<< Les nouvelles règles de Harper >> sur la formation du gouvernement : mythe ou réalité?

AuthorKnopff, Rainer

Certains ont prétendu que le premier ministre Stephen Harper avait adopté en 2008 une nouvelle théorie suspecte sur le plan constitutionnel en ce qui concerne la formation du gouvernement lorsqu'il a soutenu que de nouvelles élections étaient toujours requises pour pouvoir changer de gouvernement. Ces > ont généré toute une série de critiques de la part de constitutionnalistes.

Nous contestons le bien-fondé de ces critiques des > telles qu'elles ont été principalement formulées par deux ouvrages de premier plan : un ouvrage de Peter Russell, constitutionnaliste très réputé dont les écrits méritent toujours d'être examinés attentivement, et l'ouvrage Democratizing the Constitution, un excellent livre sur le gouvernement responsable qui a gagné de nombreux prix et qui est l'oeuvre du regretté Peter Aucoin, de Mark D. Jarvis et de Lori Turnbull (ciaprès >) (2). Même les meilleurs auteurs et ouvrages peuvent être remis en question et c'est ce que nous allons faire avec le traitement que ces livres de Russell et Aucoin ont réservé aux >.

Contexte

Alors qu'il risquait d'être défait aux Communes tout juste six semaines après avoir réussi à former un nouveau gouvernement minoritaire plus fort en 2008, Stephen Harper a soutenu que la coalition envisagée par les libéraux et les néo-démocrates (avec la promesse d'un appui stable du Bloc Québécois) ne pouvait pas légitimement être choisie par la gouverneure générale pour former un nouveau gouvernement, même au tout début de cette nouvelle législature. >, a soutenu M. Harper, > Quelques jours plus tard, lors d'un débat parlementaire animé avec M. Dion, il a soutenu que >. La plupart des observateurs ont alors compris que ces déclarations du premier ministre signifiaient que la défaite d'un gouvernement minoritaire doit toujours aboutir à de nouvelles élections, parce que seules celles-ci peuvent légitimer un nouveau gouvernement. Pour Harper, de déclarer Peter Russell, >. Aucoin est d'accord : >. Bien sûr, s'il faut tenir une élection chaque fois que le gouvernement perd un vote de confiance ou si l'élection constitue la seule façon de remplacer un gouvernement défait, on pourrait s'attendre à une >. Selon Russell, particulièrement lorsque la > génère des gouvernements minoritaires, la théorie de Harper pourrait se traduire par >.

Ces opposants ont tout à fait raison de soutenir que cette théorie des > pour changer de gouvernement va à l'encontre d'usages bien établis de notre régime parlementaire, notamment que le gouverneur général peut choisir un autre gouvernement après un vote de censure, à tout le moins au début de la législature. Selon Aucoin, >. Mais ce consensus bien établi est en train de s'affaiblir face à certaines opinions contraires, qui ont été exprimées principalement par le premier ministre Harper. En d'autres mots, une opinion auparavant dominante est aujourd'hui contestée par une nouvelle théorie dérangeante qu'on a baptisée les >.

Comme les déclarations de Harper concernant ces > sont brèves et ont été faites lors de débats politiques animés, Russell indique qu'il serait préférable de les appeler les >, nous fournit une > de ces règles que Harper lui-même. Aucoin associe lui aussi Flanagan à cette opinion voulant que > et lui attribue les > visant à soutenir la théorie > défendue par Harper et suspecte sur le plan constitutionnel. D'autres auteurs considèrent aussi que Flanagan est celui qui explique le mieux les opinions de Harper sur cette question (9). Flanagan est donc considéré par tous par le théoricien en chef de ces >, mais Aucoin considère que Michael Bliss et Andrew Potter soutiennent également cette position.

Mal interpréter Flanagan, Bliss et Potter

Ceux qui attribuent à Flanagan l'opinion voulant que la perte de la confiance de la Chambre doive toujours entraîner de nouvelles élections se fondent exclusivement sur un article d'opinion paru dans le Globe and Mail du 19 janvier 2009. Aucoin précise clairement que c'est cet article qui justifie la théorie des élections à tout prix pour un changement de gouvernement (10) et il en reproduit d'ailleurs une grande partie aux pages 175 et 176 de l'ouvrage Democratizing the Constitution. Une notion clé de cet article de Flanagan est que >. Selon Aucoin, cette opinion >, et il > (12) >> ou, comme Russell l'a expliqué, >.

