Kuwait Airways Corp. c. Irak, 2010 CSC 40.

AuthorCastel, Jean-Gabriel
PositionChronique de jurisprudence

Le litige en question avait pour origine l'invasion et l'occupation du Koweit par l'Irak en 1990. A cette epoque, l'Irak avait ordonne le transfert a sa societe d'Etat de transport aerien, Iraqi Airways Co. (IAC), des avions et des pieces de rechange appartenant a la societe aerienne Kuwait Airways Corp. (KAC).

Apres la guerre, KAC n'ayant recupere qu'une partie de ses avions, elle intenta en Angleterre deux premieres actions contre IAC afin de se faire indemniser pour l'appropriation de ses avions et des pieces de rechange. Elle intenta plus tard deux autres actions pour fraude, fausses preuves et parjure commises par LAC et l'Irak dans les deux premieres actions. L'Irak n'etait pas partie a ces quatre actions, faute de signification conforme au droit anglais, mais, officieusement, avait aide LAC a se defendre (1).

En 2005, KAC obtint la condamnation d'IAC a des dommages-interets importants et au paiement des depens (2). Cette derniere n'etant pas en mesure de payer les depens qui s'elevaient a pres de quatre-vingt quatre millions de dollars canadiens, KAC, apres avoir ete autorisee en 2006 a mettre en cause l'Irak pour la seule question relative aux depens, reclama ceux-ci dans une demande portee devant la Haute Cour de Justice de Londres. Dans sa decision rendue le 16 juillet 2008, le juge Steel donna satisfaction a KAC et condamna l'Irak a les payer (3). L'Irak n'avait pas ete represente dans cette action, mais en avait ete dument informe (4).

Selon le juge Steel, dont l'attention avait ete attiree au cours de cette action par KAC sur la question de l'immunite des Etats, les actes accomplis par l'Irak pour defendre IAC ne constituaient pas des actes de souverainete, mais tombaient dans le cadre de l'exception commerciale au principe de l'immunite de juridiction des Etats en vertu de la legislation anglaise (5). L'Irak ne possedant aucun bien en Angleterre, mais deux immeubles a Montreal et ayant passe une commande d'avions chez Bombardier Aerospatiale, avions qui devaient etre livres a son Ministere des Transports, KAC introduisit au Quebec une demande de reconnaissance de la decision rendue par le juge Steel. Elle obtint, le 27 aout 2008, deux brefs de saisie avant jugement, l'un pour les immeubles et l'autre en mains tierces pour les avions (6).

Devant les tribunaux quebecois, l'Irak ayant souleve un moyen d'irrecevabilite fonde sur l'immunite de juridiction reconnue par la Loi sur l'immunite des Etats canadienne (7), KAC soutint, comme l'avait decide le juge Steel, que l'Irak ne beneficiait pas de cette immunite, car les actes qu'il avait accomplis, en participant ... la defense de IAC, constituaient des activites commerciales pour lesquelles il n'existait pas d'immunite souveraine, tant selon le droit canadien que selon le droit anglais.

La Cour superieure (8) rejeta la demande de reconnaissance, ce qui fut confirme par la Cour d'appel (9). Par contre, la Cour supreme du Canada accueillit le pourvoi (10).

La principale question qui fait l'objet de ce commentaire est de savoir si la Cour supreme a fait une erreur de qualification en ce qui concerne l'interpretation a donner a l'exception commerciale.

Avant de passer a l'analyse de cette exception, il est necessaire de clarifier quelques points.

En premier lieu, les tribunaux quebecois avaient-ils affaire a une question d'immunite de juridiction ou bien d'immunite d'execution, puisque le but de la demande de reconnaissance reposait sur l'execution de la decision de 2008 sur les biens de l'Irak au Quebec, biens qui faisaient l'objet des saisies avant jugement ? A priori, on penserait execution, mais aussi juridiction, car dans n'importe quelle procedure, il faut d'abord se demander si le tribunal (ici quebecois) est competent.

