Non-universalite, illegitimite et sur-complexite des droits economiques et sociaux ? Des preoccupations legitimes mais hypertrophiees : regard sur la jurisprudence canadienne et sud-africaine.

AuthorRobitaille, David

Les tribunaux canadiens ont traditionnellement ete reticents a imposer a l'Etat des obligations financieres sur la base de droits economiques et sociaux, a proprement dit, ou de droits qui pourraient comporter une dimension <>, tels ceux deeoulant des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertes, qui reconnaissent respectivement a toute personne les droits a la securite et a l'egalite. Cette hesitation des instances judiciaires face a des droits <> repose essentiellement sur deux motifs : l'illegitimite de l'intervention judiciaire dans les affaires economiques de l'Etat ainsi que la sur-complexite des droits economiques et sociaux pour la mise en oeuvre et la sanction desquels le controle judiciaire de constitutionnalite des lois ne serait pas adapte. Or, la jurisprudence de la Cour eonstitutionnelle de I'Afrique du Sud tend a demontrer que ces doutes, justifies dans une certaine mesure, ont cependant ete hypertrophies. Ce texte, sans ignorer les eontextes historique et politique differents du Canada et de l'Afrique du Sud, entend ainsi demontrer qu'il serait possible--et non pas souhaitable, cette question differente meritant d'autres developpement--pour les tribunaux canadiens d'intervenir de facon mesuree pour sanctionner les violations ales droits economiques et sociaux au Canada.

Canadian courts have traditionally been reluctant to impose financial obligations on the State on the basis of economic and social rights, or any rights that could import "positive" obligations, such as those arising from articles 7 and 15 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, which respectively recognize the rights of all individuals to security and equality. This hesitation by the courts to recognize "positive" rights essentially rests on two rationales: the illegitimacy of judicial intervention in the economic affairs of the State, and the over-complexity of economic and social rights, rendering judicial control over the constitutionality of laws ill-adapted to ensuring their enforcement and regulation. Jurisprudence from the Constitutional Court of South Africa demonstrates however that these doubts, though justifiable to a certain degree, have nevertheless been exaggerated. While recognizing the different historical and political contexts of Canada and South Africa, this article aims to demonstrate the extent to which it would be possible--not desirable, as this is a different question meriting further inquiry--for Canadian courts to engage in measured judicial intervention to sanction violations of economic and social fights in Canada.

Introduction I. Non-universalite, illegitimite et sur-complexite des droits economiques et sociaux II. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle de I'Afrique du Sud : la recherche d'un equilibre entre la protection efficace des droits et la deference necessaire envers I'Etat A. L'arret Grootboom : I'obligation generale de raisonnabilite qu'imposent les droits economiques et sociaux B. L'arret Treatment Action Campaign : la sanction contraignante a la violation des droits economiques et sociaux C. La distinction essentielle entre I'elaboration et la gestion des programmes sociaux par I'Etat et I'evaluation de leur raisonnabilite par les tribunaux Conclusion Introduction

De maniere generale, la Charte canadienne des droits et libertes (1) ne contient pas de droits economiques et sociaux, par exemple, le droit au logement, le droit a un niveau de vie suffisant ou le droit a la sante. Dans la mesure ou, tel que l'a demontre William Schabas, le Canada s'est oppose a l'inclusion de ce type de droits dans la Declaration universelle des droits de l'homme de 1948 (2), il ne faut pas necessairement s'etonner qu'on ait deliberement omis de les integrer dans la Charte canadienne. Malgre cette absence de droits economiques et sociaux, certains universitaires, juristes et defenseurs des droits de la personne se sont neanmoins adresses aux tribunaux afin de faire sanctionner, sur la base de droits et libertes deja reconnus dans la Charte canadienne, certaines inegalites socioeconomiques (3). Les articles 7 et 15, qui garantissent respectivement les droits a la vie, a la liberte et a la securite et le droit a l'egalite, ont ainsi ete invoques afin de faire constater et reparer des violations de ces droits, notamment en matiere de sante et de pauvrete, et faire reconnaitre, indirectement, les droits a la sante et a un niveau de vie suffisant.

La Charte des droits et libertes de la personne (4) du Quebec reconnait pour sa part, en plus des droits civils et politiques classiques (expression, religion, egalite, etc.), certains droits economiques et sociaux, tels le droit a l'instruction publique gratuite (5) et le droit a un niveau de vie decent (6). Par cette double reconnaissance de droits, la Charte quebecoise vehicule ainsi une conception de la societe et de la justice qui s'apparente au liberalisme egalitaire (7). Puisqu'elle ne reconnait pas de droits economiques et sociaux, la Charte canadienne, comme l'a fait remarquer Guy Rocher, en proposerait quant a elle une vision plutot liberale (8).

