L'affaire Chaoulli et le systeme de sante du quebec : cherchez l'erreur, cherchez la raison.

AuthorPremont, Marie-Claude

La Cour supreme du Canada a introduit une nouvelle facon de traiter de la violation des droits de la personne dans sa decision controversee de l'affaire Chaoulli, ce qui en fait une decision pour le moins insolite. La Cour supreme avait toujours respecte la regle qui veut que la decision ou la norme invalidee soit la cause, directement ou par ses effets, de la violation alleguee d'un droit protege par la Charte. La decision Chaoulli ne repond pas a cette exigence. La violation du droit a la vie, a la surete et a l'integrite de la personne est soulevee par les listes d'attente deraisonnables affectant certaines personnes pour obtenir certains soins. Aucun lien avec la norme juridique invalidee de la prohibition de l'assurance privee n'a ete etabli.

L'interpretation de cette decision exige donc du juriste une prudence qui demontre les limites qui s'en degagent. D'une part, la levee de la prohibition de l'assurance privee ne vaut que pour les medecins non participants au regime public, qui composent moins d'un demi d'un pour cent des effectifs medicaux du Quebec. Non seulement cette reponse de la Cour est-elle notoirement inefficace pour repondre a la problematique qui lui etait soumise, mais en plus, cette intervention judiciaire est meme conditionnelle a son inefficacite. En effet, la levee de la prohibition de l'assurance privee est conditionnelle au maintien du statut du medecin participant qui lui interdit toute forme de remuneration privee, directement du patient ou par une couverture d'assurance privee. Une seule chose se degage clairement de cette decision: le role des tribunaux s'arrete la ou la conception des politiques sociales commence.

The Supreme Court of Canada has introduced a new approach to human rights violations in its controversial Chaoulli decision, making it a judgment that is peculiar at best. The Supreme Court had always respected the rule requiring that the impugned legal norm be the cause of the alleged Charter violation, whether directly or by its effects. The Chaoulli decision does not follow this requirement. The violation of the right to life, security, and integrity of the person is raised by unreasonable waiting lists that affect certain persons in obtaining certain types of care. No link to the impugned juridical norm prohibiting private insurance was established.

Interpreting this decision requires a cautions approach that respects its inherent limits. By lifting the prohibition on private insurance, the Court's decision only applies to doctors who do not participate in the public system, and who make up less than half of one per cent of Quebec's medical community. Not only is this judicial response notoriously inefficient as a solution to the problem at hand, but it is actually conditional upon its inefficiency. Indeed, lifting the prohibition on private insurance is contingent upon maintaining the status of participating doctors a status that prohibits any form of private remuneration, either directly from the patient or from private insurance. One clear point emerges from this decision: the courts' role ends where social policy begins.

  1. Quel est ce jugement dont on parle tant ? A. Quelle importance ? B. Qui sont les demandeurs ? C. Qu'ont-ils demande au tribunal ? D. La decision de la Cour superieure du Quebec E. La decision de la Cour d'appel du Quebec F. La decision de la Cour supreme du Canada 1. L'opinion de la juge Deschamps reposant sur la Charte quebecoise, dont seule la conclusion fait l'objet d'une majorite de quatre juges 2. L'opinion de trois juges reposant sur la Charte canadienne 3. L'opinion de trois juges dissidents II. Cherchez l'erreur A. Une particularite insolite B. Un feu rouge brule par la Cour: l'absence du lien causal 1. La norme est la cause directe de l'atteinte 2. Les effets de la norme contestee sont la cause de l'atteinte III. Cherchez la raison A. Absence de competence dans la conception des politiques sociales B. Qu'ont obtenu les requerants du recours judiciaire ? C. Les delais d'attente deraisonnables : la condition inextricablement rattachee a l'intervention de la Cour supreme D. La levee de l'interdiction de l'assurance privee : simple exutoire Conclusion I. Quel est ce jugement dont on parle tant?

    A. Quelle importance?

    Le 9 juin 2005, la Cour supreme du Canada a rendu un jugement qui a fait couler beaucoup d'encre et qui alimente les speculations quant a l'avenir du systeme de sante au Quebec et au Canada (1). Le jugement remet en cause les deux dispositions legislatives quebecoises qui interdisent la vente de l'assurance privee pour des services couverts dans le cadre des regimes publics d'assurance hospitalisation (2) et d'assurance maladie (3) du Quebec. Le regime d'assurance hospitalisation est entre en vigueur en 1961 et couvre tous les frais d'hospitalisation, a l'exception de l'acces aux chambres privees qui, lorsqu'elles sont disponibles, sont accessibles aux personnes pretes a en payer le prix ou a celles qui disposent d'une assurance privee qui en couvre le cout (4). Le regime d'assurance maladie, quant a lui, a ete adopte moins de dix ans plus tard, et est entre en vigueur le 1er novembre 1970. Il couvre le cout des services medicaux pour l'ensemble de la population et certains autres services pour des clienteles particulieres.

    Le jugement Chaoulli c. Quebec (P.G.) (5) est susceptible de jouer un role majeur pour l'avenir du systeme de sante au Quebec et au Canada. Les interpretations vehiculees par differentes personnes, differents organismes ou divers courants politiques de la societe quebecoise et canadienne varient beaucoup. A droite du spectre politique canadien, on y voit une opportunite pour promouvoir des changements importants aux principes fondamentaux de solidarite des regimes publics de sante du Canada, en faveur d'une privatisation de certains services et de l'introduction d'un systeme de sante a deux vitesses (6). A l'autre extremite, certaines organisations voient dans le jugement Chaoulli une indication que le droit aux services de sante publics fait partie de la palette des droits constitutionnels de tous les citoyens du pays (7). Ils y voient alors une opportunite d'exiger le renforcement du systeme de sante public (8).

    La reaction politique a ce jugement, dans un sens ou dans l'autre, revet donc une importance capitale pour l'avenir de nos systemes de sante. Tous les yeux sont pour l'heure rives sur le Quebec dont le gouvemement liberal a rendu public le 16 fevrier 2006 son livre blanc enoncant les propositions de reponse a la decision, qui seront soumises pour etude en Commission parlementaire (9).

    B. Qui sont les demandeurs (10)?

    Les deux demandeurs de l'affaire Chaoulli sont le medecin Jacques Chaoulli et le patient George Zeliotis. Le Dr Chaoulli n'est pas le medecin du patient Zeliotis et leurs demandes, qui presentent une similitude des conclusions recherchees, ont ete jointes par la procedure judiciaire pour des raisons strategiques.

    Le Dr Jacques Chaoulli, forme en France, a obtenu son droit de pratique au Quebec en 1986. Comme tout nouveau medecin, son accreditation administrative est jointe a une obligation de pratique en region pendant les trois premieres annees, soit de 1986 a 1989. Apres deux annees en region, il revient a Montreal. En reaction a la regle administrative qui lui interdit de facturer la Regie de l'assurance-maladie du Quebec (<< RAMQ >>) au plein tarif pour un an, il tente de mettre sur pied un service de consultation a domicile sur la Rive-Sud de Montreal. De plus, comme tout medecin omnipraticien ayant moins de dix annees de pratique, le Dr Chaoulli est soumis aux articles 360 et suivants de la Loi sur les services de sante et les services sociaux (11) qui lui permettent d'adherer a l'entente signee entre le ministere de la Sante et des Services sociaux et la Federation des medecins omnipraticiens du Quebec (<< FMOQ >>). Le Dr Chaoulli n'obtient pas la reconnaissance de son service aupres de la Regie regionale de la Rive-Sud et, puisque ses services a domicile ne sont pas reconnus selon les termes de l'entente regulierement conclue avec la FMOQ concernant les activites particulieres, il s'est vu imposer en 1996 une penalite de plus de 12000$, pour sa pratique non conforme aux regles administratives du regime (12). Il s'engage dans une campagne mediatique afm de recevoir une accreditation des autorites administratives, avec une manifestation devant l'Assemblee nationale du Quebec, suivie d'une rencontre avec le ministre de la Sante et des Services sociaux de l'epoque. Il entreprend une greve de la faim qui durera trois semaines, avec un intervalle ou il doit etre rehydrate a l'hopital.

    Il cesse sa greve de la faim et decide de prendre le statut de medecin non participant pour pouvoir offrir des services a domicile qui seront payes directement par les patients qui y feraient appel. Il opere un vehicule d'urgence avec gyrophares et sirene malgre le fait que les pouvoirs publics refusent de lui emettre le permis requis. Rien pourtant n'empeche le Dr Chaoulli de maintenir ses services a domicile comme medecin non participant. Il fait deux observations, au fil de ses visites: que ses patients ne sont pas assez nombreux pour assurer la rentabilite de son entreprise, mais aussi qu'ils sont plutot bien nantis. Il tentera egalement d'obtenir les autorisations pour mettre sur pied un hopital prive a but non lucratif. Il s'adresse d'abord au ministre de la Sante federal qui decline competence, puis a la Regie regionale qui refuse sa demande en mars 1998. En juillet 1998, il s'inscrit a nouveau a la RAMQ et reprend le statut de medecin participant en pratiquant dans une clinique sans rendezvous.

    Il entreprend peu apres les procedures judiciaires qui ont mene au jugement en cause. Le Dr Chaoulli a longuement explique devant la Cour superieure ce qu'il appelle << les etapes de son combat >> contre l'assurance sante publique qu'il croit << inspiree par la pensee...

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