L'Assemblee legislative du Nouveau-Brunswick.

AuthorDesserud, Donald

Lorsque le Nouveau-Brunswick est entré dans la Confédération, en 1867, les fondations du modèle de Westminster de démocratie législative (à savoir un gouvernement représentatif et responsable) étaient déjà en place. De telles institutions étaient typiques dans les autres colonies britanniques de l'époque, qui se caractérisaient par un électorat relativement restreint, une activité gouvernementale de portée limitée et des méthodes de prise de décisions élitistes. Toutefois, tandis que les institutions parlementaires et la culture politique d'autres anciennes colonies britanniques évoluaient de la fin du XIXe siècle au début du XXe, il semble que le Nouveau-Brunswick, lui, se soit figé dans le temps jusqu' aux années 1960, caractérisées par des changements radicaux sur le plan de la gouvernance, des services sociaux, de l'éducation et de la redistribution des revenus, grâce au programme visionnaire << Chances égales pour tous >> du premier ministre libéral Louis Robichaud. Depuis, une série de premiers ministres et de chefs de parti ont tenté de laisser leur marque sur la province. Quand les libéraux ont été battus en 2010, c'était la première fois, au Nouveau-Brunswick, qu 'un parti perdait le pouvoir après un seul mandat. Le présent article brosse le portrait de la démocratie législative au Nouveau-Brunswick, depuis ses origines au XVIIII siècle jusque dans les premières années du XXIe siècle.

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Au Canada, le gouvernement représentatif a pris racine en 1758, avec l'établissement d'une assemblée législative en Nouvelle-Écosse. Ce type de gouvemement était déjà bien établi au moment de l'arrivée massive des loyalistes à la suite de la Révolution américaine, dans les années 1780. À une certaine époque, la Nouvelle-Écosse englobait une grande partie des provinces Maritimes d'aujourd'hui, notamment le territoire situé au nord de la baie de Fundy, appelé alors comté (néo-écossais) de Sunbury. Ce territoire a accueilli bon nombre des loyalistes nouvellement arrivés qui, pour la plupart, se sont établis à Saint John (constitué en ville en 1784) et plus en amont, le long du fleuve Saint-Jean.

Compte tenu de la distance qui les séparait du siège du gouvernement, situé à Halifax, les nouveaux arrivants n'ont pas tardé à réclamer leur propre assemblée législative. Cette requête a soulevé peu d'opposition de la part des autorités à Halifax. La Nouvelle-Écosse était restée << neutre >> pendant la Révolution, même si de nombreux Néo-Écossais s'étaient montrés plus sympathiques à la cause révolutionnaire qu'à la cause loyaliste et n'étaient pas toujours d'accord avec les opinions politiques exprimées par les nouveaux venus loyalistes. Ces demiers, en retour, s'interrogeaient sur la loyauté de la Nouvelle-Écosse envers I'Empire. Quoi qu'il en soit, comme l'ont fait observer R. MacGregor Dawson (1) et J. R. Mallory (2), les nouveaux colons pouvaient s'en remettre à la common law britannique, car, en tant que colonie << établie >> (à l'opposé de conquise), ils avaient droit à une telle assemblée représentative. Exerçant sa prérogative royale, le roi George III a accédé à la demande des colons en 1784 et octroyé au comté de Sunbury le statut de colonie distincte, qu'il a baptisée Nouveau-Brunswick en hommage à ses terres ancestrales. Thomas Carleton en est devenu le premier gouverneur. Les premières élections ont eu lieu en novembre 1785, et l'Assemblée l¿gislative s'est réunie pour la première fois à Saint John au mois de janvier suivant.

Le nouveau gouvernement du Nouveau-Brunswick suivait le modèle utilisé dans les autres colonies. Le parlement, bicaméral, comprenait une chambre haute, appelée Conseil législatif, et une chambre basse, l'Assemblée législative. Le gouverneur nommait le Conseil législatif et, comme c'était le cas dans toute l'Amérique du Nord britannique avant l'avènement du << gouvernement responsable >>, le Conseil possédait plus de pouvoirs que l'assemblée élue. Toutefois, c'est le gouverneur, que le roi nommait par l'entremise de l'Office britannique des colonies, qui exerçait le plus de pouvoir ou qui, du moins, pouvait le faire s'il le voulait. En outre, tous les membres du Conseil législatif faisaient également partie du conseil privé du gouverneur, appelé Conseil exécutif. En cette qualité, en plus de s'acquitter de leurs fonctions 1égislatives, ils aidaient le gouvemeur à administrer et à gouverner la colonie. Le plus souvent, les conseillers se rétmissaient en tant que Conseil exécutif; toutefois, lorsque le parlement siégeait, ils se réunissaient en tant que Conseil législatif.