Au grand dam de plusieurs, cependant, les articles 7 et 15 de la Charte canadienne et l'article 45 de la Charte quebecoise se sont a ce jour averes des outils juridiques plus ou moins utiles a l'amelioration des conditions de vie materielles des citoyens les plus demunis (9). Les tribunaux se sont en effet montres hesitants a intervenir dans des litiges dans le cadre desquels on leur demandait d'evaluer la conformite constitutionnelle ou quasi constitutionnelle de programmes gouvernementaux impliquant des depenses budgetaires importantes et des choix sociopolitiques effectues entre differents interets en jeu.

La decision la plus celebre en ce domaine est sans doute celle rendue par la Cour supreme du Canada dans Gosselin c. Quebec (P.G) (10). La majorite conclut que les prestations d'aide sociale nettement plus basses prevues pour les personnes agees de moins de trente ans ne constituaient pas une atteinte au droit a la securite--puisque la securite economique n'est pas protegee par l'article 7 (11)--ni au droit a l'egalite garanti par l'article 15 de la Charte canadienne. Quant a la partie de la plainte fondee sur la Charte quebecoise, la majorite de la Cour jugea que les prestations derisoires prevues par la loi ne portaient pas atteinte a l'article 45, qui reconnait un droit symbolique ou moral a un niveau de vie decent (12). Face a cette interpretation restrictive, la difference de philosophie evoquee ci-dessus entre la Charte quebecoise et la Charte canadienne, caracterisee par la protection que la premiere accorde aux droits economiques et sociaux mais qui sont exclus de la seconde, devient ainsi plus theorique que reelle.

Malgre leur reticence, les magistrats ne sont pas necessairement opposes par principe aux droits economiques et sociaux (13) mais semblent plutot desesperement chercher une approche leur permettant d'agir de facon prudente et legitime. Une analyse de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de l'Afrique du Sud pourrait etre revelatrice et permettrait peut-etre de repondre de facon satisfaisante a cet <> des tribunaux canadiens. La pertinence de ce recours a l'Afrique du Sud tient d'abord au fait que ce pays, comine l'ont fait le Canada en 1982 et le Quebec en 1975, s'est engage en 1996 sur la voie du <> postSeconde Guerre mondiale, faisant de la primaute du droit et du respect des droits et libertes de la personne les assises de la democratie (14). Ensuite, il importe de souligner que la Charte canadienne et les arrets de la Cour supreme du Canada subsequents a son adoption ont joue un role significatif dans l'adoption et l'interpretation de la Constitution of the Republic of South Africa 1996 (15). On ne saurait non plus ignorer, comme le soulignent Craig Scott et Philip Alston, le <> auquel participent les juges de differents systemes juridiques, que ce soit, par exemple, par le biais de colloques scientifiques, de visites intertribunaux ou d'arrets qu'ils rendent (16).

L'utilisation de l'Afrique du Sud comme systeme temoin est non seulement pertinente, mais egalement originale. Selon certains (17), la Constitution sud-africaine serait en effet l'une des premieres lois supralegislatives au monde--n'oublions pas la Charte quebecoise--a reconnaitre, en plus des droits et libertes traditionnels (expression, religion, etc.), certains droits economiques et sociaux, notamment les droits au logement (18), a des soins de sante (19), a la securite sociale (20) et a l'education (21). La Constitution sud-africaine prevoit en outre que l'Etat, sous reserve de contraintes excessives liees a une insuffisance de ressources financieres (22), doit prendre des mesures, entre autres legislatives, afin de donner effet a ces droits dans un delai raisonnable compte tenu des circonstances (23). Notons egalement que les droits economiques et sociaux, au meme titre que les droits civils et politiques, y beneficient d'un statut constitutionnel et prioritaire par rapport a la legislation ordinaire (24). Enfin, bien qu'il existe de nombreuses etudes sur la problematique des droits socioeconomiques tant en Afrique du Sud qu'au Canada, tres peu d'auteurs se sont interesses aux deux systemes a la fois.

La jurisprudence sud-africaine et le droit compare serviront donc a nourrir une reflexion critique portant sur une problematique canadienne, soit la justiciabilite, l'interpretation et la sanction des droits economiques et sociaux dans le contexte de la Charte canadienne et de la Charte quebecoise. Pour ce faire, nous rappellerons d'abord les principaux arguments philosophiques invoques a l'encontre de ces droits. Nous observerons par la meme occasion que les tribunaux canadiens, de maniere generale, se les ont appropries pour justifier leur hesitation a constater et/ou a sanctionner la violation des articles 7 et 15 de la Charte canadienne, ainsi que de l'article 45 de...

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