L'obligation de renseignement, le cautionnement et les dettes transmises sexuellement.

AuthorLangevin, Louise
PositionCanada

A travers une etude critique et comparative s'inscrivant dans le cadre d'une reflexion feministe, l'auteure analyse l'efficience d'une mesure fermement ancree dans la nouvelle moralite contractuelle en droit civil quebecois, soit l'obligation de renseignement. Elle se penche sur l'obligation de renseignement de la banque envers la caution dans le contexte particulier de la dependance affective. Le terrain d'etude est celui du phenomene des <> : il s'agit de dettes contractees par une femme, habituellement a la suite d'un cautionnement, pour garantir un pret accorde a l'entreprise de son conjoint. Une relation de dependance affective caracterise ces dettes. L'analyse jurisprudentielle vise a determiner de quelle facon les tribunaux quebecois evaluent le consentement des femmes dans cet environnement particulier et si l'obligation de renseignement qui pese sur la banque aide veritablement les femmes a donner un consentement <>. Cette analyse indique que les tribunaux ne distinguent pas entre un consentement <> et un consentement <> et qu'ils ne sont pas suffisamment exigeants en ce qui concerne le respect de l'obligation precontractuelle de renseignement incombant a la banque. En s'inspirant du droit canadien de common law et des droits francais et britannique, l'auteure propose des mesures de reforme afin que l'obligation precontractuelle de la banque soit reellement efficace.

By means of a critical and comparative study informed by a feminist analysis, the author evaluates the effectiveness of the obligation to inform, a measure which is firmly rooted in the new contractual morality of Quebec civil law. Specifically, the author discusses the bank's obligation to inform the surety in the particular context of emotional dependence. At issue is the phenomenon of "sexually transmitted debts" contracted by women who, in cases of suretyship, guarantee a loan required by the business corporation or venture of their spouse or partner. These debts are characterized by a relationship of emotional dependence. An analysis of the case law seeks to canvass the manner in which Quebec courts evaluate the consent given by a woman in this context, and whether the bank's obligation to inform truly increases the likelihood that such consent will be "free and enlightened". This analysis reveals that courts do not distinguish between "free" and "enlightened" consent and that they are not sufficiently demanding with regard to the bank's precontractual obligation to inform. Drawing from the examples of Canadian common law as well as French and British law, the author proposes reform measures to render more effective the bank's precontractual obligation.

Introduction I. <> : les dettes transmises sexuellement II. L'obligation precontractuelle de renseignement III. Le traitement en droit anglais des dettes transmises sexuellement A. L'adoption d'une <> B. La necessite d'un avis juridique independant IV. Le traitement en droit quebecois des dettes transmises sexuellement A. La nature familiale du cautionnement B. L'obligation precontractuelle de renseignement de la banque C. L'interet direct de la conjointe-caution dans l'entreprise V. Des solutions : au-dela de l'approche de la symetrie ou de la difference A. Commentaires sur des solutions dites feministes B. Au-dela des moyens de defense traditionnels 1. L'inadequation des vices du consentement comme mesure de protection 2. Des mesures de protection mieux ciblees Conclusion << La caution se donne dans l'euphorie et s'execute dans les larmes >> (1).

<< They say that love is blind >> (2).

Introduction

Depuis les 30 demieres annees, la theorie generale des obligations a fait beaucoup de place a ce qu'il est maintenant convenu d'appeler << la nouvelle moralite contractuelle >> (3), afin de tendre vers une reelle egalite des contractants. En matiere de formation du contrat, le Code civil du Quebec prevoit, entre autres, diverses mesures qui visent a proteger la partie vulnerable : pensons ici a l'article 1435 (4), qui encadre l'utilisation du renvoi contractuel a un document externe, et aux articles 1436 (5) et 1437 (6), qui interdisent les clauses illisibles ou incomprehensibles et les clauses abusives dans les contrats de consommation ou d'adhesion, ou encore a l'article 1401(2), qui inclut le silence ou la reticence comme formes de dol. Le Code civil a reconnu le role de l'equite (7) et de la bonne foi dans la formation et l'execution du contrat (8), bonne foi qui impose, entre autres, une obligation de renseignement a la partie qui possede l'information (9). La Loi sur la protection du consommateur (10) a aussi contribue a cette recherche de l'egalite entre les parties (11). Bien que certains auteurs se soient inquietes de ces mesures qui leurs semblaient une menace a la liberte contractuelle (12), personne aujourd'hui ne remettrait en cause la necessite de proteger une partie en position de vulnerabilite, pour permettre une veritable justice contractuelle (13). Il ne peut y avoir d'antinomie entre le respect de la liberte contractuelle et la recherche d'une egalite reelle. Ainsi, le contrat peut etre vu comme un outil de negociation et non d'exploitation (14).

