Notions de base sur les bureaux des ombudsmans federaux specialises.

AuthorHyson, Stewart

De nombreuses études ont été menées sur les hauts fonctionnaires du Parlement, même s'il n 'existe pratiquement pas de consensus sur la classification de ces postes. Bien moins d ëtudes ont porté sur les ombudsmans canadiens, dont certains sont des hauts fonctionnaires et d'autres, des membres de l'exécutif. Les bureaux d'ombudsman spécialisés prennent différentes formes, comme l'illustrent les huit examinés dans le présent article. L'auteur s 'est entretenu avec les dirigeants de ces bureaux et d'autres hauts fonctionnaires en mai 2010.

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Il faut d'entrée de jeu clarifier le terme <>. Les lois et d'autres documents officiels l'utilisent pour désigner le poste d'ombudsman, alors que, dans l'usage courant, le terme désigne tant le poste que la personne qui l'occupe. Il faut donc connaître le contexte dans lequel le terme est utilisé. Dans le présent article, nous utiliserons souvent le terme <>, puisque le personnel de ces bureaux joue habituellement un rôle important dans le traitement et la résolution des plaintes du public.

Le modèle classique

Pour citer un vieux principe, le rôle du Parlement n'est pas de gouverner, mais de s'assurer que le gouvernement dirige le pays dans l'intérêt du public, et de façon équitable, impartiale et légale. Pour s'acquitter de ce rôle, le Parlement doit surveiller les décisions administratives, une tâche qui s'est complexifiée avec le développement de l'État providence, après la Seconde Guerre mondiale, au fur et à mesure que les spécialistes de la fonction publique ont commencé à mettre en oeuvre un plus grand nombre de décisions administratives, elles-mêmes de plus en plus complexes et techniques. Il n'est pas surprenant que cet essor de l'État administratif moderne se soit accompagné d'une augmentation du nombre de plaintes de présumées erreurs administratives, sans qu'on dispose de moyens efficaces pour les résoudre. C'est dans ce contexte qu'au milieu des années 1960, sir Guy Powles, premier ombudsman de la Nouvelle-Zélande, est venu expliquer à un auditoire canadien comment et pourquoi l'ombudsman constituait le meilleur mécanisme pour examiner les plaintes alléguant une erreur administrative (1).

La notion d'indépendance par rapport au Parlement est fondamentale. Nous pouvons rappeler ici les travaux innovateurs de R. MacGregor Dawson sur l'indépendance officielle dans The Principle of Official Independence (2). Il s'est écrit plus récemment d'autres études sur les rôles respectifs de certains hauts fonctionnaires du Parlement indépendants de celui-ci (3). Ensemble, ces études fournissent de nombreux exemples distincts d'institutions canadiennes jouissant d'un statut indépendant, notamment des sociétés d'État, des commissions et tribunaux administratifs, le Bureau du vérificateur général, Élections Canada, l'appareil judiciaire, des commissions royales et d'autres commissions d'enquête, la Commission de la fonction publique, la Commission canadienne des droits de la personne et la Gendarmerie royale du Canada. Dans la démocratie libérale canadienne, chacune de ces entités a acquis, pour des raisons qui lui sont propres, une certaine indépendance par rapport aux dirigeants politiques élus et partisans. Il faut que ces entités soient indépendantes tant du pouvoir exécutif que du Parlement, afin de garantir l'impartialité de leurs activités et de leurs décisions. Par exemple, les sociétés d'État doivent être gérées comme des entreprises, tandis que les organismes de réglementation doivent exercer un pouvoir décisionnel quasi judiciaire. Toutefois, la fonction d'ombudsman est si récente au Canada que J. E. Hodgetts n'en a pas fait mention en 1973, dans son étude classique sur la physiologie de la fonction publique canadienne (4).

Il faut donc nous toumer vers les provinces (l'Alberta et le Nouveau-Brunswick ont été les premières à se doter d'un ombudsman en 1967) pour en apprendre davantage sur la nature particulière de ce statut indépendant accordé à l'ombudsman. En nous basant sur l'expérience qu'ont acquise les provinces (et un territoire) pendant plus de 40 ans, nous pouvons relever les caractéristiques essentielles de l'ombudsman classique (5).

