La dynamique de l'impunite: autour de la defense d'ex turpi causa en common law des delits civils.

AuthorLegrand, Pierre, Jr.

Exclus du droit ? Ce n'est pas si simple. Il n'y a pas interet a exclure jamais personne absolument. Le droit a besoin d'etre publiquement applique a tous (1).

Prologue

>(2). Plus lapidairement encore, les juristes romains posaient que > (3). Cette reconnaissance d'un effet liberatoire a la faute du defendeur eu egard au comportement fautif de la victime elle-meme, aujourd'hui obsolete dans son absolutisme, resterait toutefois d'actualite s'agissant des conduites hors la loi.

L'idee n'est pas neuve. Pour l'auteur d'un prejudice, le plus intuitif des moyens de defense est certes de s'en prendre a celui qu'il a lese. En medisant de la victime, on justifierait la violation du droit. Or, il serait d' autant plus facile d'incriminer la victime que sa conduite participerait de l'illegal. Meme la victime immorale ne serait, du reste, pas tout a fait innocente. Tel entendement affleure dans divers domaines du droit prive. Ainsi la victime de la faute contractuelle qui s'est associee a la transaction reprehensible perd son droit a la reclamation des benefices qui lui eussent autrement resulte de l'acte dans lequel elle a trempe. En droit des delits civils, la victime se verrait pareillement privee des dommages-interets compensatoires auxquels elle aurait pu autrement pretendre.

Cette tension trouble l'image simple d'un creancier aux prises avec son debiteur. Y a-t-il lieu de consolider la faute du defendeur pour raison de turpitude de la victime ? Convient-il, en d'autres termes, de donner suite a l'argument du defendeur qui avance que la conduite de la victime est telle qu'elle oblitererait la faute qu'on lui reproche a telle enseigne que cette victime ne saurait maintenant se plaindre d'une telle faute ? L'on releguerait, ni plus ni moins, la victime au dehors de la salle d'audience ; celle-ci, comme Garcin dans la piece de Sartre, pourrait clamer son depit : > (4). Comment, en effet, la victime pourrait-elle etre ecoutee, eant entendu qu'elle s'est d'elle-meme mise au ban de la legalite ? Que pourrait-elle maintenant en appeler a l'assistance des juges ?

Mais ce theme est trop facile. Certes, il est bon que le juge puisse apprecier le degre de culpabilite du comportement de la victime. Rien ne justifie toutefois qu'on erige cette conduite en empechement dirimant a la compensation. L'ecart de conduite de la victime n'efface pas la necessite de la reparation. Sans compter l'urgence de ne pas affadir le sens de la responsabilite civile chez les individus. Une etude consacree a l'arbitrage qu'il convient d'operer entre les interets en cause oscille obligatoirement entre le plaidoyer et le requisitoire : coupable, le demandeur suscite le blame; victime, il attire la sympathie.

La lecture des recueils de jurisprudence suggere que les tribunaux ont recemment eu a connaitre, dans diverses juridictions de common law, de configurations factuelles plus ou moins condamnables dans le contexte desquelles la problematique qui m'interesse s'est franchement soulevee. A cet egard, l'affaire Norberg c. Wynrib n'est pas en reste (5). Parce qu'elle a, tout dernierement, largement agite la question, a la faveur de faits d'ailleurs particulierement scabreux, et parce qu'elle fera l'objet d'un pourvoi en Cour supreme du Canada, conduisant ainsi sans doute au prononce d'un arret de principe, la decision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans cette affaire me tiendra lieu de point d'appui tout au long de mon propos. Aussi convient-il de relater brievement les faits saillants qui l'ont provoque et de resumer succinctement les jugements auxquels elle a donne lieu, tant en premiere instance qu'en appel.

En decembre 1978, l'extraction d'une dent chez Laura Norberg [L.N.] la soulage de serieuses migraines, non sans qu'elle se fut toutefois accoutumee, dans l'entretemps, au medicament connu sous le nom de >. Cette servitude l'entraine, en mars 1982, au cabinet du Docteur Morris Wynrib [le Docteur W.], septuagenaire, veuf et solitaire. Invoquant divers malaises, L.N. obtient pendant plusieurs mois les prescriptions de >, qu'elle requiert de ce medecin. En decembre 1982, L.N. se voit toutefois contrainte de mettre fin a sa supercherie et d'avouer au Docteur W. sa condition de dependance. Le medecin fait alors comprendre a L.N. qu'il reste dispose a lui prescrire le medicament qu'elle souhaite obtenir si elle se montre prete a satisfaire a ses exigences sur le plan sexuel. L.N. refuse cette proposition et entreprend d'obtenir des prescriptions d'autres medecins.

