L'effet de la Confederation sur les depenses publiques provinciales, ou l'origine du desequilibre fiscal.

AuthorMigneault, Gaetan
PositionCanada
  1. INTRODUCTION

    Depuis 1867, un debat perdure quant a l'effet que la Confederation ait pu avoir sur des petites provinces comme le Nouveau-Brunswick. D'un cote, certains chercheurs et chercheuses et politiciens et politiciennes (ci-apres >) soutiennent que le sous-developpement economique des provinces maritimes est en partie du aux conditions de l'union favorisant les interets du centre (1), alors que de l'autre cote, les auteurs et auteures (ci-apres >) attribuent ce declin a la situation de la region (2). Il semble y avoir une correlation entre le developpement economique des nations et leur contexte juridico-institutionnel (3), mais ceci explique mal les disparites observees a l'interieur d'un meme Etat. Dans ce second cas, il faut plutot etudier la structure administrative du pays et la distribution des pouvoirs parmi ses membres. Plusieurs ouvrages existent a ce sujet de la perspective du gouvernement central (4) , alors que ceux presentant le point de vue provincial sont plutot rares. Un article recent a aborde l'encadrement legal des termes financiers de la Loi constitutionnelle de 1867 (5) en ce qui concerne le Nouveau-Brunswick (6), mais sans toucher aux depenses publiques provinciales.

    S'il est incontestable que l'union eut un impact negatif sur les revenus du gouvernement du Nouveau-Brunswick (7), ceci n'implique pas automatiquement une degradation de sa situation financiere. Dans la mesure ou la Loi constitutionnelle de 1867 transfera au gouvernement federal les competences les plus dispendieuses, une reduction des recettes peut avoir ete compensee par une baisse correspondante des depenses. Sinon, la Constitution etablit l'incapacite systemique des provinces de pourvoir a leurs propres besoins. L'objectif de ce texte est de verifier l'effet que le cadre legal confederatif a eu sur les comptes publics provinciaux. Bien que cet exercice soit difficile a mener, car les restrictions au pouvoir de taxation (8) ne s'appliquent pas au pouvoir de depenser (9), notre argument est que le desequilibre fiscal d'aujourd'hui tire sa source de l'entente constitutionnelle originale. A l'aide des debats legislatifs, nous savons qu'il fut meme anticipe par certains politiciens, malgre le fait que les Peres de la Confederation ne firent rien pour remedier a ce desequilibre fiscal. Certains acteurs et actrices (ci-apres >) previrent les retombees budgetaires, et l'etude des depenses provinciales avant et apres 1867 appuie leur position. Cet enjeu est important surtout pour le Nouveau-Brunswick, plus vulnerable aux termes convenus : la moins populeuse des quatre provinces initiales, elle fut la moins influente et, contrairement a la Nouvelle-Ecosse, par exemple, elle ne reussit pas a obtenir une bonification unilaterale de ses conditions financieres suite a la Confederation (10). Sa situation actuelle est le resultat direct du texte constitutionnel adopte en 1867.

    Les depenses publiques sont l'une des preoccupations que les acteurs de l'epoque eurent a l'esprit. Par exemple, le 3 decembre 1864, en reponse au projet des Resolutions de Quebec soumis par les provinces, le secretaire d'Etat aux colonies exprima l'avis que:

    Un des points les plus importants du projet est la depense qu'entrainera le fonctionnement du gouvernement central et des gouvernements locaux. Le gouvernement de Sa Majeste a le ferme espoir qu'on arrivera a regler cette question sans trop augmenter les depenses globales et sans trop accroitre les impots, ce qui pourrait retarder le developpement industriel ou imposer de nouvelles charges au commerce du pays (11). Cette preoccupation fut aussi exprimee au niveau local, comme le demontre une lettre du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick cherchant des directives quant a la facon de donner effet a l'obligation federale de construire le Chemin de fer Intercolonial. A son avis, toute legislation du parlement imperial compromettrait le role du gouvernement federal sur le controle de ses depenses (12). Les autorites des deux cotes de l'ocean comprirent que le droit ne s'exerce pas en vase clos et que les termes legaux d'une union allaient affecter les responsabilites et les depenses de chaque ordre de gouvernement. Cette etude verifie l'interaction entre un document juridique et les operations de l'une des entites provinciales.

    Afin de mieux saisir l'effet de la Confederation sur les depenses publiques du Nouveau-Brunswick, ce texte propose de proceder en deux etapes. D'abord, il s'arrete aux avis exprimes par les politiciens dans le cadre des debats sur le sujet de l'union. A cet egard, il semble qu'on n'anticipa pas une transformation majeure des responsabilites provinciales (13). Ensuite, pour bien evaluer les retombees du document juridique, il etudie l'application du libelle de la Constitution par les autorites. Un pouvoir de legiferer n'entraine pas une obligation d'agir (14). Aussi, un chevauchement de competences peut preserver le role de chaque ordre de gouvernement. Une nouvelle Constitution n'entraine pas automatiquement un transfert de responsabilite. Les effets risquaient de se concentrer dans des domaines specifiques, comme la defense et les postes, attribues exclusivement au gouvernement central. Cependant, certaines competences n'appartenaient pas aux colonies avant la Confederation, etant sous le controle de Londres. Une analyse des allocations de depense immediatement avant et apres 1867 permet ainsi d'apprecier davantage la mesure dans laquelle l'union effectua un transfert des obligations financieres. Cette seconde section procede aussi en deux temps. D'abord, elle etudie les effets dans une perspective globale. Ensuite, elle explique cette information generale par l'analyse de six domaines specifiques associes a la mise en oeuvre du libelle de la Constitution.

  2. LES EFFETS ANTICIPES DE LA CONFEDERATION SUR LES DEPENSES PUBLIQUES

    En acceptant une structure federaliste pour le nouveau pays, les Peres de la Confederation comprirent que l'autorite legislative serait divisee entre un gouvernement central et des gouvernements locaux. Chaque palier aurait ses propres responsabilites dans ses spheres respectives en controlant ses programmes publics, leurs parametres, et les fonds a y consacrer, le cas echeant. En contrepartie du pouvoir confere au parlement federal de prelever des deniers par toute mode de taxation (15), les acteurs s'entendirent pour accorder un subside perpetuel a chaque province selon leur population respective en 1861 (16), en plus d'une allocation additionnelle d'une decennie au Nouveau-Brunswick (17) . > (18). Sauf pour diviser les responsabilites constitutionnelles entre les paliers legislatifs (19) et definir quelques obligations financieres du gouvernement central (20), les Resolutions de Quebec furent silencieuses sur le sujet des depenses publiques provinciales (21) ; il faut s'en remettre a d'autres sources pour determiner les effets anticipes de l'union sur les comptes du Nouveau- Brunswick.

    La population du Nouveau-Brunswick s'opposa rapidement aux resolutions adoptees a Quebec, en octobre 1864. A son retour de la conference, le gouvernement voulut faire tel qu'indique a la resolution 70 et soumettre les termes a l'approbation de l'Assemblee legislative, mais une dissension dans le cabinet l'incita plutot a declencher des elections generales. Avec la publication du texte de l'entente dans la Gazette royale du 25 janvier 1865 (22), les habitants et habitantes (ci-apres >) purent en prendre connaissance avant de s'exprimer au scrutin du printemps. A la consternation de Londres et des provinces voisines, le parti pro-confederatif fut balaye du pouvoir. La reaction de la Grande-Bretagne nous informe qu'elle considera la defense, a ce moment, comme relevant de sa responsabilite. Dans une lettre du 24 juin 1865 du secretaire d'Etat aux colonies, il fut ecrit :

    Mais il est un aspect sur lequel le gouvernement de Sa Majeste croit devoir particulierement insister aupres de la legislature [du Nouveau-Brunswick]. Vu que ce pays a toujours manifeste sa volonte de considerer la defense des colonies comme un probleme interessant tout l'Empire, les colonies doivent reconnaitre au gouvernement de la metropole le droit, voire l'obligation, de reclamer formellement, et, en toute justice, d'autorite les mesures les plus opportunes qu'il juge devoir etre prises par les colonies afin d'assurer leur propre defense [nos italiques] (23). Ce dernier avait deja exprime l'avis, le 12 avril 1865, que > (24). Ainsi, sur ce sujet, les effets anticipes de la Confederation sur les depenses provinciales furent negligeables puisque les Resolutions transfererent directement de Londres au gouvernement central la responsabilite sur la > [notre traduction] (25). Londres se reserva longtemps aussi la competence sur l'amiraute (26)et les relations exterieures (27), deux autres domaines attribues au parlement federal en vertu des Resolutions de Quebec (28).

    Cela etant dit, a l'exception du pouvoir de depenser, le pouvoir executif suit habituellement l'autorite legislative (29). En ce sens, un gouvernement agit generalement a l'interieur des spheres de competences lui etant reservees, incluant les depenses correspondantes. Une etude des Resolutions de Quebec permit donc aux politiciens de l'epoque d'anticiper les obligations financieres des provinces sous le regime propose. En effet, a l'Assemblee legislative du Nouveau-Brunswick, les parties aborderent l'enjeu des responsabilites locales. Une premiere analogie, invoquee aussitot que le 12 septembre 1864 pour decrire le nouveau statut des provinces, fut celle des > (30), en relation a l'ampleur des fonctions leur etant attribuees. L'idee fut reprise en Chambre lors du debat sur la resolution en opposition a la Confederation (31). Le 30 mai 1865, un depute exprima un avis similaire lorsqu'il affirma :

    What would we have been had Confederation taken place under this scheme? Would we have been a Province? certainly not. O, it is said we...

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