Le directeur parlementaire du budget, deux ans plus tard:rapport d'etape.

AuthorJeffrey, Brooke

En mars 2008, en grande pompe et avec l'appui général, le Canada nommait à son tout nouveau poste de surveillance son premier directeur parlementaire du budget (DPB). Deux ans plus tard, ce dernier affiche une longue liste de réalisations : cinq mises à jour économiques et fiscales et plus de vingt rapports de recherche, tous accueillis avec force louanges. Pourtant, autant le poste que son premier titulaire, Kevin Page, ont soulevé de vives controverses. Le présent article dresse l'historique du poste et les problèmes qui ont surgi depuis la nomination de M. Page.

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C'est le Parti conservateur, dans son programme électoral de 2006, qui propose d abord la création du poste de directeur parlementaire du budget, mais on peut en faire remonter la motivation originelle à l'héritage financier du gouvernement progressiste-conservateur Mulroney, plus de dix ans auparavant. Le gouvernement Mulroney avait fait de la réduction du déficit le point de mire de son programme politique, mais ses années de pouvoir ont plutôt constitué une période de croissance exponentielle de la dette et du déficit fédéraux. Pendant ce temps, le ministère des Finances sous-estimait constamment l'étendue du problème et ses prévisions ne servaient qu'à accroître les inquiétudes des économistes et des politiciens de l'opposition sur l'état réel des finances de la nation.

À l'arrivée des libéraux de Jean Chrétien en 1993, le ministre des Finances Paul Martin adopte une nouvelle approche axée sur la crédibilité à tout prix. Les prévisionnistes du ministère des Finances reçoivent alors la consigne de privilégier la prudence, lroniquement, avec le redressement de la situation financière grâce aux mesures de réduction du déficit, ces mesures de prudence donnent elles-mêmes prise à la critique. En effet, si de nombreux économistes se portent à la défense de l'excédent surprise, comme il est convenu de l'appeler, en le qualifiant de conséquence normale d'une gestion financière prudente, d'autres le taxent plutôt de signe clair qu'on ne peut toujours pas se fier aux projections du ministère des Finances (1).

Lorsqu'il devient premier ministre en 2004, M. Martin réagit à ces préoccupations en demandant à l'économiste et ancien vice-président à la direction de la Banque de Montréal, Tim O'Neill, de revoir les pratiques en matière de prévisions financières du gouvernement fédéral. Dans son rapport déposé en juin 2005, M. O'Neill affirme que l'introduction par M. Martin lui-même de la règle financière antidéficit en 1998 a constitué << une cause importante des excédents surprises persistants à la fin de chaque exercice (2) >>. Toutefois, il ajoute que les procédures de prévision du ministère des Finances ne présentent aucun problème technique réel et réitère que le phénomène d'excédent représente le résultat prévisible de la prudence. En même temps, l'auteur reconnaît l'existence d'une préoccupation croissante à l'égard du fait que << par-delà les aspects techniques, les déficiences au niveau des prévisions ont des répercussions qui relèvent de l'intérêt public (3) >>, notamment que les excédents non prévus pouvaient fausser le processus décisionnel. Cette inquiétude est exacerbée par les critiques de l'opposition qui affirment que les excédents surprises constitue une façon dérobée d'allouer des sommes à des fins politiques ou d'éviter de débattre des priorités politiques. Un groupe petit, mais énergique, est d'avis que << les excédents résultaient d'une manipulation délibérée de la part du gouvernement afin [...] de réduire les pressions populaires touchant l'augmentation des dépenses et la réduction des taxes. Ce point de vue soulève de graves problèmes de crédibilité concernant les prévisions du ministère des Finances (4). >>

C'est dans ce contexte, et avec le scandale des commandites en toile de fond en guise d'incitatif additionnel, que les conservateurs misent sur la transparence de la budgétisation comme élément clé de leur programme électoral de 2006. Ils demandent alors la création du << Bureau parlementaire du budget, qui sera indépendant et fournira des analyses objectives directement au Parlement de la situation des finances du pays et des tendances de l'économie nationale (5) >> . Une fois élus, les conservateurs s'empressent de réaliser leur promesse et déposent le projet de loi C-2, Loi fédérale sur la responsabilité (LFR), en avril 2006, comme premier geste de leur mandat. Ce projet de loi est accompagné d'un plan d'action qui annonce que le gouvernement comptait,