Dans son memoire pour la Cour supreme, KAC avait soutenu que l'Irak ne pouvait pas invoquer l'immunite de juridiction lors de la demande de reconnaissance au Quebec de la decision du juge Steel, au motif qu'il avait deja statue sur cette question. Ce n'est qu'au stade de l'execution de cette decision sur les biens appartenant a l'Irak que la question de l'immunite pouvait se poser, et il s'agirait alors uniquement de l'immunite d'execution (11).

En effet, en vertu de l'article 3158 CcQ, les tribunaux quebecois ne pouvaient proceder a l'examen au fond de cette decision, ce qui comprenait la decision du juge Steel sur la question d'immunite de juridiction. Nous sommes en desaccord. Qu'il s'agisse d'une question de reconnaissance ou d'execution d'une decision etrangere, dans les deux cas, l'Etat etranger poursuivi peut invoquer son immunite, soit de juridiction, soit d'execution, une fois la decision reconnue par les tribunaux du Quebec. La question de l'immunite de juridiction a ce stade de la reconnaissance n'a aucun lien avec l'article 3158 CcQ car il s'agit d'une question de procedure preliminaire a la demande de reconnaissance judiciaire proprement dite. C'est ce qu'a reconnu la Cour supreme, car la demande de reconnaissance << constitue une demande en justice qui donne ouverture a un debat contradictoire regi par les regles generales de la procedure civile, comme le prevoient les articles 785 et 786 du Code de procedure civile >> (12). Par consequent, la demande de reconnaissance judiciaire demeure une << instance >> au sujet de laquelle l'immunite de juridiction reconnue par la loi canadienne sur l'immunite des Etats s'applique.

Les actions intentees par KAC contre IAC ayant debute en janvier 1991, soit avant l'entree en vigueur du nouveau Code civil du Quebec en 1994, il fallait determiner quel code s'appliquait : l'ancien ou le nouveau ? A la lumiere de l'article 170 de la Loi sur l'application de la reforme du Code civil (13), la Cour supreme appliqua le nouveau code, car il s'agissait d'une demande de reconnaissance d'une decision rendue en 2008.

Cependant, la Cour supreme tint compte du fait que la decision de 2008 etait basee sur des decisions anterieures condamnant les actes frauduleux commis par l'Irak dans des procedures entamees en 2000 et 2003, apres la promulgation du Code civil du Quebec. Cela n'etait pas necessaire, car comme l'a dit cette Cour : << [C]e n'est pas au debut des [procedures] qu'il faut remonter pour etablir la date pertinente quant au droit applicable >> (14).

La Cour supreme aurait pu s'en tenir a la lettre de l'article 170, qui ecarte l'application des dispositions du nouveau code aux decisions deja rendues et aux instances en cours avant sa promulgation. Peu importe que les actes de l'Irak aient eu lieu avant ou apres la promulgation du Code civil du Quebec en 1994. Seule comptait la date du jugement dont KAC se prevalait pour saisir les biens de l'Irak au Quebec, c'est-a-dire la decision intervenue en 2008. C'est logique puisqu'il ne s'agit pas de juger directement des faits, mais de savoir ce qu'on va faire de la decision etrangere. Il est peu probable qu'a l'avenir il y ait encore beaucoup de litiges portant sur la reconnaissance de decisions etrangeres soulevant la question de la date pertinente quant au droit applicable. Sur la question de savoir si la LIE canadienne fait partie du droit quebecois, la Cour supreme fut d'avis que l'article 3076 CcQ comprend non seulement les dispositions du Code civil du Quebec se rapportant au droit international prive, ce qui comprend la reconnaissance et l'execution des decisions etrangeres, mais aussi les << regles de droit en vigueur au Quebec dont l'application s'impose en raison de leur but particulier >>. Par consequent, la LIE ainsi que le droit international public font partie du droit applicable au Quebec. Meme si l'article 3076 CcQ est tres large dans sa formulation, on peut soutenir qu'il ne couvre que les conflits de lois. Ainsi, on peut discuter du sens de l'expression << but particulier >>. L'idee etait clairement d'integrer la methode de Francescakis (15), mais on n'a pas reproduit le critere de protection des interets fondamentaux de l'Etat au sens large. Comment le droit international prive quebecois serait-il << sous reserve d'une loi federale >> qui a preseance sans qu'il soit necessaire de l'ecrire ? La...

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