cette charge avec l'Eglise protestante puis, progressivement, avec d'autres religions (7).

L'importance sociale et politique de la religion se retrouve dans les negociations constitutionnelles qui ont mene a la Loi constitutionnelle de 1807. La competence sur le mariage et la question du divorce, ce dernier etant admis chez les protestants, sont des enjeux importants des discussions. Le compromis retenu consiste a reconnaRre a l'Etat federal la competence sur le mariage et le divorce, et aux provinces celle de la celebration du mariage. La decision de donner au palier federal la competence sur le mariage est fondee sur la volonte d'assurer la validite, partout au pays, d'un mariage celebre dans une province. Comme pour d'autres domaines, dont les banques et la faillite, les peres de la Constitution s'assurent de l'existence d'<> (8). Ce partage n'a toutefois pas de consequence immediate sur les regles de formation du mariage puisque le Parlement federal n'intervient pas. Les regles adoptees en 1866 dans le Code civil du Bas Canada continuent donc d'etre appliquees. Parallelement a cette competence sur les conditions de fond du mariage et afin d'ecarter toute crainte du clerge catholique, qui controle la celebration des mariages sur le territoire du Bas-Canada, une competence provinciale est ajoutee a l'article 92(12) de la loi constitutionnelle en matiere de celebration du mariage. Cette competence provinciale n'est pas une garantie constitutionnelle que l'Eglise catholique conservera ce pouvoir, puisque la competence en cette matiere n'est pas attribuee sur une base <>, mais <> (9). C'est toutefois, a court terme, une garantie factuelle puisque l'Eglise catholique conserve une grande influence sur la population francophone et le pouvoir politique provincial.

Quant au divorce, c'est le pouvoir federal qui en recoit la competence (10). Ce choix vise a satisfaire les membres des deux Eglises majoritaires. D'un cote, il est prevu que l'Eglise protestante, majoritaire au Canada anglais et minoritaire au Quebec, conserve le droit au divorce. D'un autre cote, l'Eglise catholique, majoritaire au Quebec, recoit l'assurance que ce probleme delicat sera regle par les autorites federales et non provinciales. Cette solution n'est pourtant qu'un succes partiel puisque le legislateur federal attend jusqu'en 1968 pour adopter sa premiere loi sur le divorce. Pendant pres de cent ans, le divorce n'est donc possible au Quebec que par l'adoption d'une loi federale d'interet prive et a partir de 1963, par une resolution du Senat (11).

Cette conception de la famille basee sur la tradition, sur l'autorite d'un chef de famille et sur l'influence dominante de la religion s'erode progressivement au vingtieme siecle. Particulierement a compter des annees 1960, des phenomenes aussi nombreux que connus interviennent : la diminution, voire la disparition progressive de l'autorite sociale et politique de la religion ; la liberation sexuelle ; la revendication par les femmes de l'egalite de droit ; et plus generalement, les revendications de toutes sortes fondees sur les droits et libertes de la personne. Le droit de la famille, par ces phenomenes sociaux, ce changement de valeurs et de culture, se transforme profondement autour de deux grands axes : l'eclatement du referent religieux (I) et l'eclatement du referent social par l'ascension de l'autonomie individuelle (II) (12).

  1. Eclatement du referent religieux : entre la'icite et confessionnalite multiple

    L'eclatement du referent religieux procede d'une double maniere. D'abord, la religion catholique majoritaire perd son influence et par consequent, la famille se secularise (A). Ensuite, l'immigration massive et le multiculturalisme menent a une concurrence religieuse qui interpelle l'Etat dans son devoir de neutralite (B).

    1. La secularisation de la famille

      Secularisation de l'etat civil. Les codificateurs de 1866 refusent la secularisation des actes d'etat civil a laquelle la France a procede dans sa loi du 20 septembre 1792 (13). Dans la colonie, puis dans la province de Quebec, les actes d'etat civil, qu'ils soient de naissance, de mariage ou de deces, sont confessionnels et la conservation de ceux-ci releve des paroisses (14). Les parents qui ne desirent pas faire baptiser leurs enfants peuvent toutefois les declarer aupres du secretaire-tresorier ou du greffier municipal ou d'un juge de paix (15). Certaines autres exceptions existent en matiere de deces et a compter de 1969, pour le mariage civil (16). Evidemment, ce systeme, en plus d'etre techniquement inefficace et artificiellement complexe, correspond de moins en moins a la realite sociologique ou coexistent une pluralite de croyances et une la'icite croissante. La secularisation, devenue necessaire, n'intervient toutefois qu'en 1991 dans le cadre de la reforme du Code civil, qui entre en vigueur en 1994. Les actes de l'etat civil sont desormais centralises sous la responsabilite d'un fonctionnaire civil, le directeur de l'etat civil.

      Apparition du mariage civil Le systeme qui lie necessairement le mariage a une celebration religieuse demeure en vigueur au Quebec jusqu'en 1968, annee ou le legislateur adopte la Loi concernant le mariage civil (17). Cette loi ajoute aux celebrants du mariage, lesquels etaient jusqu'alors necessairement religieux, un officier civil, le protonotaire ou un adjoint, pouvant celebrer le mariage (18). Cette creation d'une celebration civile convient aux communautes religieuses puisque celles-ci se voyaient souvent dans l'obligation morale de celebrer des unions de complaisance, les couples n'ayant pas d'autre alternative. Ce compromis est aussi un moindre mal puisque certaines personnes avaient reclame l'adoption d'un systeme similaire a celui de la France, ou le mariage civil est celebre distinctement du mariage religieux (19). Plutot que d'aller dans cette voie, soit une reelle secularisation du mariage, l'Etat maintient aux commtmautes religieuses la competence de celebrer le mariage civil et cree parallelement une celebration purement civile.

      Les faits semblent donner raison a l'Eglise puisque le mariage civil peine a s'etablir malgre l'affaiblissement de la religion dans les valeurs collectives. En 1981, il ne...

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