L'objectif du present texte est d'analyser l'efficience d'une des mesures maintenant fermement ancrees dans la nouvelle moralite contractuelle en droit civil quebecois, soit l'obligation de renseignement en rapport avec la qualite du consentement. Plus particulierement, nous nous penchons sur l'obligation de renseignement de la banque envers la caution dans un contexte de dependance affective. Il s'agit du phenomene de << dettes transmises sexuellement >> (<< D.T.S. >>), par lequel une femme contracte des dettes, habituellement a la suite d'un cautionnement servant a garantir un pret commercial accorde a son conjoint (15). Une relation de dependance affective entre le debiteur et la caution caracterise ces dettes.

L'analyse jurisprudentielle qui suit vise a determiner de quelle facon les tribunaux quebecois evaluent le consentement des femmes dans cet environnement particulier et si l'obligation de renseignement qui pese sur la banque aide vraiment les femmes a donner un consentement libre et eclaire, tel qu'exige par l'article 1399(1). Ultimement, il s'agit de determiner si le contrat constitue un outil de subordination, de protection ou de pouvoir pour les femmes.

Ce texte s'inscrit dans le cadre d'une etude plus large portant sur les femmes et leurs rapports contractuels ; il se veut une contribution a une reflexion feministe sur le droit des affaires (16) et sur les relations entre les etablissements bancaires et les femmes. Par consequent, en analysant la reponse des tribunaux au phenomene des D.T.S. et en proposant des solutions, nous tenons compte des rapports sociaux de sexe (17), des realites sociales des femmes et de leur absence historique des arenes politique et economique. Le sujet d'etude souleve aussi la dichotomie entre les spheres privee et publique denoncee par les chercheuses feministes, qui ont demontre que les questions du domaine prive, traditionnellement reservees aux femmes, concernent aussi la sphere publique (18). Ainsi, dans le cas des D.T.S., le role des emotions sur la qualite du consentement, la solidarite amoureuse qui profite a l'etablissement preteur, les pressions dues a la relation conjugale et les ententes entre conjoints, pourtant tous des elements de la sphere privee, deviennent publics. Les etablissements bancaires et les tribunaux doivent prendre en consideration ces realites de la sphere privee. Plus particulierement dans le cas du cautionnement profane, ils doivent tenir compte de la relation entre la caution-conjointe et le debiteur principal-conjoint.

Par ailleurs, il se peut que deux associes masculins qui presentent une demande de fmancement a une banque soient traites exactement de la meme facon qu'un homme d'affaires qui sollicite sa conjointe pour cautionner sa marge de credit : dans les deux cas, la banque veut obtenir une garantie et a les memes exigences envers tous ses debiteurs a la recherche de credit. Elle est aussi soumise a la meme obligation de renseignement envers ses clients. L'objectif n'est pas de comparer le traitement bancaire reserve aux clients masculins et celui offert aux clientes pour y decouvrir des pratiques discfiminatoires, quoiqu'une telle etude puisse etre utile (19), mais plutot de verifier si l'obligation de renseignement de la banque permet d'assurer un consentement libre et eclaire aux femmes qui se portent caution dans un contexte de dependance affective.

Feministe et critique, cette recherche s'inspire aussi du droit compare. L'analyse de l'obligation de renseignement de la banque envers la caution dans le contexte des D.T.S. prend appui sur le droit civil quebecois. Le droit civil francais est aussi mis a contribution en raison des liens entre les deux systemes juridiques, ainsi que le droit canadien de common law et le droit anglais, puisque ces systemes proposent des solutions interessantes en matiere de D.T.S.

La premiere partie de notre texte presente le phenomene des D.T.S., source de litiges, et les problematiques qu'il souleve. Apres un court rappel en deuxieme partie de la nature de l'obligation precontractuelle de renseignement, la troisieme partie porte sur le traitement juridique des D.T.S. en droit anglais et la quatrieme partie analyse la jurisprudence quebecoise en la matiere. Enfin, des mesures de reforme sont proposees en cinquieme partie.

  1. << Qui cautionne, paie >> (20): les dettes transmises sexuellement

    Les D.T.S. se caracterisent par les acteurs et la relation privilegiee qui les unit, ainsi que par la nature particuliere du cautionnement. Ces transactions soulevent des problematiques variees, et peuvent devenir source de litiges.

    L'expression << dettes transmises sexuellement >>, traduite de l'expression anglaise << sexually transmitted debts >> et utilisee par des chercheuses feministes anglaises et...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT