L'evolution du dialogue entre le Canada et l'OIT en matiere de liberte d'association : vers une protection constitutionnelle du droit de greve?

AuthorChoko, Maude

Le 8 juin 2007, la Cour supreme du Canada renversait sa jurisprudence des vingt dernieres annees en matiere de liberte d'association. La majorite des juges reconnurent que l'article 2(d) de la Charte canadienne des droits et libertes protegeait le droit au processus de negociation collective. Ce faisant, la Cour renoncait aux motifs de la majorite exprimee des la trilogie de 1987 sur la question et donnait enfin sa place au droit international du travail, en particulier aux principes de la liberte syndicale elabores par les organes de controle de l'Organisation internationale du travail. L'analyse de ces principes, orientee vers trois droits sous-jacents a la liberte syndicale, soit le droit a la negociation collective, le droit de greve et le droit de non-association, permet de constater que pour, la premiere fois, le Canada fait preuve d'un plus grand respect de ses obligations internationales en cette matiere. Reste a voir le sort que la Cour reserve au droit de greve.

On 8 June 2007, the Supreme Court of Canada overruled its past twenty years of case law on freedom of association. The majority of the judges agreed that section 2(d) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms protects the right to the process of collective bargaining. In doing so, the SCC rejected the ratio of the majority enunciated in the 1980 truogy dealing with this question and, at last, gave ininternational labour law its place, especially in terms of the principles of freedom of association elaborated by the International Labour Organization's supervisory bodies. The analysis of these principles, focused on three rights underlying freedom of association--the right to collective bargaining, the right to strike, and the freedom not to associate--allows the author to conclude that for the first time, Canada is showing greater respect for its international obligations. It remains to be seen what the Court will decide in terms of the right to strike.

Introduction I. La source des positions divergentes du Canada et de l'OIT au lendemain de l'adoption de la Charte : la trilogie et la decision TWO de la Cour supreme du Canada A. Les decisions de la Cour supreme du Canda a l'origine de la position du Canada B. Les obligations internationales du Canada C. Conclusions et recommandations du CLS quant aux lois contestees devant la Cour supreme du Canada dans la trilogie II. L'irritation grandissante de l'OIT face a l'attitude du Canada (1982 a 2001) A. Negociation collective B. Greve 1. Le CLS 2. La CEACR III. Un rapprochement insuffisant : les suites de la decision Dunmore (2001 a 2007) IV. Un veritable dialogue s'engage entre l'OIT et le Canada : le changement de ton apporte par la decision BC Health Services Conclusion : Et le droit de greve? Introduction

La Cour supreme du Canada devrait rendre sous peu une nouvelle decision (1) au sujet d'une violation de l'article 2(d) de la Charte canadienne des droits et libertes (2). Dans l'attente de cette decision, on peut se demander si la Cour poursuivra la construction de la definition de la protection constitutionnelle de la liberte d'association dans la meme voie que celle empruntee lors de sa derniere decision en la matiere, soit la decision Health Services and Support--Facilities Subsector Bargaining Assn c. Colombie-Britannique (3). Dans cette decision, la Cour modifia drastiquement la portee de la liberte d'association sous l'article 2(d) de la Charte en accordant une protection constitutionnelle au droit au processus de negociation collective. Renversant sa jurisprudence anterieure, selon laquelle la portee de la liberte d'association n'incluait ni le droit de greve ni le droit a la negociation collective, la Cour invoqua, parmi d'autres motifs, le droit international du travail (4). Elle rejeta ainsi la definition de la liberte d'association elaboree dans ses premieres decisions interpretant l'article 2(d) de la Charte et donna pour la premiere fois un ton different au dialogue entre le Canada et l'Organisation internationale du travail (OIT) en acceptant de definir la liberte d'association en fonction des obligations internationales contractees par le Canada en matiere de liberte syndicale.

Ayant pour objectif de mieux saisir l'impact de la decision BC Health Services au niveau du dialogue entre le Canada et l'OIT en matiere de liberte d'association, le present article vise a situer la decision par rapport a l'evolution de ce dialogue depuis l'adoption de la Charte. Cette analyse permettra non seulement de determiner dans quelle mesure le Canada a respecte ses obligations internationales en matiere de liberte syndicale au fil des ans et d'evaluer de quelle facon la decision BC Health Services a modifie la position du Canada a ce sujet, mais egalement de faciliter la reflexion quant au sort desormais reserve au droit de greve. En effet, alors que la Cour a renverse sa jurisprudence anterieure en ce qui concerne la protection constitutionnelle du droit a la negociation collective, le droit de greve demeure exclu d'une telle protection et cette exclusion n'a, a ce jour, pas encore fait l'objet d'une remise en question (5).

L'article presente une retrospective du dialogue entre le Canada et l'OIT oriente autour de deux themes fondamentaux de la liberte syndicale, soit le droit a la negociation collective et le droit de greve. L'article porte, d'une part, sur les procedures de mise en oeuvre des traites elaborees a l'OIT, en particulier celle des plaintes a l'organe de controle nomme Comite de la liberte syndicale (CLS) (6) et, d'autre part, sur la position soutenue par le Canada en matiere de protection du droit a la negociation collective et du droit de greve, fondee sur l'interpretation de la Charte par la Cour. Pour favoriser la comprehension de l'evolution du dialogue, l'article procede de facon chronologique. La premiere section porte sur la periode suivant immediatement l'adoption de la Charte, alors que la Cour rendait ses premieres decisions en la matiere (I). Les decisions de la Cour (IA) seront mises en parallele avec les obligations internationales du Canada, selon la definition de la liberte syndicale de l'OIT (I.B), et avec les conclusions et recommandations du CLS au sujet des lois contestees dans les decisions de la Cour (I.C). Ensuite, la discorde, entrainee par la position du Canada fondee sur les decisions de la Cour et s'etalant sur une vingtaine d'annees, entre le Canada et l'OIT fera l'objet de l'analyse de la deuxieme section (II). Les propos seront illustres par deux series de cas du CLS, l'une liee a la negociation collective (II.A) et l'autre liee a la greve (II.B). Puis, la troisieme section sera consacree a l'impact de la decision Dunmore sur le dialogue entre le Canada et l'OIT (III). Enfin, la derniere section offrira une analyse des motifs de la Cour bases sur le droit international du travail dans la decision BC Health Services et un apercu des consequences de cette decision sur les relations entre le Canada et l'OIT (IV).

Avant d'entamer l'analyse, nous desirons faire quelques commentaires sur l'utilisation du terme << jurisprudence >> dans le present article pour designer le corpus de conclusions et recommandations du CLS. Nous entendons cette expression dans un sens large. Au-dela du fait que le CLS est defini comme un organe quasi-judiciaire a l'OIT, le fonctionnement du CLS et sa facon de rendre ses conclusions et ses recommandations nous permettent d'en conclure ainsi (7). Tout d'abord, le CLS utilise ses rapports precedents pour guider ses conclusions ulterieures. A la lecture des rapports du CLS, cette utilisation d'enonces de principes precedents est flagrante. Cette attitude s'explique sans doute par un souci d'assurer la legitimite de la procedure. Elle a de plus le merite de permettre une continuite et une coherence entre les rapports. Les Etats membres et les parties visees peuvent << s'attendre >> a un certain resultat selon les faits en cause. Une plus grande clarte des normes se degage, clarifiant ainsi leurs droits et obligations et favorisant la justice. Ensuite, les conclusions du CLS forment un ensemble de principes coherents, qui ont une force de persuasion significative et qui sont colliges tant dans les rapports que dans un recueil en facilitant la recherche. Il en resulte une tendance des parties a citer les conclusions de cas precedents a titre de reference pour influencer le CLS quant au sort de leur propre plainte. Dans ce contexte, l'ensemble des conclusions et recommandations du CLS ressemble a ce qu'on nomme << jurisprudence >> dans notre droit interne. Sans que l'organe de controle soit oblige d'appliquer le precedent, il doit neanmoins le considerer et celui-ci aura une influence sur son interpretation du cas etudie (8).

  1. La source des positions divergentes du Canada et de l'OIT au lendemain de l'adoption de la Charte : la trilogie et la decision TNO de la Cour supreme du Canada

    1. Les decisions de la Cour supreme du Canada a l'origine de la position du Canada

      En 1987, la Cour rendit les premieres decisions sur l'interpretation de l'article 2(d) de la Charte nouvellement adoptee. Il s'agit des decisions AFPC c. Canada (9), Renvoi relatif a la Public Service Employee Relations Act (Alberta) (10) et SDGMR c. Saskatchewan (11), designees comme la << trilogie >>. Ces affaires souleverent toutes la question de l'inclusion du droit de greve dans la protection constitutionnelle de la liberte d'association. De facon incidente, la protection du droit a la negociation collective fut egalement discutee. Ce n'est toutefois qu'en 1990 que ce point fut precise dans la decision Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire) (12). Des ses premieres interpretations, la Cour adopta une definition restrictive de la liberte d'association, excluant de la protection constitutionnelle tant le droit de greve que celui a la negociation collective.

      Tout d'abord, la Cour refusa de...

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