garantir la transparence de la budgétisation en créant le poste de directeur parlementaire du budget pour fournir aux députés et aux comités parlementaires des analyses objectives sur l'état des finances du pays, les tendances de l'économie nationale et le coût des propositions à l'étude dans l'une ou l'autre Chambre. Malgré la contestation de bon nombre d'aspects de la LFR, le poste de DPB ne prête d'abord nullement à la controverse. La création d'une nouvelle charge de chien de garde du Parlement pour la présentation d'un autre ensemble de projections financières reçoit un large appui, au moins sur le plan théorique. Pourtant, malgré cet appui de tous les partis au nouveau poste, les auditions sur la loi habilitante proposée (les modifications apportées à la Loi sur le Parlement du Canada) démontrent vite que la réalisation de cette promesse ne se ferait pas aussi simplement qu'on l'avait prévu. Comme d'autres études sur le directeur parlementaire du budget l'ont indiqué, les parlementaires soulèvent déjà trois points importants de préoccupation avant et peu de temps après que le poste a été pourvu, notamment l'indépendance, le mandat et la charge de travail du DPB.

L'indépendance et le mandat du DPB

La confusion règne dès le début autour du mandat du DPB. D'abord et avant tout, il y a débat sur la nature de l'indépendance du titulaire du poste : une indépendance par rapport à qui et à quel degré? Certes, il semble évident que le DPB doit travailler pour les parlementaires, mais il le semble tout autant qu'il n'est pas un << fonctionnaire du Parlement >> et qu'il ne relève donc pas directement du Parlement de la même façon que le commissaire aux langues officielles, le commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique ou la vérificatrice générale. Il existe pourtant plusieurs autres chiens de garde importants, comme la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, qui ne sont pas des fonctionnaires du Parlement, mais dont l'<< indépendance >> n'est pas source de discorde. En quoi le DPB se distingue-t-il sur ce plan?

On peut distinguer au moins trois différences entre la situation du DPB à titre de << fonctionnaire indépendant de la Bibliothèque du Parlement >> et le statut non équivoque de hauts fonctionnaires comme la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne. D'abord, il n'existe aucune loi habilitante précise, comme la Loi sur l'accès à l'information ou la Loi sur les langues officielles. Le poste a plutôt été créé au moyen de modifications à la Loi sur le Parlement du Canada, elle-même une oeuvre législative obscure de peu de pertinence dans le contexte des pratiques, des procédures ou des institutions modernes et oø la Bibliothèque du Parlement et le rôle du bibliothécaire ne sont que brièvement abordés.

Ensuite, la loi manque de clarté sur le lien hiérarchique du DPB et la procédure inhabituelle de nomination ne fait qu'accroître la confusion. Bien que ce processus se soit avéré plus transparent qu'il aurait pu l'être, le recours à un comité d'embauche dirigé par le bibliothécaire du Parlement pour choisir le DPB, combiné à la nomination de ce dernier par décret du premier ministre plutôt que par le Parlement, contribue à créer une situation exceptionnelle oø il est difficile de savoir clairement de qui relève le titulaire de ce poste. Pour complexifier la situation, le DPB a ses bureaux à la Bibliothèque du Parlement. Dès lors, on se pose la question : relève-t-il des présidents, et donc du Parlement, ou du bibliothécaire parlementaire? Voilà qui donne lieu à un débat intense, car de la réponse découle la nature même de l'indépendance du poste.

Il est intéressant de noter que ce débat a lieu malgré l'intervention du bibliothécaire parlementaire et de rédacteurs pour tenter de clarifier la question dans les textes de loi. Il se déroule aussi malgré le communiqué de presse du leader du gouvernement à la Chambre des communes, Peter van Loan, qui annonce la nomination de Kevin Page comme premier DPB du Canada dans ces mots : << Le directeur parlementaire du budget est un fonctionnaire indépendant de la Bibliothèque du Parlement qui relève du président de la Chambre des communes et du président du Sénat (6). >> Le sénateur conservateur Donald Oliver, avocat et membre du comité sénatorial du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, est venu renforcer cet énoncé à peine quelques jours plus tard. Décrivant la nomination de Kevin Page comme étant << la plus importante découlant du projet de loi C-2 >>, M. Oliver a affirmé qu'<< on pourrait presque appeler [la LFR] la loi sur le renforcement des comités parlementaires >> et que << M. Page est un mandataire indépendant relevant de la Bibliothèque du Parlement, et il rendra des comptes aux Présidents des deux Chambres (7) >>.

Le premier ministre confirme lui-même leur interprétation lorsqu'il répond de la façon suivante à une question lui demandant s'il appuyait la publication d'un rapport du DPB sur les coûts de la mission canadienne en Afghanistan : << Le directeur du budget est un fonctionnaire indépendant. Il peut prendre ses propres décisions (8). >> Deux mois plus tard, M. Harper réitère son point de vue lors d'une réponse à une question à la Chambre des communes, mais, cette fois, sa réponse révèle la complexité du problème : << Monsieur le Président, nous avons créé un office indépendant. Or cet office a été adopté par ce Parlement, et c'est...

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