Les incidences des médias sociaux sur le privilège et la procédure parlementaires.

AuthorMcNair, Joanne

Dans une entrevue qu'il a accordée en 2009, on a demandé à David Cameron, chef du Parti conservateur du Royaume-Uni, s'il avait un compte Twitter. M. Cameron a répondu que non, puis il a ajouté : >, peut avoir pour résultat que trop de gazouillis font de vous un >. Nous reprenons ici son affirmation devenue célèbre bien malgré lui.

Les médias sociaux existent depuis plusieurs années déjà, mais leur utilisation par les représentants élus (un phénomène relativement récent) a entraîné des incidents au sein d'assemblées législatives ici au Canada et ailleurs dans le monde qui ont porté atteinte aux règles et conventions parlementaires datant d'une autre époque. Il y a de plus en plus de travaux de recherche sur l'utilisation des médias sociaux par les politiciens, en particulier durant les campagnes électorales, mais ceux-ci s'attardent peu au volet procédural de cette tendance. Toutefois, un nombre suffisant d'incidents survenus dans diverses assemblées législatives ces dernières années nous permettent de les classer dans deux grandes catégories :

  1. l'utilisation des médias sociaux pour enfreindre ou contourner le Règlement ou une convention parlementaire;

  2. l'utilisation des médias sociaux pour porter atteinte au privilège parlementaire.

    Le présent article porte sur ces deux catégories d'incidents liés à l'utilisation des médias sociaux et sur les moyens qu'ont pris les présidents et les assemblées législatives pour tenter de résoudre les problèmes qui en découlent. La question à laquelle nous espérons répondre est la suivante : si les médias sociaux posent un défi unique pour la procédure parlementaire, est-ce que les conventions et pratiques parlementaires en place répondent adéquatement aux défis de l'ère numérique?

    L'utilisation des médias sociaux pour enfreindre ou contourner le Règlement ou une convention parlementaire Dans cette catégorie, nous pouvons distinguer deux types d'incidents : ceux où l'utilisation des médias sociaux est accessoire à la violation des règles, et ceux où leur utilisation vise délibérément à les violer ou à les contourner.

    Les incidents qui correspondent au premier type sont assez simples à résoudre. Ce qui est en cause, c'est la violation d'une règle claire ou d'une convention de longue date. Dans ces cas, l'utilisation de Twitter ou d'autres médias sociaux n'est pas ce qui importe le plus dans l'incident, car ce qui est survenu serait considéré comme un manquement au Règlement ou aux conventions parlementaires indépendamment de leur utilisation. Prenons comme exemple un député qui publie des commentaires sur Twitter portant sur les délibérations à huis clos d'une réunion de comité.

    Révéler des détails sur les discussions tenues lors de la partie à huis clos d'une réunion de comité constitue une violation flagrante des règles parlementaires, et possiblement un outrage au Parlement. Le moyen employé par le député pour rendre cette information publique est secondaire, que ce soit en publiant des commentaires sur Twitter, en parlant aux journalistes après la réunion du comité, en envoyant cette information par courriel à de tierces parties, ou en formulant des commentaires à ce sujet sur le parquet de la Chambre. Ce qui est en cause, c'est le fait de rendre publique de l'information qui a fait l'objet de discussions à huis clos. Le fait que la violation ait été commise en utilisant Twitter (ou d'autres médias sociaux) est secondaire.

    Pour ce qui est du deuxième type d'incidents par contre, les médias sociaux ont été utilisés délibérément pour contourner certaines dispositions d'un Règlement ou des conventions parlementaires. Ces incidents (qui consistent, par exemple, à tenir des propos diffamatoires à l'endroit de la présidence, à faire des allusions sur l'absence de parlementaires, à accuser un autre parlementaire de mentir ou d'induire la Chambre en erreur) sont un peu plus complexes à résoudre. Et ils sont d'autant plus complexes lorsqu'il faut tenir compte de deux facteurs : où se trouvait le parlementaire lorsqu'il a publié le commentaire offensant sur les médias sociaux (dans l'enceinte de la Chambre ou en dehors), et quand le commentaire a été publié (pendant que la Chambre siège ou après son ajournement).

