La loi sur l'immunite des etats Canadienne et la torture.

AuthorLarocque, Francois

Ontario courts have concluded that states with a record of torture benefit from jurisdictional immunity in Canada because the State Immunity Act (SIA) does not expressly protect actions involving torture. Although the courts concluded that the SIA replaced the preexisting common law related to state immunity, the author believes this conclusion to be unfounded.

To demonstrate this conclusion, the author begins by explaining the history and evolution of the doctrine of sovereign immunity. He then argues that alongside the legislative regime of the SIA, there remains in Canada a common law regime that gives effect to emerging exceptions to sovereign immunity that are acknowledged by international custom. Finally, he proposes an analytical framework that will allow consideration and recognition of new exceptions to sovereign immunity within the common law framework. The author concludes that torture should not be characterized as a sovereign act; indeed, only sovereign acts should enjoy jurisdictional immunity in common law. While a "sovereign act" is an act that arises in the exercise of legitimate public power, acts like torture, which contravene norms of international law, are repudiated by the international community and are thus illegitimate.

Les cours ontariennes ont conclu que les pays tortionnaires jouissent de l'immunite juridictionnelle au Canada puisque la Loi sur l'immunite des Etats (LIE) ne permet pas expressement les actions portant sur la torture. Elles ont conclu que la LIE a evacue la common law preexistante en matiere d'immunite des Etats. Selon l'auteur, cette conclusion est mal fondee.

Polir nous le demontrer, l'auteur commence par exposer l'historique et l'evolution de la doctrine de l'immunite des Etats. Il nous montre ensuite qu'il subsiste au Canada un regime de common law qui opere en parallele a la LIE et qui permet l'emergence d'exceptions a l'immunite des Etats qui sont reconnues par la coutume internationale. Enfin, il nous propose un cadre analytique pour permettre l'etude et la reconnaissance eventuelle de nouvelles exceptions a l'immunite des Etats en common law. Suivant cette demarche, l'auteur conclut que la torture ne doit pas etre caracterisee d'acte souverain. En effet, seuls les actes souverains de l'Etat jouissent de l'immunite juridictionnelle en common law. Or, cette derniere entend par << acte souverain >> l'acte accompli dans l'exercice legitime du pouvoir public, alors que l'acte qui contrevient aux normes imperatives du droit international est desavoue par la communaute internationale.

Introduction I. L'immunite des Etats en droit international et en droit canadien II. La relation entre la LIE et la common law A. Le principe de la stabilite du droit B. L'economie interne de la LIE C. L absence de conflit entre la LIE et la common law D. La jurisprudence relative a la LIE E. L'intention du legislateur telle que demontree par la preuve extrinseque F. L'immunite des Etats releve historiquement des cours judiciaires G. L'immunite des Etats releve du droit international III. L'immunite des Etats en common law A. La demarche analytique contextuelle de l'immunite restreinte en common law 1. La nature et l'objet de l'acte 2. Les principes de droit intenational 3. Les considerations d'ordre public B. La torture ne jouit d'aucune immunite juridictionnelle en common law 1. La nature et l'objet des actes de torture 2. Les principes de droit international 3. Les considerations d'ordre public Conclusion Introduction

Les victimes de torture extraterritoriale qui ont tente de poursuivre au civil les gouvernements de leurs tortionnaires devant les cours judiciaires ontariennes ont toutes ete deboutees de leurs actions Dans Saleh v, Emirats arabes unis (1), la cour a juge que la poursuite ne presentait aucun lien reel et substantiel avec l'Ontario, alors que dans Bouzari v. Iran (Republique islamique d') (2) et Arar v. Syrie (Republique arabe) (3), les cours ont plutot decide que c'etait la Loi sur l'immunite des Etats (4) qui faisait obstacle a leur competence. Les poursuites civiles initiees au Canada pour des actes de torture commis a l'etranger soulevent indeniablement une multitude de questions epineuses eu egard a la juridiction simpliciter des cours canadiennes, des questions qui devront tot ou tard recevoir des reponses. Cependant, cet article porte uniquement sur la problematique de l'immunite juridictionnelle dans le contexte de ces poursuites pour torture extraterritoriale.

Dans Bouzari et Arar, les cours ontariennes ont conclu que les pays tortionnaires jouissent de l'immunite juridictionnelle au Canada puisque la LIE ne permet pas expressement les actions portant sur la torture. Autrement dit, a l'heure actuelle, la torture extraterritoriale est une matiere non justiciable au Canada, la LIE ayant pour effet d'assurer l'immunite et l'impunite des gouvernements qui se livrent a cette pratique odieuse et universellement reprouvee. Le droit fondamental des victimes de torture a etre indemnisees pour leur prejudice est ainsi bafoue au nom de la courtoisie internationale et du respect de la souverainete de l'Etat tortionnaire (5). Cette conjoncture juridique ne manque pas d'etonner et de detonner avec les exceptions a l'immunite juridictionnelle enumerees dans la LIE, dont notamment l'exception pour les activites commerciales (6).

