Les dépouillements judiciaires: une vision privilégiée.

AuthorDuggan, James R.K.

La 41e élection générale de l'histoire du Canada a eu lieu le 2 mai 2011. Dans certaines circonscriptions, la lutte entre les candidats fut âprement disputée et la victoire acquise de justesse. Pour départager définitivement les vainqueurs des vaincus, des dépouillements judiciaires furent ordonnés dans quatre circonscriptions: Montmagny--L'Islet--Kamouraska--Rivière-du-Loup, Etobicoke-Centre, Nipissing--Timiskaming et Winnipeg-Centre. Cet article examine l'origine de cette procédure et le mécanisme mis en place pour procéder à l'examen des bulletins de vote dans la circonscription de Montmagny--L'Islet--Kamouraska--Rivière-du-Loup, et enfin les décisions du juge Gilles Blanchet sur les bulletins de vote contestés.

Le dépouillement judiciaire est une opération qui consiste pour un juge à procéder au décompte des bulletins de vote pour établir les résultats du scrutin dans une circonscription électorale. Il fut introduit dans la législation électorale fédérale en 1878 (1) peu après l'avènement du vote secret (2).

Les Débats de la Chambre des communes révèlent peu de choses à ce sujet sinon que Hector Cameron, député de Victoria North, avait alors proposé que le droit de recompter les bulletins de vote soit limité aux cas où la majorité est de 50 voix ou moins; il faisait valoir qu'en Ontario, le droit au dépouillement était restreint aux cas où la majorité est inférieure à 30 voix (3).

Il n'y eut pas de suite à sa proposition et, pendant près de 125 ans, il était loisible à un juge d'ordonner la tenue d'un dépouillement judiciaire sur une requête présentée par une personne digne de foi attestant sous serment que le directeur de scrutin ou le scrutateur avait improprement compté ou écarté quelques bulletins de vote à cette élection ou avait mal additionné les votes. (4) La situation changea en 2000 lors de l'adoption de la nouvelle loi électorale (5).

Désormais, il y a un dépouillement judiciaire automatique lorsque le << [...] nombre de votes séparant le candidat qui a reçu le plus grand nombre de votes est inférieur à un millième des votes exprimés. >> (6). Lorsque cette situation se présente, le directeur du scrutin doit lui-même, dans les quatre jours suivant la validation des résultats, présenter une requête en dépouillement à un juge siégeant dans la circonscription où s'est faite cette validation. (7)

Par ailleurs, lorsque l'écart entre les deux candidats ayant obtenu le plus de suffrages est égal ou supérieur à celui qui entraîne un dépouillement automatique, tout électeur peut présenter au tribunal une requête de dépouillement judiciaire. Pour que cette requête soit acceptée, il doit convaincre le juge au moyen d'une déclaration sous serment souscrite par un témoin digne de foi, que l'une ou l'autre des situations suivantes existe :

  1. un scrutateur, en comptant les votes, a mal compté ou rejeté par erreur des bulletins de vote ou le nombre qu'il a inscrit sur le relevé du scrutin comme étant le nombre de bulletins de vote déposés en faveur d'un candidat n'est pas exact;

  2. le directeur du scrutin a mal additionné les résultats figurant sur les relevés du scrutin (8).

Qu'il soit automatique ou non, le dépouillement judiciaire peut prendre l'une ou l'autre des formes suivantes selon les conclusions recherchées par le requérant : soit que le juge lise, attribue ou annule s'il y a lieu et compte tous les bulletins de vote pour établir les résultats du scrutin dans une circonscription, soit qu'il effectue une nouvelle addition à partir seulement des relevés fournis par les scrutateurs (9).

Lorsqu'il s'agit pour le juge de revoir en particulier et compter lui-même chacun des bulletins de vote, aussi bien les bulletins valides que ceux rejetés, le dépouillement judiciaire est une opération qui peut se révéler laborieuse et s'étendre sur plusieurs jours. Par exemple, en 1963, quatre jours furent nécessaires au juge Paul Sainte-Marie pour examiner les 17 028 bulletins de vote déposés dans les urnes par les électeurs de la circonscription fédérale de Pontiac--Témiscamingue (10). Par ailleurs, à la suite des élections québécoises du 15 novembre 1976, le dépouillement judiciaire des 30 536 votes de la circonscription de Hull débuta le 22 novembre; il fut entremêlé de divers autres recours devant les tribunaux (11) et ne se termina que le 22 décembre (12).

Lors du dépouillement judiciaire dans la circonscription électorale de Montmagny--L'Islet--Kamouraska--Rivièredu-Loup faisant suite au scrutin du 2 mai 2011, tous étaient désireux d'en finir au plus tôt. D'une part, le juge dont l'agenda chargé ne lui permettait pas de consacrer, à court terme, plus de trois jours pour accomplir cette tâche; d'autre part, le candidat conservateur qui espérait renverser l'écart de cinq voix le séparant de son principal adversaire et éventuellement obtenir un portefeuille ministériel (13); enfin, le candidat néo-démocrate qui était impatient de consolider sa victoire.

...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT