L'organisation des coulisses du pouvoir : le personnel politique et les bureaux des députés fédéraux.

AuthorDickin, Daniel
PositionArticle vedette

On a beaucoup écrit sur le rôle des députés et le fonctionnement du Parlement du Canada afin de mieux comprendre les rouages du gouvernement canadien. Dans Tragedy in the Commons, par exemple, les auteurs ont réalisé une série > auprès de députés sortants pour recueillir leur expérience des élections, de la gestion des affaires publiques, de la partisanerie, du traitement des dossiers des électeurs, puis, éventuellement, de la défaite électorale ou du retrait de la vie publique. Même si on connaît de mieux en mieux le rôle des députés, on ne peut pas en dire autant de ces hommes et ces femmes qui sont leurs bras droits : les membres du personnel politique du Canada.

Étonnamment, on sait bien peu de choses sur ces employés, et on en discute peu en public. La nature variée de leur travail à l'appui des députés--auxquels les médias et le public ont beaucoup plus facilement accès--laisse toute latitude aux définitions de travail fort variées du personnel politique. Au mieux, cela signifie que ce travail est entouré d'une certaine aura de mystère. Au pire, cela peut ouvrir une large porte à la diffamation d'un groupe de fonctionnaires dévoués. Ces dernières années, on a vu apparaître le surnom > pour désigner certains membres du personnel politique, tandis que d'autres ont été qualifiés d'>. Des affirmations aussi négatives témoignent d'une incompréhension et d'une fausse interprétation du rôle de ces employés.

Cet essai tente de définir ce que font les membres du personnel politique pour que leur poste, leurs responsabilités et leur rôle ultime soient mieux compris par les observateurs parlementaires et le public en général. Je commencerai par aborder le rôle d'un employé de député afin de produire une description de poste regroupant les tâches et responsabilités communes. Ensuite, j'analyserai et je définirai de possibles structures organisationnelles pour les bureaux des députés. Cet essai se veut un recueil de mes seules observations sur le travail de ces employés et le fonctionnement des bureaux. Il ne saurait en aucun cas s'appliquer à une doctrine universelle, puisque chaque député dispose d'une grande latitude pour organiser son bureau comme bon lui semble. On peut aussi observer des tendances communes et des différences entre les bureaux d'un même parti politique, entre ceux de partis politiques différents, ou entre les employés des parlementaires fédéraux et provinciaux. Ces tendances et différences ne font pas l'objet du présent essai, mais j'invite mes homologues à soumettre des articles sur ces mêmes sujets afin d'enrichir nos connaissances collectives. Cet essai permettra au public de mieux comprendre qui sont les membres du personnel politique, ce qu'ils font et comment leur bureau définit leur position au sein du régime parlementaire canadien.

Première partie : le rôle d'un employé de député

Un député compte du personnel à deux endroits : à Ottawa et dans sa circonscription. On a déjà beaucoup écrit sur le travail du personnel de circonscription, notamment grâce au fruit d'une recherche de deux années menée par Peter MacLeod à ce sujet (3). Ce n'est toutefois pas le cas du personnel des députés se trouvant à Ottawa. Malgré les postes importants et de haut rang qu'ils occupent dans l'appareil fédéral, on sait relativement peu de choses sur ce groupe de fonctionnaires. Dans la deuxième partie de cet essai, j'aborde brièvement le travail des employés de circonscription et leur position dans la hiérarchie, mais mon analyse porte principalement sur les employés qui travaillent à Ottawa. D'autres travaux ont aussi examiné le personnel ministériel (4). Ensemble, ces essais peuvent servir de point de départ pour brosser un tableau plus complet du personnel politique. Le lecteur intéressé y trouvera des similitudes et des différences entre les employés de ces trois milieux distincts : le personnel de circonscription, le personnel ministériel et le personnel des députés.

Les employés des parlementaires comptent parmi les fonctionnaires les plus importants, influents et acharnés au travail du Canada. Jenni Byrne, conseillère principale et organisatrice de campagne du premier ministre Stephen Harper, était connue comme > (la première étant, bien sûr, son épouse Laureen), et Gerry Butts, un conseiller principal et ami de longue date du premier ministre Justin Trudeau, a été surnommé le > pour son influence marquée sur le plan de l'accès au leader et des idées qu'il exerce sur Trudeau et son Cabinet (6). Toutefois, en dépit de leur grande influence et de leur charge de travail incroyable, il y a des centaines d'autres employés dont on parle peu et dont les rôles sont méconnus. La partie qui suit porte sur l'embauche, la formation et les conditions de travail du personnel politique.

Le besoin de personnel

Les députés n'ont pas toujours eu du personnel. Comme Peter MacLeod le souligne, avant l'avènement du transport aérien à prix modique, le calendrier parlementaire suivait le rythme des travaux agricoles. À l'automne, les députés prenaient le train pour se rendre à Ottawa afin d'y siéger pendant l'hiver, puis retournaient dans leur circonscription pour y passer la majeure partie du printemps, l'été et le début de l'automne (7). Les députés s'entretenaient directement avec leurs électeurs, ils répondaient personnellement aux lettres et aux appels téléphoniques et ils coordonnaient leur propre horaire. Avant 1968, un service central de secrétariat affectait auprès de chaque député une secrétaire pour l'assister pendant quelques jours à la fois, mais ces employés étaient mis à pied pendant les ajournements et après la dissolution (8). En 1958, chaque député a obtenu une secrétaire qui lui était attitrée. Une décennie plus tard, chaque député a été autorisé à embaucher une secrétaire à plein temps, puis, en 1974, une deuxième secrétaire à plein temps. La même année, certains bureaux de circonscriptions ont été créés. Pour l'exercice 1999-2000, chaque député a reçu un budget de 190 000 $ pour doter en personnel son bureau. De nos jours, les députés comptent environ six à huit employés répartis entre leurs bureaux d'Ottawa et de circonscription.

L'arrivée et la prolifération du personnel politique suivent l'accroissement de la taille et des responsabilités du gouvernement fédéral, et l'explosion des médias de masse et électroniques. L'élection du premier ministre libéral Pierre Elliott Trudeau en 1968 a marqué un tournant dans l'histoire des grands gouvernements militants et interventionnistes. Il y a une forte corrélation entre la croissance de ces gouvernements, la hausse des budgets de bureau des députés et du nombre d'employés nécessaires pour s'acquitter la charge de travail accrue. Aujourd'hui, les députés ne pourraient tout simplement pas s'acquitter de leurs fonctions sans l'aide de leur personnel.

Les députés se voient confier des rôles à l'échelle nationale, comme celui de porte-parole, responsable d'un portefeuille ministériel ou membre d'un comité. Ils sont aussi au service des habitants de leur circonscription, et s'informent du traitement des demandes de citoyenneté, aident les entreprises ou les citoyens à avoir accès au financement gouvernemental, ou demandent à un ministère de reconsidérer une décision du gouvernement.

Ajoutons à cela la multitude de plateformes médiatiques et le cycle des nouvelles en continu. Les députés se doivent d'être présents et disponibles pour leurs médias locaux, et pour les médias nationaux lorsque leur portefeuille ou leur champ d'intérêt est lié aux sujets d'actualité. Ils sont aussi en général censés être présents sur toutes les plateformes Internet, avoir un site Web personnel ainsi que des comptes Twitter, Facebook, et YouTube. Vu la taille considérable du gouvernement fédéral et la diversité des sujets complexes qui y sont abordés, une seule personne serait incapable de...

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