L'autonomie personnelle au coeur des droits ancestraux: sub qua lege vivis?

AuthorOtis, Ghislain
PositionCanada

In this article, the author examines how the Supreme Court's acknowledgment and definition of Aboriginal rights has altered conventional approaches to public authority, which view territory as a necessary and sufficient precondition for power. He concludes that Aboriginal rights lay the foundation for an indigenous governmental authority that departs substantially, though not entirely, from the territorial model imposed through colonialism. The author describes Aboriginal rights as jurisdictional rights, part of a rationale of governance separate from that of a generic inherent right to self-government that may be recognized in section 35 of the Constitution Act, 1982. To identify the relationship between Aboriginal authority and territory, the author notes that an Aboriginal right can exist without First Nations having control over territory, as many Aboriginal rights relate to social and cultural practices anchored hot in the territory but in communities themselves. The author also observes that nonmembers of such communities may be unable to benefit from Aboriginal rights, and that Aboriginal authority may therefore not extend to them.

The author considers that the principle of personality applies to the inherent right to self-government that may be recognized under the framework of section 35 of the Constitution Act, 1982. As a result, native self-government may extend beyond the Aboriginal group's territory, and many communities will hot have to wait for their land claims to be addressed before exercising some jurisdiction with respect to their members. Further, several personal laws may apply within one territory. Conflicts will unavoidably arise between these personal laws and must be resolved according to an "interpersonal law" whose fundamental principles remain to be articulated.

Dans cet article, l'auteur se demande dans quelle mesure la reconnaissance des droits ancestraux, tels que definis par la Cour supreme du Canada, vient modifier l'approche classique qui fait du territoire la condition necessaire et suffisante de la puissance publique. Il conclut que ces droits fondent un pouvoir gouvernemental autochtone qui rompt substantiellement mais non totalement avec le modele territorial herite de la colonisation. L'auteur qualifie d'abord les droits ancestraux de > participant d'une logique gouvernementale independante d'un droit general a l'autonomie qui serait reconnu aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour cerner le rapport entre le pouvoir autochtone et le territoire, l'auteur rappelle qu'un droit ancestral peut exister sans que les autochtones n'aient le controle d'un territoire et que plusieurs droits ancestraux concernent plutot des pratiques sociales et culturelles dont le siege est la communaute elle-meme. L'auteur avance aussi que les non-membres ne pourront pas jouir d'un droit ancestral, ce qui fait que, dans bien des cas, le pouvoir du groupe ne pourra s'etendre a ceux-ci.

L'auteur estime que le principe de personnalite sera applicable au droit inherent a l'autonomie reconnu dans le cadre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et que, par consequent, l'autonomie gouvernementale autochtone s'etendra au-dela du territoire communautaire. En outre, plusieurs communautes n'auront pas a attendre que leur revendication territoriale soit reglee avant d'exercer certaines competences a l'egard de leurs membres en vertu des droits ancestraux. De plus, une pluralite d'ordres juridiques applicables aux individus en fonction de leur statut personnel pourront coexister sur un meme territoire. Des conflits surviendront immanquablement entre ces ordres juridiques et devront etre regles conformement aux prescriptions d'un > dont les principes de base restent a identifier.

Introduction I. La personnalisation juridique de la communaute autochtone investie de > II. L'eclatement du couple communaute-territoire dans l'ancrage du pouvoir autochtone III. L'autonomie personnelle et le droit inherent a l'autonomie gouvernementale Conclusion: les defis d'un nouveau droit interpersonnel Introduction

Cette etude a pour objet de demontrer qu'un des effets, peut-etre le plus insoupconne, de la reconnaissance constitutionnelle des droits ancestraux des peuples autochtones est de mettre a mal l'hegemonie du territoire dans notre maniere de penser la gouvernance autochtone contemporaine. Il s'agit ici de faire valoir que le regime des droits ancestraux mis en place par la Cour supreme en s'appuyant sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (1) fait apparaitre les premices d'un veritable ordre autonome autochtone fonde en grande partie sur le principe de personnalite--c'est-a-dire sur le rattachement personnel des individus au groupe--plutot que sur le principe de territorialite qui, depuis l'avenement de l'Etat, fonde la puissance publique sur le controle d'un espace lineairement circonscrit.

