Felix Desrochers, bibliothecaire general 1933-1956.

AuthorGordon, Ross

La Bibliotheque du Parlement est une des grandes ressources intellectuelles du pays. Elle fut durant nombre d'annees la Bibliotheque nationale du Canada. Depuis le milieu des annees 60, elle est un centre d'information et de recherche voue a fournir aux deputes les outils dont ils ont besoin pour remplir leurs fonctions. Malgre son importance pour la vie publique du Canada, on a peu ecrit sur l'histoire de l'institution ou de ses dirigeants. Le present article jette un coup d'oeil sur la vie de Felix Desrochers, bibliothecaire general de 1933 a 1956.

Durant de nombreuses annees, la Bibliotheque du Parlement a eu un systeme de bibliothecaires duettistes ou duellistes , selon l'angle sous lequel on considere cette structure. Comme on le voit dans le tableau ci-dessous, a partir de 1885, il y a toujours eu un bibliothecaire anglophone et un bibliothecaire francophone. L'un etait le bibliothecaire parlementaire et l'autre, le bibliothecaire general.

Cet arrangement a dure pres de soixante ans et a servi a deux fins. L'une consistait a maintenir un equilibre entre l'anglais et le francais. Cela etait particulierement important aux debuts de la Bibliotheque du Parlement, qui etait issue de la fusion des collections des bibliotheques legislatives du Bas-Canada et du Haut-Canada et avait ete installee un certain temps a Montreal, a Toronto, a Quebec et a Kingston. La seconde raison etait cependant aussi importante, car le Canada n'avait pas de bibliotheque nationale et la Bibliotheque du Parlement etait a bien des egards conaderee comme la Bibliotheque nationale de facto du Canada. L'existence d'un systeme de double bibliotheque etait une reponse politique a des besoins concurrents, comme cela s'est vu souvent dans l'histoire canadienne. Felix Desrochers a beneficie de ce systeme bizarre.

La nomination de Felix Desrochers

Comment reussit-on a se faire nommer a un poste eleve? C'est souvent un mystere auquel on ne peut tout simplement pas trouver de reponse. On peut s'etonner, on peut s'interroger, mais on ne peut savoir de facon certaine ce qui s'est passe. Dans le cas de Felix Desrochers, non seulement nous savons comment il a obtenu le poste, mais je crois aussi qu'il voulait que nous le sachions. Il n'en faisait pas du tout mystere et il nous a meme laisse un dossier etiquete : Desrochers, Felix -- Bibliotheque du Parlement -- Nomination (campagne pour ce poste)(1).

Vers la fin de 1931, il a entrepris, pour obtenir le poste de bibliothecaire general, une campagne qui devait mobiliser tout le capital politique qu'il avait accumule au cours de plus de 25 annees de service au sein du Parti conservateur du Canada. Il a ecrit des lettres a des amis et a des politiciens influents, a commencer par le premier ministre R.B. Bennett, pour solliciter leur aide afin de decrocher le meilleur poste de bibliothecaire au Canada ouvert a un Canadien francais.

Le bibliothecaire general du Parlement, Joseph de la Broquerie Tache, avait annonce son depart imminent a la retraite. Comme le systeme de cobibliothecaires etait fonde sur des considerations linguistiques et geographiques autant que sur l'experience reelle, Felix, juriste de formation, y vit une occasion d'avancer en grade.

Felix avait une autre raison de bouger : son poste de conservateur de la Bibliotheque municipale de Montreal, sous l'administration du maire Houde, avait pris fin lorsque des changements dans l'administration, passee des Bleus aux Rouges , l'avaient fait retrograder au niveau de bibliothecaire adjoint. Il etait maintenant politiquement en marge a Montreal.

Apres que son ami Tache l'eut prevenu de la vacance imminente de son poste, Felix adressa au premier ministre Bennett un curriculum vitae a jour ou il enumerait toutes les campagnes politiques auxquelles il avait participe ou qu'il avait contribue a organiser de 1908 a 1930. En tout, il avait pris part a quelque 35 batailles electorales municipales, provinciales et federales et il estimait qu'il avait plus que paye son du au Parti conservateur. Il avait meme organise le congres de 1929 lors duquel Camillien Houde avait ete presente comme candidat au poste de chef du parti provincial. Dans cette lettre plutot longue du 21 decembre 1931, (dactylographiee sur le papier a lettre officiel de la Bibliotheque municipale de Montreal), il faisait observer ceci :

Je crois que vous pouvez vous rendre compte, en lisant ce resume, que j'ai fait plus que ma part pour notre parti. Je vous prie d'ailleurs de remarquer que j'ai fait mutes ces campagnes du debut a la fin, et dans la plupart des cas sans aucune remuneration. Je puis dire comme Flambeau, dans L'Aiglon de Rostand : Je me suis battu pour la gloire et ... pour des prunes.

Apres avoir decrit son travail a la bibliotheque de Montreal, ou il s'etait montre un homme d'action , il en vint au fait :

Je n'ai jamais rien demande pour moi personnellement aupres de mes amis a Ottawa; c'est la premiere fois que je le fais. Je crois que j'en ai fait suffisamment pour le parti dans le passe pour exiger une certaine reconnaissance et je pense bien que le parti devrait maintenant faire sa part pour moi, et plus specialement quand l'occasion se presente pour faire un acte de reconnaissance des services passes en nommant un des notres qui possede naturellement, etant juriste et bibliothecaire, toutes les qualites requises pour le poste de bibliothecaire du Parlement [...] Je soutiens que ce n'est qu'une promotion que je demande. J'aurais pu, comme plusieurs autres candidats defaits comme moi dans le passe, laisser mes ambitions personnelles monter plus haut et solliciter un poste de juge, de senateur ou de commissaire, mais je me suis limite a briguer un poste plus compatible avec ma competence et mes qualites. J'aurais aime pouvoir continuer a mener des campagnes politiques, mais je ne pouvais plus le faire, y ayant depense le meilleur de ma sante.

Sa campagne maintenant lancee, il ecrivit egalement aux trois ministres canadiens francais, MM. Sauve, Duranleau et Dupre, des lettres presque identiques qu'il termina toutes par une derniere exhortation : Je vous connais et je vous estime suffisamment pour croire que vous ferez tout en votre pouvoir pour recompenser un homme qui a sacrifie les trente-cinq meilleures annees de sa vie aux interets du parti [...] et dont la competence comme bibliothecaire est incontestable. Il etait alors bibliothecaire depuis moins de trois ans.

Le premier ministre Bennett repondit en confirmant que Felix avait bien fait de s'adresser directement aux ministres de sa province. Felix ne s'arreta pas la; il ecrivit au Secretaire d'Etat du Canada, C.H. Cahan, le 13 janvier 1932. Il defendait ardemment sa cause...

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