La pratique qui consiste à choisir le premier ministre et le Cabinet parmi les membres de l'assemblée élue, dont le gouvernement dépend pour son soutien, tire son origine des réformes parlementaires survenues en GrandeBretagne au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Dans le Haut et le Bas-Canada, de même qu'en Nouvelle-Écosse, ce sont des politiciens locaux charismatiques qui ont incité à la réforme, parfois dans la foulée de violentes protestations. Au Nouveau-Brunswick, en revanche, le gouvernement responsable a été instauré d'une façon plus progressive que brutale. La province comptait certes son lot de réformateurs, comme Charles Fisher et Lemuel Allan Wilmot, mais aucun n'a réussi à frapper l'imagination populaire avec autant de vigueur que Joseph Howe en Nouvelle-Écosse ou LouisJoseph Papineau dans le Bas-Canada. D'autre part, certains lieutenants-gouvemeurs du Nouveau-Brunswick de l'époque avaient peu d'intérêt pour la gouvernance quotidienne de leur colonie, tâche qu'ils ont déléguée en grande partie aux premiers ministres qui se sont succédé. Ces derniers ont rapidement trouvé utile de nommer des députés au Conseil exécutif. C'est ainsi que, par la suite, le premier ministre et le Conseil en sont venus à dépendre de l'appui de la chambre basse pour gouvemer. Quoi qu'il en soit, et avec l'avantage du recul, on peut affirmer que l'instauration d'un gouvemement responsable au Nouveau-Brunswick est, en grande partie, attribuable à une volonté de suivre l'exemple des autres colonies. En outre, la propension de l'Office britannique des colonies à s'ingérer dans les affaires du Nouveau-Brunswick n'a cessé qu'en 1867, à l'avènement de la Confédération. Comme dans le reste de l'Amérique du Nord britannique, le Nouveau-Brunswick s'est vu doté d'un gouvernement responsable en 1854, sans tambour ni trompette toutefois.

Cela ne veut pas dire que la politique au Nouveau-Brunswick au XIXe siècle était dénuée de passion. Curieusement, une indifférence relative à l'égard d'enjeux comme ceux du gouvernement responsable coïncidait avec une forte émotivité au sein de la population au sujet de la consommation d'alcool dans la province. Des factions politiques comme les << Rummies >> se colletaient avec les défendeurs de l'abstinence, tels les << Smashers >>, dont faisait partie celui qui deviendra premier ministre du Nouveau-Brunswick et l'un des pères de la Confédération, sir Samuel Leonard Tilley. Les diverses sociétés féminines antialcooliques ont aussi joué un rôle exceptionnellement actif en donnant une tribune aux Néo-Brunswickoises, qui étaient alors privées du droit de vote. Certaines de ces sociétés ont même rédigé des mesures législatives sur diverses causes sociales et convaincu des députés sympathisants de présenter des projets de loi en leur nom. Ces sociétés ont laissé en héritage aux Néo-Brunswickoises rien de moins que le droit de voter et de briguer les suffrages et, par leur flair politique et leurs aptitudes organisationnelles, ont largement contribué au succès de ce qui allait devenir la Women's Enfranchisement Association du Nouveau-Brunswick.

Le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, le Bas-Canada (futur Québec) et le Haut-Canada (futur Ontario) sont les provinces fondatrices du Canada. Cela dit, le Nouveau-Brunswick était réticent au départ à se joindre à la Confédération (3). Le premier ministre Tilley, qui dirigeait la délégation du Nouveau-Brunswick lors des rencontres sur la Confédération à Charlottetown et à Québec, a été défait lors des élections de 1865 sur la question de la Confédération par le Parti anticonfédération dirigé par Albert J. Smith. Le gouverneur de la province, Arthur Hamilton-Gordon, a cependant reçu l'ordre de l'Office britannique des colonies de destituer le gouvernement dûment élu et de déclencher d'autres élections, qui ont eu lieu en 1866. Cette fois, les Néo-Brunswickois ont compris la gravité de la situation, c'est-à-dire qu'ils n'avaient d'autre choix que de se joindre à la Confédération. Le Parti de la confédération, dirigé par Peter Mitchell, a alors remporté la victoire avec une importante majorité. Dans I'intervalle, Tilley avait quitté la politique provinciale. I! devait se joindre plus tard au premier Cabinet du premier ministre John A. Macdonald, à Ottawa.

Comme les autres provinces, le Nouveau-Brunswick a rapidement pris des mesures pour abolir sa chambre haute, le Conseil législatif, ce qui fut fait en 1891. La raison d'être de ce geste semble tenir davantage aux coüts de fonctionnement de la chambre haute qu'à une préoccupation quelconque quant à son statut élitiste. Néanmoins, le temps nécessaire pour abolir cette chambre a mis à mal la patience du premier ministre du Nouveau-Brunswick de l'époque, Andrew Blair (1883-1896). Ce dem ier se plaignait que les personnes qu'il avait nommées à la chambre haute -- choisies pour leur volonté présumée d'appuyer son programme de réformes -- montraient une alarmante indépendance dès qu'elles commençaient à y siéger. Andrew Blair a finalement obtenu le vote qu'il souhaitait; toutefois, le Conseil lui a imposé comme condition de le laisser siéger jusqu'aux prochaines élections. Le premier ministre a donc demandé et obtenu la dissolution du Parlement deux ans plus tôt que prévu. La loi ayant trait au Conseil législatif (An Act Relating to the Legislative Council) a aboli officiellement la chambre haute le 16 avril...

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