Jugement rétrospectif : Le processus spécial d'examen par la Chambre des communes des candidats à la Cour suprême.

AuthorCrandall, Erin
PositionArticle vedette

Le mode de nomination à la Cour suprême est l'objet de critiques qui reviennent fréquemment (1). La procédure de sélection, qui relève traditionnellement de l'exécutif, a été scrutée à la loupe. Cependant, peu de gens contestent la qualité des juges qu'elle produit. Cela dit, une défense pragmatique de cette procédure de nomination est depuis longtemps insuffisante. Les juges de la Cour suprême sont tout simplement trop importants et ont trop de pouvoir pour être choisis à l'issue d'un processus dénué de toute exigence officielle de transparence ou de reddition de comptes de la part des personnes qui jouent un rôle de premier plan dans leur sélection, à savoir le premier ministre et le Cabinet. À partir de 2004, les gouvernements tant libéral que conservateur semblaient être d'accord sur ce point. En 2006, les conservateurs ont proposé un processus spécial d'examen parlementaire selon lequel les députés interrogeraient les candidats potentiels au poste de juge à la Cour suprême avant leur nomination. On peut penser qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction. Néanmoins, ce changement aura sans doute été de courte durée : après seulement huit nominations à la Cour suprême, le gouvernement conservateur a confirmé en décembre 2014 qu'il laisserait tomber le processus d'examen parlementaire.

De nombreux Canadiens n'auraient rien su du nouveau mode de nomination des juges à la Cour suprême et de sa fin précipitée si la question n'avait pas été si médiatisée. En tant que plus importante source d'information du public sur les procédures et les processus décisionnels gouvernementaux, les médias pouvaient contribuer non seulement à couvrir, mais aussi à orienter le débat entourant le mode de nomination des juges à la Cour suprême. L'analyse de la couverture médiatique de langue anglaise des huit candidats à la Cour suprême depuis 2006 renseigne sur la manière dont les médias ont couvert la procédure de nomination, et en particulier la façon dont ils ont dépeint à l'intention des Canadiens le nouveau processus d'examen parlementaire.

Les résultats de notre analyse de la couverture médiatique de la nomination de juges à la Cour nous amènent à conclure que les médias ont amplifié dès le début les conflits entourant le nouveau processus. En fait, la couverture qu'ils ont faite des visions opposées du processus d'examen parlementaire l'a emporté sur leur examen des candidats à la magistrature eux-mêmes. Les médias ont fait une large place aux conflits partisans, en particulier la ferme dénonciation par le Parti conservateur de l'activisme judiciaire et les critiques du NPD au sujet de la sous-représentation des femmes parmi les juges nommés. Enfin, dans leur couverture des députés qui composaient le comité d'examen parlementaire, les médias ont parlé de manière disproportionnée des désaccords entre eux au sujet du processus lui-même et accordé fort peu d'importance à ce que ces députés pensaient des candidats. Leur tendance à donner dans les nouvelles sensationnalistes ou axées sur les conflits est à peine déphasée par rapport au vaste corpus de constatations sur la politique (2) et les médias. Toutefois, il reste que les Canadiens ont été exposés au processus d'examen parlementaire dans l'optique de querelles partisanes. Il est donc fort possible qu'ils en aient moins appris sur les candidats potentiels au poste de juge à la Cour suprême que ce que visaient les objectifs.

La section qui suit présente un résumé de la procédure de nomination à la Cour suprême, des changements mis en place en 2004 et des événements qui ont finalement conduit à leur retrait, en 2014. Puis, nous expliquons en détail les résultats de notre analyse des médias et, en conclusion, nous offrons une réflexion sur les leçons à tirer des récentes nominations de juges à la Cour suprême lorsqu'on examine celles-ci sous l'éclairage des médias.

La nomination des juges de la Cour suprême

Au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir de nommer des juges à la Cour suprême. Dans la pratique, cependant, c'est le premier ministre, en consultation avec le procureur général, qui exerce cette prérogative. Comme ce tribunal a le dernier mot en matière de droit fédéral comme de droit provincial, les provinces dénoncent depuis longtemps cette concentration du pouvoir entre les mains de l'exécutif fédéral. Il n'est donc pas surprenant que celle-ci ait fait l'objet de débats dans le cadre de toutes les initiatives récentes visant la réforme de la Constitution du Canada, de la Charte de Victoria (1971) à l'Accord de Charlottetown (1992).

La constitutionnalisation de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982, a considérablement élargi la juridiction de la Cour suprême. Celle-ci, qui était jusqu'alors principalement saisie du règlement de conflits privés, s'est vue transformée en un tribunal chargé de l'examen des lois publiques et des droits de la personne (3). Devant l'importance politique grandissante de la Cour, le mode de nomination de ses juges a suscité une attention accrue. Cependant, contrairement aux initiatives précédentes, qui visaient à accroître la participation des provinces, les nouvelles propositions de réforme étaient souvent axées sur la participation du Parlement au processus de sélection des juges. Le Parti réformiste (1987-2000) en particulier, invoquant > apparent de la Cour suprême, suggérait que le Parlement passe au crible les candidats (4).

Ces propositions de réforme ne sont pas allées très loin sous le leadership du premier ministre libéral Jean Chrétien (1993-2003). Cependant, elles ont rapidement été reprises à l'élection du nouveau chef du Parti libéral, Paul Martin, en 2003. En raison de la courte durée du mandat du gouvernement de Paul Martin (2003-2006), les réformes réclamées par les libéraux n'ont pas été entièrement mises en œuvre, mais l'initiative de réforme du mode de nomination des juges à la Cour suprême s'est poursuivie sous le Parti conservateur quand celui-ci a pris le pouvoir, en janvier 2006 (5).

Ces réformes du mode de nomination comportaient deux nouveautés qu'il convient de noter particulièrement : 1) lorsqu'un poste devient vacant à la Cour, un comité d'examen composé de députés serait dorénavant mis sur pied, et on lui demanderait d'examiner une liste des candidats du gouvernement (comportant de cinq à huit noms), que ce comité restreindrait ensuite à une courte liste de trois noms (6); 2) on confierait à un comité spécial composé de députés le mandat d'interroger publiquement le candidat proposé par le gouvernement avant sa nomination (7). À l'opposé, avant 2004, tous les volets de la procédure de sélection se déroulaient à huis clos. Même les noms des personnes et des associations consultées par le gouvernement n'étaient pas divulgués (8).

On a eu recours à cette nouvelle procédure pour la première fois à l'occasion de la nomination du juge Marshall Rothstein, qui a comparu en grande pompe devant un comité public en février 2006. Toutefois, sans l'adoption d'un projet de...

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