Expériences de codirection au Canada.

AuthorPenner, Devin

Deux partis politiques ayant fait élire des députés dans des parlements canadiens ont adopté, ou semblent en voie d'adopter, des modèles de codirection. La codirection est une option maintenant bien établie dans certains partis ailleurs dans le monde, mais ce type de structure est encore relativement nouveau au Canada. Dans le présent article, les auteurs présentent des exemples de codirection à l'étranger, résument les avantages et les inconvénients de ce type d'arrangement recensés dans la littérature en science politique, et se penchent sur les façons dont la codirection fonctionne ou pourrait fonctionner chez les tenants de ce modèle au Canada. Ils concluent que, bien que celui ci offre de multiples avantages sur les plans démocratique et pratique, le modèle de direction fondé sur un chef héroïque continue de présenter de nets avantages à une époque où la politique est affaire de marque, et qu'il est peu probable que les partis au pouvoir ou sur le point de former le gouvernement optent pour la codirection dans un proche avenir.

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À notre époque de politique fondée sur une logique de marché et de marque, la stratégie électorale d'un parti gravite tout spécialement autour du chef. Souvent, les campagnes sont axées sur la création d'une image positive du chef plutôt que sur l'élaboration de politiques novatrices, et les membres du parti sont d'abord fidèles au chef plutôt qu'au parti lui-même. Nous avons pu observer au cours des dernières décennies l'instauration d'un modèle de chef << héroïque >> au sein des partis politiques canadiens. L'un des problèmes potentiels de cette idée de chef héroïque réside dans ce que l'on pourrait appeler une représentation romancée du leadership. Les décisions et les réalisations sont associées à un chef précis et font abstraction des multiples acteurs qui interviennent dans l'élaboration et la réalisation d'une politique ou dans l'amorce d'un changement social (1). Si le chef est vu comme étant seul artisan de toutes les réalisations, l'envers de la médaille est qu'il peut aussi être tenu pour seul responsable des erreurs commises. L'échec n'est pas toléré, et les gens sont prompts à rejeter le chef qui a fait des erreurs (2). Il en résulte une version de la politique partisane centrée sur la recherche d'un nouveau sauveur. Le Parti conservateur du Canada peut certainement témoigner de cette dynamique, lui qui a tenu trois courses à la direction en cinq ans, de 2017 à 2022, pour trouver un chef capable de battre les Libéraux dirigés par Justin Trudeau. En outre, les caractéristiques du système de gouvernement britannique font maintenant paraître inévitable la centralisation du pouvoir dans le bureau du chef; l'ascension d'un chef dominant est un incontournable dans le système politique canadien.

Il paraît difficile d'imaginer un modèle autre que celui du héros comme chef de parti et de cette inéluctable centralisation du pouvoir. Malgré tout, les dernières années ont vu émerger un modèle de codirection à Québec solidaire, modèle aussi adopté par deux équipes de candidats à la récente course à la direction du Parti vert du Canada. Dans ce bref article, nous nous penchons sur ces premières expériences de codirection au sein de partis politiques canadiens et avançons que ce modèle mérite d'être envisagé comme moyen de renouveler le leadership et la démocratie au sein des partis. Avant d'examiner les cas de Québec solidaire et du Parti vert, nous présentons dans la section suivante une brève introduction au concept de codirection.

Qu'est-ce que la codirection?

La codirection (aussi appelée direction conjointe) signifie simplement qu'il y a deux chefs plutôt qu'un seul. Un parti pourrait même être dirigé par une << triade >>, voire une << constellation >> de chefs (3). Il peut paraître simple de diviser les postes de direction entre plus d'une personne, mais cela amène en fait un changement d'orientation important, en ce sens que le leadership est alors vu non pas comme une qualité propre à une personne mais plutôt comme la résultante de processus sociaux dynamiques et interactifs (4). Voilà pourquoi le modèle de codirection représente un pas vers une direction collective ou participative, termes plus englobants qui marquent un effacement de la distinction entre << meneur >> et << suiveur >>, et une conception moins hiérarchique des interactions entre eux. Ce résultat va à contresens de la culture politique qui existe aux échelons fédéral et provincial, laquelle a toujours suivi un cadre très hiérarchique.

La codirection peut revêtir plusieurs formes. Nous pouvons tout d'abord distinguer la codirection institutionnalisée des formes ponctuelles ou informelles de codirection, comme dans les cas où il existe un lien étroit entre le premier ministre ou chef de parti et son vice-premier ministre ou chef adjoint (5). Le présent article porte sur les formes institutionnalisées de codirection, compte tenu de leurs répercussions à long terme. Comme peu de partis ont tenté l'expérience de la codirection au Canada, nous devons chercher ces modèles dans d'autres pays. Dans la catégorie de la codirection institutionnalisée, nous pouvons réfléchir à deux autres questions :

Elections individuelles ou d'équipe? L'élection peut être structurée de sorte que chacun des deux chefs soit élu individuellement (comme au Parti vert d'Aotearoa, en Nouvelle-Zélande), ou que les deux puissent être élus en tant qu'équipe (comme au Parti social-démocrate d'Allemagne, en 2019). Si les cochefs sont élus séparément, il faut aussi se demander si les mandats seront échelonnés ou si les deux chefs seront toujours élus en même temps. Dans le cas d'une candidature d'équipe, il faut aussi se demander si un candidat qui voudrait diriger le parti seul peut aussi se présenter (comme dans la course à la direction 2022 du Parti vert du Canada).

Quotas de représentation ou élections ouvertes? La codirection implique souvent (mais pas toujours) un quota de genre pour assurer la représentation des femmes (comme à Québec solidaire). De la même façon, il pourrait y avoir des quotas ethniques ou autres, ou des quotas multiples qui se chevauchent. Par exemple, le Parti vert d'Aotearoa, en Nouvelle-Zélande, exige qu'il y ait au moins une femme et un Maori parmi les cochefs (6). Voilà un exemple de quotas de représentation dans des élections individuelles de cochefs, mais des quotas pourraient aussi être exigés dans des élections d'équipe. Par exemple, en 2019, dans la course à la direction du Parti social-démocrate d'Allemagne, un candidat pouvait se présenter seul à la direction du parti ou encore comme membre d'une équipe de codirection, mais cette équipe devait comprendre au moins une femme.

Les options à préférer dépendront de la raison principale qui milite en faveur d'une codirection. Les élections d'équipe sont particulièrement utiles si l'objectif est d'assurer la complémentarité et la cohésion des cochefs. Cependant, les élections individuelles sont préférables si l'objectif est d'avoir deux chefs distincts qui représentent des électorats différents.

La codirection ... pourquoi? Et ... pourquoi pas?

Le Parti vert du Canada et Québec solidaire sont deux partis mineurs dans leur écosystème respectif. Ni l'un ni l'autre n'a encore réussi à obtenir un nombre suffisant de sièges pour approcher du pouvoir et ainsi devoir réfléchir sérieusement à la façon d'intégrer la codirection dans un arrangement législatif fonctionnel. Pour l'instant, il y a peu...

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