L'equite judiciaire, de l'ombre a la lumiere : archeologie d'une exception singuliere aux regles de la publicite immobiliere.

AuthorDebruche, Anne-Francoise

Quebec (P.G.) c. Developpements de demain soustrait la concession tacite de la propriete superficiaire a l'article 2938 C.c.Q., qui exige en termes pourtant non equivoques que la constitution de tout droit reel immobilier soit soumise a la publicite. Or, la propriete superficiaire est indeniablement un droit reel immobilier puisque l'article 1009 C.c.Q. la qualifie de modalite du droit de propriete. Comment expliquer alors cette singuliere exception a la publicite immobiliere?

L'auteure devoile le caractere friable de la motivation proposee par la Cour d'appel et procede a son archeologie juridique. Elle remonte jusqu'a Delorme c. Cusson, une decision de la Cour supreme du Canada de 1897 qui est a l'origine d'une jurisprudence quebecoise qui regularise certains empietements immobiliers en constatant la creation ou le transfert implicite de droits reels immobiliers principaux, tel le droit de superficie. C'est dans le contexte de ce mimetisme transsystemique contestable base sur l'equite judiciaire que la propriete superficiaire concedee de maniere tacite est affranchie des regles fondamentales de la publicite immobiliere. Delorme c. Cusson est ainsi le peche originel commis contre le droit strict quebecois au nom du serpent tentateur > dans le jardin transsystemique de la Cour supreme du Canada, dont les juges quebecois ont depuis recueilli les fruits.

Quebec (P.G.) c. Developpements de demain removes the notion of tacit concession of superficies from article 2938 C.C.Q., even though the article unequivocally requires that the constitution of all real immovable rights be published. And yet superficies is undeniably a real immovable right since article 1009 C.C.Q. qualifies it as a modality of ownership. How then can this peculiar exception to the publication of immovable rights be explained?

The author reveals the friable nature of the Court of Appeal's motives and, in searching for its true motives, undertakes its legal archaeology. She goes as far back as Delorme c. Cusson, an 1897 Supreme Court of Canada decision that prompted Quebec jurisprudence normalizing certain immovable encroachments by "observing" the creation or the implicit transfer of principal real immovable rights, such as superficies. It is in the context of this questionable transsystemic mimicry based on judicial equity that tacitly granted superficies are freed from the fundamental rules of publication of immovable rights. Delorme c. Cusson is thus the original sin committed against strict Quebec law in the name of the serpent of temptation, "equity", in the transsystemic garden of the Supreme Court of Canada--the fruits of which have since been reaped by Quebec judges.

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Introduction Prologue : l'ombre jetee par la propriete superficiaire concedee de maniere tacite sur le droit strict de la publicite immobiliere I. Le > dans le jardin transsystemique de la Cour supreme du Canada A. La tentation de l'equite dans Delorme c. Cusson 1. Un probleme classique d'empietement immobilier 2. Une solution juridique apparemment orthodoxe B. Une mue du droit civil par infftation de lestoppel by acquiescence 1. Un outil receptif aux preoccupations d'equite dans le systeme voisin 2. Un mimetisme transsystemique inavoue II. La recolte des > par les juges quebecois A. L'accueil de la > Delorme c. Cusson par la jurisprudence 1. Le succes d'un mecanisme informel visant a la creation Ou au transfert d'un droit reel a. Typologie des droits reels concernes i. Transfert d'un droit de propriete ii. Concession d'un droit de servitude iii. Concession d'un droit de superficie (propriete superficiaire) b. Quelques > judiciaires visant a retablir l'orthodoxie 2. Les heurts avec la publicite immobiliere, et la solution superficiaire a. L'exception de la connaissance b. La singularite de l'institution superficiaire B. La > legislative Conclusion : ombre et lumieres sur le droit strict de la publicite immobiliere Introduction

La publicite immobiliere repose, en droit civil quebecois, sur un article-cle du Code civil du Quebec qui parait a la premiere lecture aussi clair qu'exhaustif a l'egard des droits reels immobiliers concernes. En effet, aux termes de l'article 2938 C.c.Q., >. Un etudiant abordant le droit civil apres avoir etudie la eommon law, confiant de pouvoir trouver dans le Code civil du Quebec l'expression exacte du droit applicable, un soulagement apres avoir passe des annees a reconstituer peniblement bien des regles a partir de precedents contradictoires, y lirait sans doute la regle selon laquelle tout acte creant ou transferant un droit reel immobilier doit etre publie pour etre opposable aux tiers (1). Les defenseurs de la > (plain language), un mouvement preponderant surtout dans les pays anglophones qui preconise l'emploi du langage le plus simple et le plus direct possible, y compris en droit, approuveraient une telle lecture (2). Apres tout, ce texte est suffisamment clair. Cote droit civil, l'exegete soucieux de la doctrine du sens clair, qui postule qu'un texte n'a pas a etre interprete lorsque son sens est clair, mais qu'il doit simplement etre applique tel quel, ne pourrait qu'acquiescer a son tour (3). Il ferait en cela echo aux partisans du Code Napoleon qui, prealablement a la redaction de celui-ci, formulaient l'espoir que > (4).

