Mesure de l'efficacite d'un parlement minoritaire.

AuthorThomas, Paul E.J.

Le système électoral majoritaire du Canada permet souvent à des partis qui obtiennent moins de la moitié du vote populaire de remporter la majorité des sièges au Parlement. Plusieurs analystes ont suggéré que ce problème devrait être corrigé en modifiant le système électoral de manière à accroître la proportionnalité entre le pourcentage des voix obtenues par un parti et son pourcentage des sièges législatifs. Cependant, alors que ce type de réforme améliorerait la proportionnalité, il accroîtrait aussi grandement la fréquence des parlements minoritaires. La présente étude prend l'exemple du gouvernement minoritaire de la 38e législature pour examiner comment le système politique du Canada pourrait être affecté si le pays adoptait un nouveau système électoral qui rendrait les gouvernements minoritaires plus fréquents. Elle situe le contexte procédural de la 38e législature et présente six critères pour évaluer son comportement. Chaque critère est ensuite examiné à l'aide d'une comparaison qualitative et quantitative des mesures prises dans les 36e, 37e et 38e législatures. Cette évaluation montre que la 38e législature n 'a pas été moins efficace que les précédentes, que les délibérations législatives y ont été plus importantes et qu 'elle a permis de mieux tenir l'exécutif responsable de sec actes. La conclusion est donc que, même si les gouvernements minoritaires ne sont pas parfaits, l'exemple de la 38e législature semble indiquer qu'un système électoral qui produirait plus de gouvernements minoritaires pourrait accroître la qualité de la démocratie au Canada.

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Les changements procéduraux qui ont été apportés à la Chambre des communes depuis 25 ans permettent très difficilement de comparer directement la 38e législature et les parlements minoritaires précédents au Canada. Ces modifications, qui ont été apportées pour rendre la Chambre des communes plus efficiente et démocratique, ont donné aux députés de la 38e législature de nombreuses possibilités auxquelles leurs prédécesseurs n'avaient pas accès.

Les modifications les plus importantes touchent probablement à l'indépendance des comités permanents (1). Avant le milieu des années 1980, les comités permanents avaient besoin d'un ordre de renvoi de la Chambre afin de pouvoir mener une étude, voire de se réunir (2). En vertu des nouvelles règles, les comités peuvent entreprendre de leur propre chef des études sur des questions qui relèvent de leur compétence et formuler des recommandations sur les mesures prises par le gouvernement. L'indépendance des comités permanents a aussi été renforcée par l'adoption du vote secret pour la sélection des présidents de comité. Cette innovation, adoptée en 2004 après l'adoption d'une motion de l'opposition demandant ce changement, a mis fin à la pratique antérieure selon laquelle les présidents de comité étaient choisis par le gouvernement (3). Cependant, étant donné qu'il y avait un parlement majoritaire au moment du changement, la 38e législature a été la première de l'histoire canadienne au cours de laquelle les partis d'opposition ont pu élire un président de comité ne correspondant pas aux souhaits des députés du parti au pouvoir.

Un deuxième changement important apporté à la procédure de la Chambre a été la simplification des règles régissant les affaires émanant des députés, qui a permis de débattre, mettre aux voix et adopter à la Chambre des communes un plus grand nombre de projets de loi d'initiative parlementaire. Néanmoins, le taux de réussite est encore très faible.

Le contexte procédural de la 38e législature a aussi été fortement influencé par le Plan d'action pour la réforme démocratique présenté par le premier ministre Paul Martin au début de la 3e session de la 37e législature au début de 2004. Étant donné que cette session n'a duré que 55 jours de séance, les conséquences du Plan d'action n'étaient pas toutes connues au début de la 38e législature. Parmi les réformes instaurées dans le Plan d'action, les quatre les plus susceptibles d'influencer la 38e législature étaient : 1) la mise en place d'un système de vote de trois catégories; 2) l'augmentation du nombre de projets de loi d'initiative ministérielle renvoyés en comité avant la deuxième lecture; 3) l'accroissement de la capacité des comités permanents d'examiner les budgets des dépenses; 4) l'examen, par les comités permanents, des nominations aux postes élevés du gouvernement (4). Le système de vote de trois catégories détermine la mesure dans laquelle le gouvernement considère un projet de loi comme une question de confiance. En vertu de ce système, les votes sur les projets de loi de première catégorie sont considérés comme un << vote libre >> pour tous les députés, ce qui signifie que le gouvernement ne prend pas position sur la question et que le résultat du vote n'influe pas sur la confiance du Parlement dans le gouvernement. Dans un vote de deuxième catégorie, le Cabinet prend position, mais les députés ministériels d'arrière-ban ne sont pas obligés de l'adopter et le résultat n'influe pas sur la survie du gouvernement. Enfin, le vote de troisième catégorie est réservé aux éléments clés du programme législatif du gouvernement qui sont des questions de confiance pouvant entraîner la chute de celui-ci. Par conséquent, on s'attend à ce que tous les députés du parti au pouvoir respectent la discipline du parti. Les partisans du système de vote de trois catégories soutiennent qu'il permet un plus large éventail de compromis et de débats sur les projets de loi moins importants, tout en permettant au gouvernement de démontrer qu'il a la confiance de la Chambre sur les enjeux majeurs.

Comme le système de vote de trois catégories, le renvoi des projets de loi aux comités avant la deuxième lecture est considéré comme une mesure qui accroît la démocratie à la Chambre. Selon le Règlement, la capacité des comités de modifier le fond d'un projet de loi est très limitée après la deuxième lecture (5). En outre, les membres des comités sont moins libres de dégager un compromis sur la question après la deuxième lecture, étant donné que les partis sont forcés de prendre position durant le débat et le vote à cette étape. Le renvoi des projets de lois aux comités plus tôt dans le processus législatif est donc considéré comme une mesure qui accroît le rôle délibérant du Parlement en permettant un débat significatif sur le projet de loi avant que son contenu soit établi définitivement. Il convient de souligner que le gouvernement pouvait renvoyer les projets aux comités avant la deuxième lecture depuis la modification du Règlement en 1994 (6). Mais la disposition pertinente était rarement invoquée, ce qui a soulevé des plaintes des analystes et des députés de l'opposition.

Par contraste avec l'instauration récente du système de vote de trois catégories, les comités permanents sont chargés d'examiner les budgets des dépenses pour leurs ministères correspondants depuis les années 1960. Mais il arrivait souvent que les comités ne possédaient pas l'information nécessaire pour avoir un débat informé sur les budgets, ce qui les empêchait de demander des comptes à l'exécutif. Par conséquent, la proposition du premier ministre Martin visait à donner aux comités les ressources nécessaires pour pouvoir effectuer un examen significatif des budgets.

À l'instar de la capacité de renvoyer les projets de loi aux comités avant la deuxième lecture, l'exécutif avait, depuis longtemps, le choix de demander aux comités permanents d'examiner les nominations aux postes gouvernementaux, mais il ne l'avait fait que rarement. Cette concentration du processus de nomination au sein de l'exécutif a souvent entraîné le lancement d'accusations de patronage contre le gouvernement et sapé la confiance du public dans les institutions gouvernementales (7). Pour améliorer la situation, le Plan d'action pour la réforme démocratique permettait aux comités d'examiner les qualifications des candidats et de présenter au Parlement un rapport sur leurs constatations. Toutefois, vu les craintes que ces examens deviennent trop politisés, le plan laissait l'approbation finale des nominations entre les mains du premier ministre (8).

Dans ce contexte procédural, on peut déterminer quelques critères pour évaluer la performance démocratique de la 38e législature. On peut constater les avantages démocratiques des parlements minoritaires par la mesure dans laquelle la 38e législature a accru : 1) les compromis législatifs et les délibérations; 2) la responsabilité de l'exécutif envers l'assemblée législative; 3) les possibilités d'influence pour les simples députés. Par contre, les critères relatifs aux effets potentiellement nuisibles des parlements minoritaires comprennent la mesure dans laquelle la 38e législature a réduit : 1) l'efficacité législative; 2) la stabilité du gouvernement; 3) la responsabilité envers les citoyens au moment des élections.

Compromis législatifs et délibérations durant la 38e législature

Deux grands indicateurs seront utilisés pour déterminer si la 38e législature a accru les compromis et les débats sur les mesures législatives par rapport aux législatures précédentes : le nombre de projets de loi d'initiative ministérielle renvoyés à un comité avant la deuxième lecture et le nombre de projets de loi amendés par les comités. Les partisans de la réforme électorale soutiennent que les gouvernements minoritaires doivent faire des compromis avec les partis d'opposition et accepter des changements à leurs propositions législatives. De plus, dans des parlements minoritaires, l'opposition peut défaire le gouvernement lors de n'importe quel vote. Par conséquent, on pourrait s'attendre à ce qu'un plus grand nombre de projets de loi soient adoptés avec amendements par un parlement minoritaire que par un parlement majoritaire. Il semble également probable que les amendements adoptés dans un parlement minoritaire modifieraient davantage le fond que ceux adoptés par un...

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