Enrègle générale, l'indépendance de l'ombudsman classique est assurée dès l'établissement de son mandat. Cela ne signifie pas que le processus de création d'un bureau d'ombudsman est toujours à l'abri d'obstacles et de la politique partisane. Par exemple, quatre des dix bureaux d'ombudsman provinciaux et territoriaux ont été plongés dans la controverse au moment de leur création (6). Parce que c'est une loi qui lui accorde le mandat d'examiner les plaintes de la population au sujet de présumées erreurs administratives, le bureau d'ombudsman classique jouit d'une légitimité qu'on ne retrouve pas nécessairement dans les mécanismes de résolution des plaintes instaurés par le pouvoir exécutif. Puisque sa création donne lieu à un débat public ouvert auquel participent tous les partis au Parlement, le bureau d'ombudsman classique apparaît généralement comme une institution indépendante dès sa mise en place. De plus, l'ombudsman doit présenter des rapports annuels au Parlement, oø siègent tous les partis et oø l'on examine son budget annuel, afin de garantir la transparence, la reddition de comptes et la légitimité. Il y a aussi lieu de noter que, conformément à son mandat, le bureau d'ombudsman classique a compétence dans tous les secteurs de la fonction publique oø des décisions administratives touchent la population. Bien que la définition de <> varie d'un endroit à un autre (7), le champ d'action vaste et diversifié de l'ombudsman classique augmente indirectement l'indépendance de cette fonction, puisqu'il empêche la création de liens trop étroits avec un seul type de clientèle.

L'indépendance du modèle classique se manifeste également dans le processus de nomination de l'ombudsman. Suivant la procédure généralement utilisée pour la dotation des postes de dirigeants des autres organismes gouvernementaux au Canada, l'exécutif a la responsabilité légale de nommer une personne au poste d'ombudsman. Toutefois, comme c'est le cas pour toutes les nominations de hauts fonctionnaires (fédéraux ou provinciaux), l'usage veut que la décision de l'exécutif reçoive l'assentiment des parlementaires. Les personnes occupant le poste d'ombudsman peuvent normalement exercer leurs fonctions pendant toute la durée de leur mandat, déterminée dans la loi habilitante et ne pouvant être écourtée que pour un motif valable. Sur le plan organisationnel, l'indépendance d'un bureau d'ombudsman classique tient également au fait que le titulaire du poste d'ombudsman est entièrement responsable du recrutement de son personnel et de l'organisation du processus de résolution des plaintes du public. Une difficulté pointe cependant à l'horizon : le budget de l'ombudsman dépend du budget du gouvernement et, chaque année, l'ombudsman doit présenter à l'exécutif une demande de crédits budgétaires. Les rapports annuels (et les autres rapports) de l'ombudsman sont présentés au président de la législature et, par le fait même, aux représentants élus et à la population en général.

Si, comme l'a fait Gregory Levine (8), on examine la façon dont un bureau d'ombudsman classique règle les différends, on remarque que le style de prise de décisions est diamétralement opposé à celui du système judiciaire, lequel est plutôt axé sur la confrontation et fondé sur le pouvoir d'imposer des décisions exécutoires. L'ombudsman classique, quant à lui, opte plutôt pour les enquêtes et la persuasion et peut même, au besoin, aller jusqu'à rendre une affaire publique en présentant des rapports au Parlement. Une autre caractéristique de l'ombudsman est qu'il traite les plaintes seulement lorsque tous les autres recours administratifs ont été épuisés. Puisque la plupart des entités administratives du secteur public ont mis en place leur propre mécanisme de résolution des plaintes, le public doit d'abord utiliser toutes les avenues que leur offrent ces mécanismes internes avant de s'adresser à un bureau d'ombudsman.

Les ressources en personnel varient énormément entre les dix bureaux d'ombudsman provinciaux et territoriaux, et ces différences influent sur le rendement de ces institutions. Néanmoins, la plupart des plaintes sont traitées rapidement, habituellement en moins d'un mois (9). La rapidité du service est l'une des grandes qualités de cette institution qu'est l'ombudsman. En plus de traiter les plaintes relatives à de présumées erreurs administratives, les bureaux d'ombudsman du Canada (à l'exception de celui du Yukon) ont le droit d'entreprendre de leur propre chef des enquêtes sur des problèmes systémiques. En fait, il semble que ces bureaux soient aujourd'hui plus enclins à exercer ce droit. En d'autres mots, ils anticipent les problèmes au lieu de se contenter de répondre aux plaintes du public. De même, les bureaux d'ombudsman vont souvent au-devant de certains groupes démographiques (les jeunes, les personnes âgées, les prisonniers) ayant des préoccupations semblables, afin de les écouter et de les sensibiliser aux services qu'ils offrent. Il n'est pas rare également de voir un ombudsman rencontrer des administrateurs à titre préventif, pour discuter et régler des problèmes récurrents. Enfin, on remarque que les bureaux d'ombudsman font aujourd'hui appel aux technologies modernes comme les sites Web (10) afin de mieux servir le public, et que la profession d'ombudsman a mûri, à en juger notamment par la mise sur pied de l'Équipe d'intervention spéciale de l'ombudsman (EISO) d'Ombudsman Ontario (11) et par le perfectionnement des techniques d'enquête (12).

Pour être en mesure d'enquêter sur des plaintes, l'ombudsman classique ne fait pas partie de la fonction publique et ne répond pas aux instructions ou aux ordres de l'exécutif. Au contraire, l'ombudsman, comme le veut son mandat, jouit d'une indépendance institutionnelle complète pour traiter comme bon lui...

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