Vers la fin de l'annee 1983, ses sources de > s'etant taries, L.N. se resigne a consulter a nouveau le Docteur W. et a se conformer a ses desirs. S'ensuivent une douzaine de seances, tenues tant au cabinet du Docteur W. qu'a son appartement, pendant lesquelles celui-ci demande a L.N. de participer a divers acres sexuels. La preuve revele qu'en aucune circonstance le Docteur W. n'a recours a la force et que jamais L.N. ne refuse ses avances. Pendant les quelque dix-huit mois que se poursuivent ces rencontres, le Docteur W. remet a L.N. plus de quarante prescriptions, sans compter les fois ou il lui donne en mains propres les medicaments requis. L.N. est subsequemment accusee, puis condamnee pour obtention frauduleuse de stupefiants en vertu de la Loi sur les stupefiants (6).

L.N. reclame du Docteur W. des dommages-interets compensatoires et punitifs. Elle allegue voies de fait (assault), negligence, violation de l'obligation fiduciaire due par un medecin a son patient et violation de contrat. En premiere instance, le juge Oppal, de la Cour supreme de la Colombie-Britannique, retient que les actes sexuels poses avec L.N., comme les prescriptions repeteees a son endroit, violent l'obligation fiduciaire a laquelle est tenu le medecin. Bien que telle violation ouvre normalement la porte a un octroi de dommages-interets, la patiente ne peut, en l'espece, pretendre a ce remede vu la pertinence de la defense d'ex turpi causa non oritur actio invoquee par le Docteur W. (7). A cet egard, le raisonnement du juge parait se derouler en trois phases.

  1. L'enonce de la regle

    [A]n injured plaintiff who engages in criminal conduct at the time of the injury may be denied all tort recovery for damages. The defence applies equally to plaintiffs who have been engaged in immoral conduct (8). [...] If the defence of ex turpi cause [sic] is to be successful, the defendant must prove that there is a causal link between the plaintiff's injury and his participation in illegal or immoral activity [...]. An injury must have occurred as a natural consequence of the plaintiff's offence (9). 2. Lenonce du fondement de la regle

    No court will lend its aid to a plaintiff who seeks to profit by his own wrongdoing. [...] It should be noted that this defence applies where it would be unconscionable for a court to give relief or compensation to a plaintiff. It does not in any sense relieve a defendant wrongdoer (10). 3. L'enonce de la pertinence de la regle en l'espece

    Both parties were voluntary participants in an illicit relationship. The plaintiff voluntarily agreed to participate in the sexual activity. Whatever hurt she has suffered is a direct natural consequence of her illegal agreement with the defendant. Her claim is founded on her illegal and immoral acts. While he capitalized on her addiction, she took advantage of his age and loneliness. She admitted this. One can sympathize with her addiction. However, there were alternatives which were open to her. It should not be forgotten that she was convicted of double doctoring herself during this period of time. Moreover, she was receiving drugs not for medicinal but for illicit purposes. The doctor's conduct, of course, was reprehensible. She was a reluctant but a willing party to the sexual encounters. She knowingly entered into an illegal bargain albeit not necessarily on terms which would be to her satisfaction (11). L.N. interjette appel de cette decision. Le juge en chef McEachern, dans un jugement representant l'opinion majoritaire de la Cour d'appel et confirmant le jugement entrepris (12), refute l'argument se fondant sur une violation de son obligation fiduciaire par le medecin (13). Quant a l'allegation de negligence, le juge en chef conclut a l'existence d'une obligation de diligence du medecin envers sa patiente de la guerir de son accoutumance au medicament ou, a tout le moins, de la referer a une clinique de desintoxication. Il estime, par ailleurs, que le Docteur W. a viole cette obligation, causant du coup un prejudice a L.N. Cette derniere doit toutefois se voir imputer une faute contributive vu l'ingestion volontaire de medicaments de sa part (14).

    La defense d'ex turpi causa, avancee par le Docteur W., doit-elle modifier cette determination? Le juge en chef McEachern affirme d'abord qu' a la lumiere de la jurisprudence (15), cette defense ne saurait intervenir que dans les circonstances ou, le demandeur et le defendeur ayant participe a une entreprise criminelle commune, le demandeur est victime de la negligence du defendeur dans le cours de cette operation. Dans ce contexte, en effet, les complices ne sont pas tributaires d'une obligation de diligence l'un envers l'autre. Or, malgre que l'affaire renvoie precisement a un cas ou > (16), le juge en chef retient que > (17). Il n'explicite guere cette attenuation de la regle tout juste enoncee. Il est cependant permis de croire que ce que le juge en chef parait percevoir comme le particularisme de l'obligation medicale n'est pas etranger a cette conclusion (18).

    La subsistance de l'obligation de diligence du Docteur W. etablie, le juge en chef n'en procede pas moins a sanctionner l'application de la defense d'ex turpi causa a l'espece. C'est qu'il est, selon le juge en chef McEachern, un deuxieme volet a cette defense. Au-dela de la dissuasion d'entreprises criminelles communes par le biais d'une suspension de l'obligation de diligence, cette defense permet, en effet, de sauvegarder...

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