    La plupart des décisions de la présidence concernant ce type d'incidents renvoient à la convention selon laquelle les députés ne peuvent pas faire indirectement ce qu'ils ne peuvent pas faire directement. Autrement dit, si les commentaires qu'ils formulent sur les médias sociaux avaient été jugés irrecevables (ou pire encore) à la Chambre durant les délibérations du Parlement, alors ces commentaires n'auraient probablement pas dû être publiés sur les médias sociaux. Les incidents de cette nature consignés au compte rendu des délibérations se comptent sur les doigts d'une main, mais les décisions qui en découlent soulèvent certains points dont il faut tenir compte :

  3. Un commentaire publié sur les médias sociaux à partir du parquet de la Chambre fait-il partie des délibérations du Parlement?

  4. Un commentaire publié sur les médias sociaux depuis l'extérieur de la Chambre, mais pendant que celle-ci siège, fait-il partie des délibérations du Parlement?

  5. Les présidents d'assemblée devraient-ils traiter les commentaires publiés sur les médias sociaux, que ce soit depuis l'enceinte ou l'extérieur de la Chambre, différemment des commentaires formulés par les députés aux journalistes à l'extérieur de la Chambre?

  6. Un parlementaire devrait-il faire l'objet de mesures disciplinaires pour des commentaires qui ont été publiés sur les médias sociaux clairement en dehors des heures de séance de la Chambre?

    Définir les >

    L'expression > n'a jamais été définie dans le droit législatif canadien ou du Royaume-Uni. Cependant, le paragraphe 16(2) de la Parliamentary Privileges Act, 1987 de l'Australie la définit comme suit :

    s'entend de tout ce qui se dit ou se fait dans le cadre des travaux d'une Chambre ou d'un comité ou en relation avec ces travaux, notamment et sans limiter la généralité de ce qui précède :

    1. le fait de témoigner devant une Chambre ou un comité et le témoignage lui-même;

    2. la présentation d'un document à une Chambre ou à un de ses comités;

    3. la préparation d'un document à ces mêmes fins ou à des fins connexes;

    4. la rédaction, la production ou la publication d'un document, y compris un rapport, par suite d'un ordre d'une Chambre ou d'un comité et le document luimême (2).

    Cette définition, qui date non seulement d'avant la venue des médias sociaux, mais aussi avant celle de l'Internet, ne fait aucune mention précise de l'endroit où se déroulent les travaux d'une Chambre ou d'un comité. Deborah Palumbo et Charles Robert expliquent : >

    Par conséquent, les > englobent tous les travaux officiels d'un Parlement ou de ses comités, y compris tout ce que disent ou font les parlementaires dans le cadre de ces travaux et dans l'exercice de leurs fonctions parlementaires. Il y a toutefois une exception à cette définition, comme l'explique Maingot dans Le privilège parlementaire au Canada. Selon lui, certaines questions soulevées à la Chambre ne font pas nécessairement partie des délibérations du Parlement : >

    Cette distinction est importante lorsqu'on se penche sur l'utilisation des médias sociaux par les parlementaires alors qu'ils se trouvent en Chambre. À moins que les commentaires qu'ils publient sur Twitter ou d'autres médias sociaux soient lus à voix haute durant le débat, et qu'ils figurent de ce fait au compte rendu des délibérations, on peut difficilement imaginer en quoi on peut soutenir que des gazouillis publiés à partir du parquet de la Chambre font partie des délibérations du Parlement. Et s'ils n'en font pas partie, devrait-on s'attendre à ce que la présidence statue sur des questions qui en découlent?

    Les présidents et les médias sociaux...

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