Les exigences legales entourant le consentement dans la recherche avec des enfants et des adultes inaptes: une piste de solution aux difficultes posees par les articles 21 et 24 C.c.Q.

AuthorLevesque, Emmanuelle

Les articles 21 et 24 du Code civil du Quebec sont deux dispositions qui provoquent un grand nombre de discussions parmi les chercheurs et dans les comites d'ethique de la recherche. Les discussions suscitees par ces dispositions concernent les conditions particulieres imposees a toute << experimentation >> a laquelle des enfants ou des majeurs inaptes a consentir participent. Les conditions qui posent les principales difficultes sont: (1) la necessite d'obtenir le consentement d'une personne determinee (parent, tuteur, curateur, mandataire) et (2) la necessite de constater le consentement par ecrit.

Devant cette problematique, il est necessaire de s'interroger sur l'interpretation des articles 21 et 24 C.c.Q. Est-il obligatoire d'appliquer les exigences de ces dispositions a tous les projets de recherche? Doit-on en limiter l'application aux projets de recherche qui se qualifient d' << experimentation >>?

De toute cette analyse, l'auteure recense les conditions auxquelles un projet de recherche est soumis aux articles 21 et 24 C.c.Q. La recherche doit poser un risque quant a l'integrite (physique ou psychique) et elle doit etre une forme de << soins >> au sens du Code Civil. Cette conclusion ouvre une marge de manoeuvre quant aux projets de recherche avec des mineurs et des personnes inaptes qui ne repondent pas a ces criteres. Ainsi les comites d'ethique peuvent poser les conditions qu'ils estiment adequates au sujet du consentement.

Articles 21 and 24 of the Civil Code of Quebec have provoked great discussion among researchers and research ethics committees. The discussions arising from these articles concern the particular conditions imposed upon all experiments in which minors and persons of full age who are incapable of giving consent participate. The conditions that pose the main difficulties are: (1) the necessity of obtaining the consent of a determinate person (parent, tutor, curator, mandatary) and (2) the necessity of written consent.

Given this problem, it is necessary to examine the interpretation of articles 21 and 24 C.C.Q. Is it necessary to apply the requirements of these articles to all research projects? Must their application be limited to research projects that qualify as "experiments"?

In light of this analysis, the author reviews the conditions in which a research project is subject to articles 21 and 24 C.C.Q. The research must pose a risk to the person's physical or mental integrity and it must be a form of "care" as defined by the Civil Code. This conclusion creates some flexibility with respect to research projects involving minors and persons of full age who are incapable of giving consent because they do not all meet the criteria of risk and care. Consequently, ethics committees can impose conditions that they deem satisfactory for consent.

Introduction A. Le droit et le non-dit B. Une lecture mise en contexte C. Proteger l'integrite : au-dela de l'integrite physique D. Les << soins >> : une notion vaste qui inclut l'experimentation E. Sur les traces d'une modification legislative Conclusion Introduction

L'une des dispositions legales qui provoquent presentement le plus grand nombre de discussions parmi les chercheurs et dans les comites d'ethique de la recherche est probablement l'article 21 du C.c.Q. Ce vif interet se traduit par les evenements recents organises sur le sujet et par la mise sur pied d'un comite tripartite special (1). Les discussions suscitees par l'article 21 C.c.Q. portent sur les conditions particulieres que cette disposition impose a toute << experimentation >> menee avec des enfants ou des majeurs inaptes a consentir. En vertu de l'art. 21 C.c.Q., les chercheurs doivent obtenir le consentement du parent de l'enfant implique dans l'experimentation ou, dans le cas des majeurs inaptes, le consentement de leur tuteur, curateur ou mandataire :

21, al. 3. Le consentement a l'experimentation est donne, pour le mineur, par le titulaire de l'autorite parentale ou le tuteur, et, pour le majeur inapte, par le mandataire, le tuteur ou le curateur. [...] (2) De plus, l'article 24 C.c.Q. exige que le consentement a l'<< experimentation >> soit donne par ecrit :

24, al. 1. Le consentement aux soins qui ne sont pas requis par l'etat de sante, a l'alienation d'une partie du corps ou a une experimentation doit etre donne par ecrit [nos italiques] (3). Or, la mise en oeuvre de ces exigences entraine plusieurs difficultes dans certaines recherches ou participent des mineurs ou des majeurs inaptes. Ces difficultes sont liees a deux elements : (1) la necessite d'obtenir le consentement d'une personne determinee (parent, tuteur, curateur, mandataire) et (2) la necessite de constater le consentement par ecrit.

Dans certaines situations, ces deux exigences ne posent aucune difficulte. Le consentement parental ecrit est assez facile a obtenir et a justifier lorsqu'il s'agit de recherches biomedicales impliquant de jeunes enfants. Par exemple, lors de l'essai d'un nouveau medicament, le caractere invasif du protocole et l'implication parentale dans les soins medicaux d'un jeune enfant rendent le consentement parental ecrit approprie. Mais, ce n'est pas toujours le cas.

