Le directeur general des elections du Canada.

AuthorMassicotte, Louis

Parmi les hauts fonctionnaires relevant du Parlement, le poste de directeur général des élections est le deuxième en ancienneté, sa création du poste remontant à l'adoption, en 1920, de la Loi des élections fédérales. Le directeur général des élections doit veiller à ce que, sur le plan administratif, les élections fédérales se déroulent de façon équitable. Dans la mesure oø la légitimité du gouvernement du Canada repose enfin de compte sur la libre expression de l'électorat, son rôle est crucial. Cet article donne un aperçu de l'évolution de cette fonction et de sec attributions.

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Traditionnellement, la conduite des élections au Canada a toujours été passablement décentralisée et plutôt politisée. Depuis les toutes premières élections générales--la première fut celle de la Chambre d'assemblée de la Nouvelle-Écosse en 1758--c'est aux directeurs du scrutin nommés par l'exécutif qu'il incombe d'organiser les élections dans leurs propres circonscriptions électorales. Initialement, la nomination des directeurs du scrutin et leur révocation étaient la prérogative des gouverneurs coloniaux, mais avec l'instauration du gouvernement responsable, ces responsabilités ont été confiées au Cabinet. Au 19e siècle, les directeurs du scrutin étaient vus comme des représentants du gouvernement au pouvoir, et c'est ainsi qu'ils se comportaient la plupart du temps.

Avant 1920, il y avait peu de coordination administrative du processus électoral au sommet de la hiérarchie. Un fonctionnaire, appelé greffier de la Couronne en chancellerie, était nommé par l'exécutif. Ses fonctions électorales étaient essentiellement de nature officielle et archivistique : il recevait les listes électorales des autorités provinciales, les faisait imprimer et les transmettait aux députés, aux candidats défaits et aux directeurs du scrutin; il envoyait les << brefs d'élection >> aux directeurs du scrutin et recevait leurs rapports; il publiait dans la Gazette les avis d'élection des députés; et il conservait les documents relatifs aux élections précédentes. Le Parlement n'avait rien à dire dans le choix de la personne chargée de superviser le processus électoral, mais l'adoption et la modification de la législation électorale demeuraient, bien sûr, au nombre de ses principales prérogatives.

Tout au long du 19" siècle, et même par la suite, les élections au Canada ont été entachées de corruption. L'élection générale de 1917 a peut-être été la pire à ce chapitre, si l'on fait abstraction de la campagne de 1841 au Canada-Uni. Les règles avaient été modifiées peu avant la dissolution du Parlement. Le registre électoral avait subi une sorte de nettoyage ethnique avant la lettre, les immigrants de pays avec lesquels le Canada était en guerre se voyant privés de leur droit de vote si leur naturalisation datait de moins de 15 ans. L'octroi du droit de vote aux femmes s'était fait de façon sélective, seules celles ayant un parent dans l'armée étant autorisées à participer au scrutin, dont l'enjeu principal portait sur la conscription pour service outre-mer, tandis que les femmes déjà habilitées à voter dans quelques provinces en avaient été privées, faute d'un tel lien de parenté. On a prétendu que le vote des soldats avait été entache d'irrégularités. Comme l'a écrit Norman Ward, << La loi de 1917 sur les élections en temps de guerre pouvait difficilement ne pas reporter au pouvoir le parti qui l'avait adoptée >> (1). Cet épisode de la vie démocratique en temps de guerre a laissé bien des cicatrices et explique peut-être pourquoi le gouvernement unioniste a jugé bon par la suite d'assainir les pratiques électorales.

Dans ce contexte, on comprend mieux en quoi la création du poste de directeur général des élections en juillet 1920 constituait un énorme progrès. Dorénavant, les élections allaient se dérouler de façon professionnelle et ne seraient plus à la merci d'intérêts politiques, grâce à une coordination serrée et impartiale au sommet de la hiérarchie. Ce nouveau fonctionnaire, qui remplaçait le greffier de la Couronne en chancellerie, devait la création de son poste à la volonté de la Chambre des communes et non aux caprices de l'exécutif, et il était de ce fait à l'abri de toute ingérence politique. Il était habilité à << dûment diriger >> les directeurs du scrutin et, en cas d'incompétence ou de manquement au devoir, à recommander leur révocation.

