L'Assemblee legislative de l'Ile-du-Prince-Edouard.

AuthorMacKinnon, Wayne

Province House est sans doute mieux connue des Canadiens en tant que berceau de la Confédération, puisque c'est là que s'étaient réunis les pères de la Confédération en 1864. La construction de ce bâtiment de grès, aux lignes rappelant l'architecture gréco-romaine, a été terminée en 1847. L'édifice, qui est maintenant un lieu historique national, est une destination touristique de choix, mais demeure le siège de l'Assemblée législative. Au fil des ans, il a accueilli des visites royales, a servi pour des funérailles nationales et a été le lieu de maints rassemblements, débats, manifestations, protestations, occupations, célébrations, vigiles, délibérations. Il a même été la victime d'actes isolés de graffiteurs. Le présent article se penche sur l'évolution de l'Assemblée législative, du système électoral, de la culture politique de l'Île et de la façon dont elle s'exprime, ainsi que des procédures et des rouages législatifs.

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L'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard, créée en 1773, est le deuxième parlement le plus ancien du Canada, le premier, celui de la Nouvelle-Écosse, remontant à 1758. Il faut attribuer à l'un des dispositifs les plus inusuels de l'histoire coloniale britannique la mise en place et l'évolution du gouvernement colonial de l'Île. En 1767, dans la colonie qui faisait alors partie de la Nouvelle-Écosse, les terres étaient attribuées par tirage au sort. Les propriétaires devaient s'engager, comme conditions à l'octroi des concessions, à établir une colonie de protestants, à payer des quitrents à la Couronne (redevances destinées à remplacer les corvées) et à respecter d'autres exigences. Les nouveaux propriétaires, dont beaucoup n'entendaient pas respecter les conditions de leurs concessions, pétitionnèrent alors la Couronne pour réclamer l'établissement d'un gouvernement distinct échappant à l'influence de la Nouvelle-Écosse. En retour, ils s'engagèrent à payer la totalité des dépenses de ce nouveau gouvernement colonial. C'est ainsi que l'Île-du-Prince-Édouard devint une colonie autonome en 1769. Les conflits qui ont suivi, entre les propriétaires absents et les métayers, la fameuse > (la Question des terres), allaient dès lors dominer la vie politique de l'Île pendant plus d'un siècle.

Au début, l'administration de la nouvelle colonie relevait uniquement du gouverneur, d'un conseil législatif nommé ainsi que d'une cour suprême. Le Conseil législatif aurait normalement dû compter 12 membres, mais le premier gouverneur, Walter Patterson, limita ce nombre à sept, faute d'avoir pu trouver davantage de candidats convenables pour cette fonction dans cette petite colonie en butte à maintes difficultés. Malgré toutes ses tentatives, Patterson ne parvint pas à percevoir les quitrents. La mise sur pied d'une assemblée, conformément aux souhaits des habitants, était vue comme une façon d'avaliser les actions de l'administration. C'est dans ce contexte que, le 7 juillet 1773, l'Assemblée législative de l'Île-du-Prince-Édouard se réunit pour la première fois. Ses premiers actes consistèrent à confirmer les mesures précédemment prises par le gouverneur et par le Conseil législatif.

La colonie étant peu nombreuse et ses résidents peu instruits, on limita à 18 le nombre de membres de l'Assemblée. Ces derniers étaient élus par tout résidant protestant de sexe masculin âgé de plus de 21 ans. Le folklore veut que la toute première assemblée se réunit dans une taverne de Charlottetown est c'est là qu'après avoir embrassé du regard les élus présents, que le sergent d'armes aurait déclaré >. Il fut sanctionné pour son écart (1).

Dans le petit monde de la politique prince-édouardienne, les rivalités ne tardèrent pas à apparaître et des conflits éclatèrent entre les diverses factions de la population. Les désaccords et les différends avec le Bureau des colonies étaient constants et il s'avéra difficile, voire impossible, d'obliger les propriétaires à respecter les conditions de leurs concessions. La corruption était généralisée et la colonie progressait à pas de tortue. Moins de 15 ans après être devenue une colonie distincte, l'Île-du-Prince-Édouard fut, de nouveau, placée sous la houlette du gouverneur de la Nouvelle-Écosse. La charge de gouverneur de l'Île-du-Prince-Édouard fut abaissée au rang de lieutenant-gouverneur. Dans une lettre du Bureau des colonies adressée à Patterson, on peut lire : >