Dans plusieurs protocoles de recherche, obtenir le consentement ecrit d'une personne determinee tel que prevu a l'article 21 C.c.Q. devient rapidement problematique.

En premier lieu, dans certaines recherches en sciences humaines ou sociales impliquant des enfants plus ages, le consentement du parent est difficile a obtenir, et l'exigence de ce consentement est meme difficile a justifier. Dans certains cas, lorsque des adolescents sont impliques, obtenir le consentement parental est un veritable tour de force, notamment lorsqu'il s'agit de jeunes habitant dans la me, ayant fugue ou vivant des experiences en contradiction avec l'autorite parentale (e.g., la participation dans un gang de me ou l'obtention d'un avortement). Dans d'autres cas, il est difficile de comprendre pourquoi les adolescents ne seraient pas eux-memes habilites a consentir. Comment expliquer qu'une fille de dix-sept ans ne peut pas consentir elle-meme a une recherche qui l'interrogerait sur ses habitudes d'ecoute televisuelle, alors qu'elle est reputee majeure pour les decisions qui touchent son emploi (4), peut conduire une automobile (5) ou encore peut decider seule de subir un avortement (6).

Par ailleurs, l'exigence de la forme ecrite, qui requiert la signamre des parents, rend impossible la realisation de recherches ou la participation serait completement anonyme. Pourtant, l'anonymat est quelquefois avantageux pour les mineurs : il peut proteger la vie privee en evitant que des informations a risque de stigmatiser des jeunes aux prises avec des problemes sociaux (e.g., des abus sexuels ou la perpetration d'actes criminels, etc.) soient conservees et, par la suite, mal utilisees.

Les conditions etablies par l'article 21 C.c.Q. genent egalement plusieurs recherches faisant appel a des aines inaptes a consentir. Dans ces etudes, recueillir le consentement d'un tuteur, curateur ou mandataire est parfois une tache ardue. En effet, toute une tranche de la population peut etre delaissee par la recherche puisque ces individus ne sont pas representes selon les regimes formels exiges par le droit. La nomination d'un tuteur ou d'un curateur au majeur est consecutive a l'ouveture d'un regime de protection prononcee par le tribunal (7). Lorsque des aines en perte d'autonomie sont pressentis pour participer a une recherche, les familles ne sont pas toujours disposees a vivre le processus necessaire a une nomination en bonne et due forme d'un representant legal. Les couts, les desaccords familiaux sur la personne a nommer et les instructions a lui donner peuvent constituer des obstacles a cette nomination (8). Quant au mandataire, son entree en fonction necessite la redaction prealable d'un mandat en prevision de l'inaptitude (9) et l'homologation du document par le tribunal (10). L'accessibilite au mandat est diminuee par la grande prevoyance qu'il exige (11). Pourtant, la famille peut etre d'accord pour faire participer l'adulte inapte a la recherche. En consequence, la difficulte de nommer un representant legal peut ralemir des decouvertes susceptibles d'ameliorer leur sante et leur bien-etre.

Devant toutes ces situations problematiques, il est necessaire de s'interroger sur l'application des articles 21 et 24 C.c.Q. Est-il obligatoire d'appliquer les exigences des ces dispositions a tous les projets de recherche? La pratique actuelle dominante dans le milieu de l'ethique est de considerer que tout projet de recherche impliquant des enfants ou des majeurs inaptes constitue necessairement une << experimentation >> soumise a l'article 21 C.c.Q. A titre d'illustration, le recent module de formation en ethique du ministere de la Sante et des Services sociaux enseigne que tome recherche impliquant cette classe de participants doit se conformer aux conditions prescrites par l'article 21 C.c.Q. (12). A notre avis, il faut revoir cette pratique.

Puisque les articles 21 et 24 C.c.Q. ne s'appliquent qu'a l'<< experimentation >>, il faut distinguer les projets de recherche qui constituent reellement une << experimentation >> et ceux qui ne peuvent pas etre ainsi categorises. Les projets qui constituent une << experimentation >> doivent obligatoirement se conformer au regime des articles 21 et 24 C.c.Q., tandis que les autres recherches n'y sont pas soumises. En operant cette differenciation, il est possible d'apporter une solution partielle a certaines difficultes que nous venons d'evoquer. Ainsi, les projets de recherche qui ne sont pas une << experimentation >> pourraient se derouler hors du regime des articles 21 et 24 C.c.Q. avec des modalites adaptees a leur contexte. Dans ces situations, les comites d'ethique pourraient etablir des conditions d'obtention du consentement mieux adaptees.

  1. Le droit et le non-dit

    L'article 21 C.c.Q. identifie les...

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