Pourtant, il est des droits reels qui echappent a l'application de l'article 2938 C.c.Q., en depit de la clarte et de la generalite de la regle qu'il enonce. Les tenants de la clarte apparente seraient sans doute surpris d'apprendre qu'en 2003, la Cour d'appel du Quebec a confirme, dans l'arret Quebec (P.G.) c. Developpements de demain, qu'un droit de propriete superficiaire concede tacitement n'avait pas a etre publie pour etre opposable aux tiers (5). Ce principe a d'ailleurs ete reitere tout recemment par la meme cour (6). Or, la propriete superficiaire est indeniablement un droit reel immobilier puisque le Code civil du Quebec la presente comme une modalite du droit de propriete (7). A ce titre, conformement a l'article 2938 C.c.Q., elle ne devrait pas echapper a l'exigence generale d'inscription au registre. Comment expliquer cette exception singuliere au droit strict de la publicite immobiliere, aussi clair fut-il (8) ? L'objet de la presente contribution est de resoudre cette enigme en procedant a l'archeologie juridique de cette decision etrange, par laquelle les cours quebecoises ont exempte la propriete superficiaire concedee de facon tacite de l'exigence de publicite. (9). L'accent sera place sur la decision de 2003 de la Cour d'appel plutot que sur sa confirmation en 2009, car elle represente repicentre du seisme qui secoue le droit strict (10). Nous exposerons tout d'abord en guise de prologue les contours apparents de cette decision. Ensuite, le caractere friable de sa motivation nous conduira a plonger dans le passe en quete de reponses plus satisfaisantes, sur les traces d'une decision ancienne de la Cour supreme du Canada, soit Delorme c. Cusson (11) (I). Nous verrons que la Cour y initie un mimetisme transsystemique contestable, en transposant l'estoppel by acquiescence de la common law dans les termes du droit des biens et des obligations quebecois. Cette decision est a l'origine d'une jurisprudence qui permet aux juges quebecois de constater la creation ou le transfert implicite de certains droits reels immobiliers principaux, parmi lesquels le droit de superficie (12), dans le but de regulariser certains empietements immobiliers (II). Tout comme old sins have long shadows, nous verrons que le mimetisme transsystemique contestable initie par la Cour dans l'arret Delorme c. Cusson en 1897, qui a transpose l'estoppel by acquiescence de la common law dans les termes du droit des biens et des obligations quebecois, represente le contexte expliquant egalement Developpements de demain (C.A.). Cette etrange decision de 2003 a affranchi la propriete superficiaire concedee de maniere tacite des regles fondamentales de la publicite immobiliere. L'equite judiciaire est au coeur de cette reforme qui ne dit pas son nom et dont on decele surtout l'action de maniere indirecte, comme le trace d'une riviere souterraine revele par ses effets apparents sur les cultures et productions du droit strict (13).

L'image privilegiee pour conduire notre expose et le rendre moins aride renvoie a ce > commis contre le droit strict quebecois au nom de l'equite, qui joue a cet egard le role du serpent tentateur dans le jardin transsystemique de la Cour supreme du Canada. Les juges quebecois en recueilleront ensuite les fruits, mais qu'advient-il de l'equite lorsque la solution qu'elle commande passe de l'ombre a la lumiere ? C'est ce qu'il s'agira de decouvrir en conclusion.

Prologue : l'ombre jetee par la propriete superliciaire concedee de maniere tacite sur le droit strict de la publicite immobiliere

Dans Quebec (P.G.) c. Developpements de demain (14), les faits a l'origine de l'entorse curieuse au principe fondateur de l'enregistrement impliquaient un empietement immobilier sur le terrain de la compagnie defenderesse. L'empietement resultait de l'elargissement d'une rue a Saint-Jean-Chrysostome et etait imputable tant aux pares supplementaires de la rue qu'aux lampadaires et au trottoir qui avaient ete ajoutes lors des travaux. Ceux-ci avaient ete effectues en etroite collaboration par le Ministere des transports du Quebec et par l'ancienne Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN). Cette derniere etait alors proprietaire du terrain jouxtant la rue. Lors de la privatisation de la CN, ce terrain fut cede a une autre societe (SICL), qui le vendit ensuite a la defenderesse, Developpements de demain. Decouvrant rempietement, celle-ci reclama une indemnite au Ministere, qui allegua alors devant la Cour superieure l'existence d'un droit de propriete superficiaire concede tacitement par la CN lors des travaux d'elargissement. Ce droit reel aurait pour effet de regulariser l'empietement...

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