Cette antinomie a pousse le professeur Harold Koh a poser une questionsimple et redoutable : << [I]f contracts, why not torture? >> (7). Comment se fait-il qu'un particulier puisse poursuivre en justice un Etat souverain pour de simples transgressions contractuelles mais non pour les actes de torture qu'il commet ou autorise ? Comment expliquer la priorite accordee aux recours commerciaux et la subsidiarite, voire l'absence, des recours civils pour les violations des normes les plus fondamentales de l'ordre constitutionnel et international ? Cet etat du droit semble d'autant plus saugrenu au regard des fondements de l'immunite restreinte en droit international et de sa codification en droit canadien. Se peut-il vraiment, comme l'ont conclu les cours ontariennes, que la torture demeurera non justiciable tant et aussi longtemps que sa poursuite ne sera pas expressement autorisee par la LIE (8)? Finalement, par quel artifice de la raison peut-on soutenir que la torture est un acte souverain digne d'immunite pour les fins du contentieux civil alors que le droit penal a depuis longtemPs rejete l'immunite des tortionnaires et de leurs superieurs hierarchiques?

Ces contradictions engendrent des consequences regrettables en droit canadien. Leur effet cumulatif est de nier categoriquement aux victimes de torture extraterritoriale tout acces a la justice puisque celles-ci n'ont vraisemblablement aucune chance de l'obtenir dans leur pays d'origine ou elles ont connu les supplices. Par consequent, il est vraisemblable que le Canada se trouve en contravention de ses obligations internationales (9).

Cet article propose des solutions aux problemes susmentionnes. Il sera notamment avance que la LIE a ete adoptee afin de clarifier et de maintenir la theorie de l'immunite restreinte en droit canadien et qu'elle n'a pas evacue la common law canadienne en matiere d'immunite des Etats. Il subsiste au Canada un regime de common law en matiere d'immunite qui opere en parallele a la LIE et qui donne effet aux exceptions emergentes reconnues par la coutume internationale. Or, en common law, seuls les actes souverains de l'Etat (acta jure imperii) jouissent de l'immunite juridictionnelle. Un acte souverain s'entend d'un acte accompli dans l'exercice legitime du pouvoir public. Par definition, un acte qui contrevient aux normes imperatives du droit international (jus cogens) tel que la torture est desavoue par la communaute internationale et demeure irremediablement vicie. Par consequent, en vertu du caractere imperatif de sa prohibition, la torture n'est pas un acte souverain auquel s'applique la doctrine de l'immunite des Etats.

Nous procederons en trois parties. La premiere partie exposera a grands traits l'historique et revolution de la doctrine de l'immunite des Etats en droit international et en droit canadien. La deuxieme partie demontrera par une analyse des canons d'interpretation des lois que la conclusion des cours ontariennes que la LIE a evacue la common law preexistante en matiere d'immunite des Etats est mal fondee. Finalement, la troisieme partie proposera un cadre analytique pour permettre l'etude et la reconnaissance eventuelle de nouvelles exceptions en common law a l'immunite des Etats. Il s'agit d'une demarche tripartite fondee sur le caractere de l'acte reproche, les prescriptions du droit international et les considerations d'ordre public. Suivant la demarche proposee, nous concluons que la torture ne saurait etre caracterisee d'acte souverain pour les fins de l'immunite juridictionnelle.

  1. L'immunite des Etats en droit international et en droit canadien

    L'immunite 'des Etats est une doctrine issue du droit international coutumier et du droit national qui regit les competences juridictionnelle et d'execution des tribunaux nationaux dans le cadre de litiges impliquant des Etats etrangers. Aujourd'hui, l'immunite des Etats est dite << restreinte >> ou << relative >> dans la mesure ou les cours nationales s'abstiennent uniquement de trancher les litiges dans lesquels sont mis en cause les actes souverains de l'Etat etranger (10). En revanche, les actes non souverains, tels que les transactions commerciales (acta jure gestionis), sont entierement justiciables : ils ne jouissent d'aucune immunite juridictionnelle en droit international ou en common law (11).

    Dans son incarnation originelle, la doctrine de l'immunite etait appliquee de maniere quasi absolue par les cours de common law, qui admettaient rarement qu'un Etat souverain soit poursuivi devant elles (12). A la fin du dix-neuvieme siecle et au debut du vingtieme siecle, une epoque...

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