La limitation des débats à la Chambre des communes.

AuthorPlante, François
PositionPerspective historique de son utilisation

Le Parlement canadien assume, comme tous les parlements modernes, trois fonctions importantes. Il exerce une fonction de représentation, une autre de contrôle des activités gouvernementales et une dernière de législation. La fonction législative, c'est-à-dire celle de la production et de la révision des lois dans un processus en trois lectures, implique nécessairement des débats entre le gouvernement et l'opposition. Le parti au pouvoir tente d'expliquer ses propositions au public, tandis que ses adversaires, lorsqu'ils sont en désaccord avec un projet de loi, essaient d'y apporter des changements ou d'entraver son adoption, tout en essayant de recueillir le soutien du public.

Un gouvernement soucieux de voir adopter son agenda législatif doit s'assurer d'un minimum de collaboration des parlementaires de l'opposition. [...] En effet, la procédure parlementaire offre aux députés de l'opposition différentes possibilités de se faire entendre, notamment s'ils souhaitent éviter qu'un projet de loi émanant du gouvernement soit adopté rapidement. Multiplication des motions, des amendements, emploi de l'ensemble du temps de parole disponible en Chambre comme en comité, constituent autant de mesures pour freiner l'adoption d'une loi. D'ailleurs, lorsque ces procédés sont employés de façon orchestrée et systématique, on peut parler de >. Cette stratégie parlementaire, reposant sur le recours à des mesures dilatoires, a pour effet de retarder une décision de la Chambre. En contrepartie, la majorité ministérielle dispose de certains outils pour accélérer les travaux (1). Ces outils à la disposition du gouvernement semblent s'être développés au fil du temps. Tout porte à croire que le recours à ces derniers a aussi évolué de façon importante. Alors qu'au cours de la première année du gouvernement majoritaire de Stephen Harper, on a pu observer une croissance significative de la limitation des débats à la Chambre des communes, il devient pertinent de porter un regard sur la création et l'utilisation des différents outils de gestion du temps.

Le présent article porte donc sur les >. Plus précisément, cinq mesures mentionnées au chapitre 14 de l'ouvrage de référence d'O'Brien et Bosc de 2009 sur la procédure parlementaire feront l'objet d'une attention particulière. Il s'agit de la question préalable, des motions visant à suspendre l'application d'articles du Règlement pour des questions de nature urgente, de la clôture, de l'attribution de temps et des motions pour affaire courante proposées par un ministre. Après avoir décrit brièvement le contexte de la création et le fonctionnement de ces différents outils, nous proposerons une analyse de l'historique de leur utilisation. Il est à noter que les données analysées pour l'actuelle législature ne couvrent que la période entre le début de la session et l'ajournement d'été 2012 (du 2 juin 2011 au 21 juin 2012).

Avant d'aller plus avant, il est certainement utile de faire remarquer que la grande majorité des projets de loi sont débattus et adoptés sans que le parti gouvernemental ait à imposer une limite aux débats. En effet, seulement 2,8 % des 5 278 projets de loi gouvernementaux déposés aux Communes depuis le début de la 12e législature (donc depuis 1911) ont été visés par les mécanismes > de gestion du temps (3). D'autre part, nous pouvons observer que de nombreux projets de loi sont adoptés rapidement, parfois en une seule journée, grâce au consentement unanime de la Chambre qui permet à celle-ci de s'écarter des règles qu'elle s'est données.

La question préalable

La question préalable (article 61 du Règlement) est le premier outil de gestion du temps. Il est aussi le plus ancien, car il est prévu dès les débuts du Parlement canadien en 1867. Tout député qui prend la parole lors d'un débat sur une motion peut, même s'il est de l'opposition, proposer >. Certains hésiteront à considérer cette mesure comme un outil de gestion du temps. En effet, la question préalable ne fait rien pour gêner le débat et, >. Par contre, la limitation du débat devient plus visible si l'on considère que la question préalable a comme effet d'empêcher la présentation d'amendements à la motion principale. En plus de prévenir tout amendement et d'éventuelles tactiques d'obstruction, l'adoption de la question préalable fera en sorte de mettre aux voix la motion principale sur-le-champ, sans plus de discussion. Son rejet aura, quant à lui, l'effet de rayer la motion principale du Feuilleton.

L'analyse de l'utilisation de cette règle de procédure nous montre que le recours à la question préalable a été, somme toute, modeste jusqu'au milieu des années 1980. D'abord, aucune question préalable n'a été présentée lors de 16 des 32 premières législatures du Parlement canadien. De plus, jamais avant la 33e législature (1984-1988), le nombre moyen de questions préalables proposées par période de 100 séances n'avait excédé 2. La situation depuis 1984 est fort différente, alors que les députés ont recours à cette solution beaucoup plus fréquemment. Sur la base des observations partielles de la 41e législature actuelle, jamais la question préalable n'aura été plus employée que maintenant, avec une moyenne de plus de 8 questions préalables par 100 jours de séances. En tout, la question préalable a été proposée à 135 reprises depuis 1867 et près de 80 % des cas ont eu lieu dans les trois dernières décennies. Si, dans la plupart des cas récents, elle a été appliquée à la lecture d'un projet de loi émanant du gouvernement, ces statistiques recensent aussi les cas où des motions du gouvernement, des motions proposées au cours des affaires courantes ou la lecture d'un projet de loi d'initiative parlementaire étaient visées. De plus, certaines questions préalables relevées ont été proposées par des députés de l'opposition.

Les raisons qui font en sorte que la question préalable a été si rarement utilisée lors des premières législatures sont intrigantes. O'Brien et Bosc proposent ce qui suit :

Pendant les 45 premières années de la Confédération, le seul moyen à la disposition du gouvernement était la question préalable [...] Non seulement n'y avait-il aucun autre moyen de mettre fin à un débat dans des délais convenables, mais aucune disposition formelle ne restreignait la durée des débats. Les interventions n'étaient aucunement limitées. Le déroulement et la durée des travaux de la Chambre reposaient largement sur un franc jeu mutuel, et les arrangements officieux ou la > régissaient les débats (5). En bref, on constate que les débuts du parlementarisme canadien étaient probablement caractérisés par un plus grand esprit de collaboration entre les partis.

La suspension du Règlement pour une question de nature urgente

Un autre outil de gestion du temps est disponible depuis 1968 par l'article 53 du Règlement. La création de cette disposition fait suite à un imbroglio sur une motion proposée sans préavis par le premier ministre Pearson pour l'envoi des forces canadiennes de maintien de la paix à Chypre en 1964. L'article 53 présente donc le mécanisme de suspension de certaines règles, en particulier celles visant la nécessité des préavis et celles concernant les heures et les jours de séance, afin de traiter de questions de nature urgente. La suspension d'articles du Règlement pour celles-ci a été rarement utilisée depuis son adoption. Seules trois des sept démarches gouvernementales en ce sens ont abouti.

L'utilisation de cet outil a été tentée une seule fois pour encadrer le débat d'une manière qui s'apparente à l'attribution de temps. En effet, en invoquant l'article 53 le 16 septembre 1991, le gouvernement a énoncé qu'au maximum, une journée de débat serait allouée pour chacune des étapes de la deuxième lecture, du comité plénier et de la troisième lecture d'un projet de loi de retour au travail pour le secteur public (6). Pourtant, comme dans la majorité des cas, le fait que dix députés se soient levés pour s'opposer à la motion l'a automatiquement rejetée. Cette contrainte rend l'article 53 très peu efficace et explique probablement pourquoi le gouvernement n'y fait pas appel plus régulièrement. En bref, le recours à cet article vise davantage à soustraire le gouvernement des préavis qui lui sont imposés pour la présentation de ses projets de loi qu'à limiter le temps de débat de ces derniers.

La clôture

La clôture, ou l'article 57, est une règle de procédure qui permet de mettre fin à un débat, même si tous les députés qui voulaient y prendre part n'ont pas eu la chance de s'exprimer. Créée en 1913 en réaction à l'obstruction de l'opposition à l'adoption d'un projet de loi d'aide à la Marine, la clôture >. On peut, sans aucun doute, considérer la clôture comme le premier véritable mécanisme efficace de limitation des débats.

Le contexte plus large de l'évolution des travaux de la Chambre permet de comprendre en partie la raison d'être de la règle de clôture. En effet, au début du XXe siècle, on assiste à une croissance du rôle de l'État dans l'économie et, donc, en réaction, à une plus grande place des Ordres émanant du gouvernement dans les travaux de la Chambre des...

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