L'extinction des droits ancestraux des non-signataires de la Convention de la Baie-James: le test de la condition 14.

AuthorOtis, Ghislain

Introduction I. Le reve continental du dominion et la condition 14 A. Une expansion territoriale assortie d'engagements relatifs aux revendications territoriales autochtones B. La condition 14 concernant les revendications autochtones sur la Terre de Rupert C. L'extension territoriale du Quebec II. Le statut constitutionnel de la condition 14 A. Sa valeur supra-legislative B. Sa primaute confirmee par la jurisprudence III. La condition 14 engage l'honneur de la Couronne A. L'interpretation actuelle de /Arrete de 1870 B. L'interpretation symetrique des dispositions de l'Arrete et l'obligation de la Couronne d'agir honorablement IV. L'extinction unilaterale et le test de la condition 14 A. Le Parlement face aux dispositions de lArrete de 1870 relatives aux peuples autochtones B. Les conditions d'une conciliation honorable des interets sur un territoire non cede C. L'incompatibilite de l'extinction unilaterale avec les obligations constitutionnelles de la Couronne aux termes de l'Arrete de 1870 Conclusion > (Condition 14 de l'Arrete imperial de 1870) (1)

Introduction

Il y aura bientot quarante-cinq ans, le Parlement du Canada adoptait la Loi sur le reglement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord quebecois (2). Le legislateur enterinait ainsi la Convention de la Baie James et du Nord quebecois (3) (CBJNQ), le premier traite dit > a etre conclu au Canada, lequel reglait les revendications territoriales des peuples autochtones signataires, a savoir les Cris et les Inuit du Quebec (4). Ces derniers, en echange des droits et des avantages que leur garantit l'entente, renoncaient a leurs titres et a leurs interets autochtones (5) sur > (6). Ces terres nordiques sont de vastes etendues de foret boreale, de taiga et de toundra, serties de mille lacs sombres et veinees de rivieres aux grandes eaux torrentueuses, le pays nourricier de peuples premiers depuis des millenaires et socle de leur souverainete. A elles seules, ces terres representent plus de la moitie de la superficie du Quebec.

Au moment de la signature de la CBJNQ, d'autres peuples que ceux qui l'ont negociee et signee revendiquent des droits ancestraux sur le territoire >. En effet, les Anishnabeg, les Atikamekw Nehirowisiwok, les Innus et les Inuit du Labrador terre-neuvien (7) estiment que leur usage ancestral d'une partie de ces terres leur confere des titres ou des droits autochtones.

Or, l'article 2.6 de la Convention stipule que la legislation approuvant cette derniere > (8). Cette disposition ne vise pas seulement les > specifiquement designes comme les beneficiaires de la Convention (9). Elle pretend s'appliquer a tous les Indiens et tous les Inuit. Prises au depourvu, les communautes non signataires implorent, par la voix de leurs representants, les parlementaires federaux de ne pas mettre a execution l'engagement deteindre les droits de tous les peuples autochtones (10). Elles souhaitent voir leurs propres revendications sanctuarisees, en attendant d'etre a meme de les regler par la negociation a l'instar des Cris et des Inuit. Leurs recriminations ne sont pas entendues par le gouvernement federal, celui-ci etant determine a faire de la securite juridique du Quebec et des peuples signataires une priorite absolue. Pour donner effet a l'article 2.6 de la Convention, le Parlement insere en 1977 une disposition extinctive qui en reprend largement les termes dans sa loi de mise en oeuvre, la Loi sur le reglement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord (11). La disposition pertinente de la loi federale enonce que la > (12).

Les peuples non signataires n'ont a ce jour jamais reconnu la validite de cette disposition. Certains ont revendique la reconnaissance de leurs droits sur le territoire couvert par la Convention dans le cadre de negociations visant la conclusion d'un traite (13). Des recours judiciaires ont aussi ete intentes pour demander l'invalidation de la disposition extinctive, sans toutefois que cette demarche ait ete a ce jour menee a terme (14). En 2014, lors du 40e anniversaire de la signature de la Convention, des chefs Atikamekw, Innu et Anishnabeg ont mis sur pied une coalition en vue de poursuivre la contestation de la Loi federale de 1977 et la demande de reconnaissance de leurs droits ancestraux sur le territoire conventionne. Un de ces chefs resumait ainsi le grief persistant des communautes :

Nous n'avons jamais cede nos droits, titres ancestraux, droits traditionnels. Nous sommes determines plus que jamais a reparer l'injustice commise envers nous et toutes les nations concernees. On a ete exclu des negociations, nous n'avons jamais consenti a l'extinction de nos droits sur notre territoire ancestral (15). Le Parlement a-t-il pu validement supprimer en bloc les revendications et les droits des peuples tiers sans les consulter, sans negocier et sans les indemniser? Comme le veut le principe de la souverainete du Parlement, seule une disposition ou une regle de portee supra-legislative proscrivant une telle mesure et s'imposant au legislateur federal luimeme est de nature a faire obstacle a une telle disposition extinctive. Or, la loi fondamentale ne comportait, en 1977, aucune disposition reconnaissant et protegeant de maniere generale les droits ancestraux des peuples autochtones du Canada. Une telle protection ne voit le jour qu'avec l'avenement de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (16).

La question se pose donc de savoir si en 1977, soit avant la reforme constitutionnelle de 1982, le Parlement federal jouissait du pouvoir plenier d'eteindre unilateralement les droits que pouvaient revendiquer les peuples autochtones n'ayant pas signe la CBJNQ sur la partie de leur territoire traditionnel se trouvant dans les limites du territoire >.

La Cour supreme du Canada a plus d'une fois affirme qu'en l'absence de contrainte constitutionnelle le Parlement federal pouvait, anterieurement a l'entree en vigueur de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, eteindre unilateralement les droits ancestraux a condition d'exprimer clairement son intention de le faire (17).

Cela ne signifie toutefois pas que la sauvegarde des droits des autochtones etait alors inconnue en droit constitutionnel canadien et que la souverainete du Parlement etait, dans tous les cas, sans borne. En effet, depuis l'adoption par le parlement britannique de la Loi constitutionnelle de 1930 (18) confirmant et donnant effet a des ententes entre Ottawa et le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta, les > de ces provinces jouissent d'une protection supra-legislative de leur droit de chasser et de pecher pour se nourrir sur les terres inoccupees de la Couronne et sur toute autre propriete a l'egard de laquelle ils beneficient d'un droit d'acces (19). La Cour supreme a clairement admis que ce droit constitutionnellement protege est distinct et anterieur, du point de vue de sa source juridique, a la reconnaissance des droits ancestraux par la Loi constitutionnelle de 1982 (20).

La Loi constitutionnelle de 1930 ne s'applique cependant pas au territoire vise par la CBJNQ. Neanmoins, avant que le Parlement federal adopte la disposition extinctive precitee, les representants de certains groupes non signataires ont defendu devant les parlementaires la these voulant qu'ils beneficiaient d'une protection en vertu des textes qui ont initialement rattache au Canada les terres par la suite annexees au Quebec et aujourd'hui comprises dans le territoire conventionne (21).

Le present article a pour objet de verifier le bien-fonde de cette these (22). Il s'agira donc de retracer la genese juridique de l'annexion au Canada du territoire concerne et de preciser les conditions de cette annexion qui concernent les peuples autochtones (section 1), de mesurer ensuite la portee constitutionnelle de ces conditions (sections 2 et 3) afin d'en arriver a une conclusion quant a la validite de la Loi federale de 1977 (section 4).

Ce seront presque certainement les peuples autochtones qui devront saisir le pouvoir judiciaire de la question. Dans ce cas, les regles du contentieux relatif aux droits ancestraux exigent que le peuple autochtone qui revendique un droit en etablisse l'existence. Les non-signataires devront donc etre en mesure de rassembler la preuve necessaire et de convaincre un juge de leur pretention a cet egard. S'ils y parviennent, ils beneficieront d'un droit ancestral opposable a l'Etat et aux tiers, a moins qu'il soit demontre que ce droit ait ete validement eteint avant 1982 (23). C'est alors que s'engagera le debat sur la validite de la disposition extinctive de la Loi federale de 1977. Les nombreuses annees s'etant ecoulees depuis l'entree en vigueur de cette loi n'empecheront pas le tribunal d'aborder la question et de la trancher, puisque l'invocabilite de la constitution a l'encontre d'une loi n'est pas assujettie au respect d'un delai de prescription (24).

  1. Le reve continental du dominion et la condition 14

    A Une expansion territoriale assortie d'engagements relatifs aux revendications territoriales autochtones

    Avant meme l'union de certaines colonies britanniques d'Amerique du Nord au sein d'un nouveau dominion d'inspiration federale, les elites coloniales canadiennes manifestent l'ambition d'etablir, dans le giron de l'empire, un nouveau gouvernement dont le territoire s'etendrait de l'Atlantique au Pacifique. Lors de l'elaboration de ce qui allait devenir le British North America Act, 1867 (aujourd'hui la Loi constitutionnelle de 1867 (25), un mecanisme est concu afin de realiser ce reve continental qui passe par l'annexion eventuelle au Canada de la Colombie-Britannique et des immenses possessions de la Couronne qui separent alors l'Ontario de la colonie du Pacifique. Ces possessions se nomment a l'epoque la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest. Elles sont administrees par la Compagnie de la Baie d'Hudson (>) qui les detient en vertu d'une charte delivree en 1670 par le roi Charles II et...

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