À l'époque, tout comme aujourd'hui, les structures gouvernementales de l'Île-du-Prince-Édouard étaient le reflet de la situation constitutionnelle complexe d'une petite province. Bien que la minuscule colonie ait disposé de tout l'appareil propre au modèle de Westminster, l'Assemblée législative se démenait pour trouver sa place sur l'échiquier politique et faire reconnaître ses privilèges parlementaires. Le système politique était dominé par le Conseil exécutif et le Conseil législatif nommés et, de surcroît, essentiellement composés des mêmes personnes. L'Assemblée fut régulièrement dissoute par les gouverneurs qui se succédèrent, espérant ainsi parvenir à une législature plus disciplinée. Il est arrivé que les gouverneurs refusent même de convoquer les membres pour les sessions régulières. Les députés étaient relativement pauvres, peu outillés et désorganisés. Un gouverneur, qui chantait les louanges des membres des deux conseils de gouvernement a fort bien décrit l'attitude des cliques dirigeantes de l'époque : > dont la tâche était de > sur cette assemblée (3). Il bloqua toute tentative lancée par la législature en vue d'obtenir plus de pouvoirs, affirmant : >. Sa perception de l'électorat était tout aussi méprisante, puisqu'il déclara au sujet des Prince-Édouardiens qu'on avait >. Pour Frank MacKinnon, l'Assemblée législative >.

Tandis que la colonie prenait graduellement de l'essor, le nombre de membres de l'Assemblée législative fut porté à 24 en 1839. À la même époque, la seule et unique circonscription de la colonie fut subdivisée en quatre circonscriptions de deux élus chacune dans chacun des trois comtés. (Ce nombre allait ensuite être de nouveau augmenté en 1856 pour passer à 30 élus dans cinq circonscriptions binominales par comté.)

L'Assemblée législative entreprit diverses réformes, mais les partis politiques mirent beaucoup de temps à se constituer. L'une des formations qui connurent le plus de succès fut le Parti de la déshérence, qui remporta une majorité de sièges dans les années 1830. Il voulait que les terres des propriétaires qui n'avaient pas respecté les conditions initiales de leurs concessions soient rendues à la Couronne pour être redistribuées aux métayers. Comme bien d'autres mouvements réformistes et protestataires des premières années, cette tentative fut bloquée par les > des propriétaires londoniens, avec la complicité de leurs représentants sur place qui dominaient le gouvernement et la vie politique de la colonie et qui pouvaient être capables d'intimidation.

L'Assemblée législative ne progressa pas beaucoup dans ses tentatives pour se faire reconnaître. En 1839, le conseil exécutif-législatif fut scindé en deux. L'Assemblée reçut trois sièges au Conseil exécutif, même si ces membres allaient être nommés par le gouverneur sans la sanction des députés. À la longue, le mouvement pour un gouvernement responsable finit par faire front commun avec ceux qui réclamaient la réforme agraire, entre autres. Il faut dire que de telles prises de position à l'Île-du-Prince-Édouard étaient inévitables après l'obtention d'un gouvernement responsable par la Nouvelle-Écosse, sous l'impulsion de réformateurs comme Joseph Howe et sous l'effet des agitations qui avaient ébranlé le Haut et le Bas-Canada. Pourtant, le Bureau des colonies estimait que l'Île-du-Prince-Édouard était encore trop petite et trop rétrograde pour avoir droit à un gouvernement responsable.

En 1850, le Parti de la réforme libérale, qui remporta 18 des 24 sièges de l'assemblée, se fixa pour grand objectif d'instaurer un gouvernement responsable. Malgré l'opposition persistante du gouvernement et la controverse que provoquait cette revendication dans la colonie, les libéraux n'en démordirent pas. Les dirigeants du parti se virent offrir des sièges au Conseil exécutif, mais ils rejetèrent l'invitation. Lors de la session de 1851, la législature se mit, à toutes fins utiles, >, adoptant une motion de censure du gouvernement et refusant de voter les subsides. Une pétition qui avait précédemment été déposée à l'Assemblée mentionnait que cette dernière refuserait de coopérer >.

C'est finalement le gouverneur qui trouva une sortie de crise en invitant Coles à constituer un gouvemement ayant la confiance de l'Assemblée législative. Quand ils furent nommés au Conseil exécutif, le 23 avril 1851, les libéraux de Coles venaient enfin de réaliser leur rêve, celui d'instaurer un gouvernement responsable. Ce fut sans doute l'une des grandes heures de l'histoire de l'Assemblée législative, même jusqu'à nos jours. On a dit à son sujet : >

Toutefois, avec la difficile réalité politique de la colonie, le gouvernement responsable n'allait pas être une panacée. Les rivalités entre religions, classes et groupes de la société, de même que les différences de personnalités et d'obédiences politiques furent la cause de coalitions changeantes et temporaires. Il en découla une instabilité politique : entre 1851, quand la colonie avait pu se doter d'un gouvernement responsable, et 1873, quand l'Île-du-Prince-Édouard intégra la Confédération, il n'y eut pas moins de 12 gouvernements. Les débats sur l'entrée de l'Île au sein de la Confédération, les efforts soutenus pour résoudre la question des terres et les machinations politiques entourant la construction du chemin de fer de l'Île-du-Prince-Édouard (qui allait mettre la colonie en faillite) ne firent qu'exacerber les tensions, mais aussi animer la vie politique troublée de la colonie.

L'avènement du gouvernement responsable relança la question de la réforme législative...

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