Cinq directeurs généraux des élections

L'importance du nouveau poste est attestée par la nomination de son premier titulaire. Le colonel Oliver Mowat Biggar, c.r., était âgé de 44 ans au moment de sa nomination. Avocat de renom, il était le petit-fils du célèbre premier ministre libéral de l'Ontario du même nom. Après avoir exercé le droit à Edmonton pendant 12 ans, il s'était joint à l'armée en 1915 avant de devenir juge-avocat général du Canada en 1918, puis membre de la délégation canadienne à la conférence de paix de Versailles en 1918-1919. Contrairement à la pratique courante, le colonel Biggar, qui était alors conseiller parlementaire de la Chambre des communes, était désigné dans la loi comme le premier titulaire de la fonction, ce qui donne à penser que sa nomination faisait peut-être partie d'une entente entre tous les partis. Il avait droit à un traitement égal à celui d' un juge de la Cour suprême du Canada, poste qui commandait à l'époque un salaire de 12 000 $. Ironiquement, Biggar a démissionné en 1927, après avoir supervisé trois élections générales, parce qu'il espérait gagner davantage encore en retournant à la pratique lucrative du droit des brevets. À ce jour, de tous ceux qui ont occupé le poste de directeur général des élections, il est le seul à avoir eu une formation en droit.

Son successeur, Jules-P. Castonguay, natif de Vaudreuil, travaillait au bureau du greffier de la Couronne en chancellerie depuis 1918. Il avait été directeur général adjoint des élections sous Biggar. Il a été nommé par une résolution de la Chambre des communes, grâce à une modification apportée à la Loi à cette époque. Peu scolarisé, on disait qu'il n' avait pas terminé ses études primaires; c'est peut-être ce qui explique la décision prise alors de réduire de moitié le traitement du titulaire, bien que pour Castonguay la somme en question représentait quand même une progression salariale de 67 %. Le nouveau titulaire était surtout doué pour l'administration. Il a occupé le poste jusqu'en 1949, présidant à cinq élections générales de même qu'au référendum de 1942 et survivant à deux changements de gouvernement.

Le poste de directeur général des élections est probablement le seul de la fonction publique fédérale à avoir été occupé successivement par le père et par le fils. Nelson Castonguay était à peine plus scolarisé que son père. Selon sa notice biographique, il n'avait fait que des études secondaires et avait servi dans la Marine royale du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale, terminant la guerre comme capitaine de frégate. Au moment de sa nomination, il était au service du bureau depuis 1934, comme adjoint de son père. La dynastie Castonguay s'est éteinte en 1966, lorsque Nelson a pris sa retraite à l'âge de 53 ans, après avoir présidé à six élections générales, dont trois tenues pendant ses quatre dernières années en poste. Il a toutefois continué à assumer la charge de commissaire à la représentation, créée en 1963, jusqu'à l'abolition du poste en 1979.

Natif de Lotbinière et nommé en 1966, Jean-Marc Hamel a eu la distinction d'être le premier administrateur public professionnel à occuper le poste. Il détient un baccalauréat ès arts et une maîtrise en commerce de l'Université Laval ainsi qu' une maîtrise en administration publique de 1' université de Syracuse (NY). Employé de la Commission de la fonction publique de 1950 à 1964, il était entré au service de la Chambre des communes comme directeur de l'administration (1964-1965) et avait été adjoint du sous-secrétaire d'État du Canada jusqu'à sa nomination. Une toute nouvelle Loi électorale du Canada a été adoptée en 1970. Elle accordait le droit de vote aux Canadiens dès l'âge de 18 ans et prévoyait la création d'un registre des partis politiques de même que l'indication sur le bulletin de vote de l'appartenance politique des candidats. Ensuite est venue la Loi sur les dépenses d'élection de 1974, qui a sensiblement accru les fonctions du directeur général des élections en ce qui a trait à la vérification des contributions politiques et des dépenses d'élection. D'autres modifications importantes ont été adoptées en 1977 ainsi qu'en 1982-1983. À partir de 1983, M. Hamel a demandé à maintes reprises dans ses rapports législatifs que la Loi soit révisée, mais il a pris sa retraite en 1990, à l'âge de 65 ans, avant que le Parlement n'ait trouvé le temps d'y donner suite. Il avait supervisé la tenue de pas moins de sept élections générales, un record à ce jour. Par la suite, il a aussi été conseiller auprès de la Commission royale Lortie et du Bureau du Conseil privé au moment de la préparation de la loi référendaire.

Le titulaire actuel est Jean-Pierre Kingsley. Administrateur public professionnel originaire d'Ottawa, M. Kingsley a dirigé des hôpitaux à Edmonton et à Ottawa avant d'occuper, au cours des années 80, différents postes au département d'État au Développement social, au Secrétariat du Conseil du Trésor, au ministère de la Consommation et des Corporations et au Bureau du Conseil privé, oø il était responsable de l'application des lignes...

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