Le colonisateur europeen a fort prise la logique geometrique de la territorialite, selon laquelle pouvoir et droit procedent de la cartographie politique. La reserve, par la fixation spatiale et le confinement a la fois geographique et culturel qu'elle opere, a bien servi l'entreprise de mainmise de la Couronne sur le continent. Loves dans leur cocon identitaire, les autochtones pouvaient ainsi, par le biais de > inventes ou instrumentalises, participer a l'administration etatique de leur espace communautaire. Si aujourd'hui l'heure est a la reparation du prejudice passe et a l'autodetermination, la figure de la reserve, c'est-a-dire le terroir exclusif et culturellement homogene repute protecteur de la difference autochtone, montre une resilience voire une vitalite incontestable dans le discours autochtone (2), la pensee juridique et les politiques gouvernementales (3).

Dans le recit juridique conventionnel de l'>, le lien insecable entre la communaute autochtone et le terreau des ancetres est constitutif non seulement de l'identite mais aussi des droits fonciers et politiques de cette communaute (4). La terre devient alors un >, entendu dans son acception occidentale de support spatial de la puissance publique, de sorte que la collectivite > acquiert ipso jure la qualite de corps politique. Certes, le calquage de l'espace politique sur le bornage des proprietes n'est pas parfait, puisque tant les politiques gouvernementales actuelles (5) que les accords recents conclus entre les gouvernements et des peuples autochtones (6) envisagent certaines competences personnelles des gouvernements autochtones a l'egard de leurs membres vivant a l'exterieur de l'assise territoriale communautaire (7). Mais le fait meme que cette personnalite ne soit consideree que comme une forme limitee d' > valide en quelque sorte le primat inconteste du referent territorial dans la gouvernance autochtone (8).

Idee aux origines relativement anciennes (9), l'autonomie personnelle--plutot que purement territoriale--des groupes nationaux infra-etatiques suscite depuis la fin de la guerre froide un regain d'interet parmi les specialistes des questions identitaires propres aux Etats comportant des nations ou communautes multiples (10). Le debat entre les tenants de la territorialite et les adeptes de la personnalite n'a toutefois pas encore pris d'ampleur parmi les specialistes du droit autochtone. Cet article, qui met au jour les tendances lourdes du droit positif, a pour objet de contribuer a la reflexion des juristes sur l'articulation de la territorialite et de la personnalite dans le droit canadien relatif aux peuples autochtones. Il fait ressortir la correlation systemique entre les caracteristiques fondamentales des droits ancestraux, tels qu'ils sont definis par la jurisprudence, et l'emergence d'une forme d'autonomie personnelle autochtone au Canada.

L'amenagement de l'autonomie autochtone qui se dissocie du territoire, ou a tout le moins l'attenuation du territorialisme traditionnel, tient a la conjonction d'au moins deux phenomenes propres a la construction judiciaire des droits ancestraux: (1) la personnalisation juridique de la communaute autochtone investie de droits-competences et (2) la personnalisation des droits ancestraux par l'eclatement du couple communaute-territoire dans l'ancrage du pouvoir autochtone. Chacun de ces phenomenes correspond a un moment analytique essentiel a la bonne intelligence de la > substantielle de l'autonomie autochtone que les droits ancestraux portent en germe.

La presente etude n'evalue toutefois pas, du point de vue de leur opportunite politique et operationnelle, les merites respectifs de la territorialite et de la personnalite dans l'amenagement d'institutions autochtones autonomes. Cette critique normative a recemment fait l'objet d'une etude (11). Il s'agit plus modestement de faire percevoir un mouvement fondamental qui travaille le droit constitutionnel positif, d'en tirer certaines consequences et d'identifier les defis qui resultent de la necessite de mettre en oeuvre un nouveau type de pluralisme personnel. S'il est vrai que les manifestations de ce dernier dans les debats judiciaires restent pour l'heure tres embryonnaires, l'essai de prospective propose ici permet a tout le moins d'ouvrir les yeux sur ce qui se profile a l'horizon de la gouvernance autochtone fondee sur le modele des droits ancestraux (12).

  1. La personnalisation juridique de la communaute autochtone investie de >

    La condition juridique premiere de l'eclosion d'un regime d'autonomie consistera a reconnaitre a une collectivite autochtone le statut de communaute politique independante dotee de competences gouvernementales protegees. Cette condition serait d'emblee satisfaite s'il etait admis, en droit positif etatique, qu'un droit a l'autonomie gouvernementale stricto sensu--a savoir la capacite generale d'un peuple autochtone de se gouverner au plan interne--se trouvait deja reconnu et confirme par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (13). Nous n'en sommes...

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