Mais cette position--que ses opposants attribuent clairement à Flanagan--est difficile à concilier avec une autre opinion que Flanagan avait fait paraître dans le Globe and Mail tout juste un mois plus tôt, une opinion qu'aucun de ses opposants n'a soulignée à notre connaissance (14). Cette opinion de décembre 2008, intitulée > (Cette coalition change tout), permet de répondre à la question de savoir si le gouverneur général devrait accepter de déclencher des élections si le gouvernement est défait par la coalition :

Normalement, il serait facile de répondre à cette question. Comme la dernière élection est très récente, un premier ministre qui est défait à la Chambre ne devrait pas s'attendre à une nouvelle élection, et l'opposition devrait avoir la chance de gouverner si elle peut garantir une certaine stabilité, ce que l'opposition a fait avec son projet de Cabinet libéral-néo-démocrate appuyé par le Bloc (15). C'est très loin de vouloir dire que si > >>. En fait, cette opinion reconnaît explicitement que >, cela ne devrait pas survenir au début d'une législature, et que >, le gouverneur général devrait, dans ce cas, rejeter la demande de dissolution et choisir un nouveau gouvernement. Nous avons souligné l'utilisation de > dans l'opinion de Flanagan afin de faire ressortir à quel point ce raisonnement est tout à fait conforme au vieux consensus défendu par les personnes dont les noms figurent dans la cellule supérieure droite du tableau qui suit, peut-être même jusqu'à inclure Eugene Forsey, qui, selon ce tableau, serait d'avis que non seulement refuser la dissolution est permis par la Constitution, mais aussi qu'on devrait la refuser dans des conditions précises.

L'article de décembre 2008 de Flanagan invoque de manière explicite les travaux de Forsey pour appuyer son idée que la dissolution ne devrait pas > être accordée au tout début d'une législature. Toutefois, il poursuit en se fondant toujours les thèses de Forsey pour conclure que la situation qui prévalait en 2008-2009 n'est pas >.

Mais il ne s'agit pas d'une situation normale. Nous savons tous que le constitutionnaliste Eugene Forsey était d'accord pour que lord Byng refuse à Mackenzie King une élection en 1926, mais même M. Forsey avait dû admettre qu'une élection aurait été nécessaire si > (17). Pour Flanagan, >, et ce, pour deux raisons. Premièrement, parce que la survie de la coalition dépendait de l'appui stable et permanent que lui avait promis un parti séparatiste; deuxièmement, parce que les principaux acteurs de cette coalition avaient explicitement rejeté cette même idée durant la campagne électorale qui venait de se terminer (19). Il est clair que l'article d'opinion de 2008 de Flanagan ne préconisait pas de manière générale de nouvelles élections chaque fois qu'un gouvernement minoritaire était défait à la suite d'un vote de confiance, comme le soutiennent ses opposants à propos de l'article qu'il a rédigé juste un mois plus tard. De plus, cet article de 2008 indique clairement que si une nouvelle élection--tenue cette fois avec évidemment la possibilité d'une coalition--reportait le gouvernement conservateur au pouvoir, les partis d'opposition devraient s'attendre que la gouverneure générale demande à la coalition de former un gouvernement si celleci parvenait à défaire le gouvernement conservateur lors d'un vote de confiance peu après l'élection.

Il est bien sûr possible que Flanagan ait changé d'idée au cours de ce mois et qu'il ait opté pour la position des > en janvier 2009, mais il existe des preuves qu'il n'avait pas fondamentalement changé d'opinion. On peut d'ailleurs le constater dans l'article de 2009 même, dans des passages que ses opposants n'ont jamais cités (comme ils ont systématiquement ignoré l'article de 2008). Même Aucoin, qui reproduit presque tout le reste de l'article de janvier 2009, oublie cette partie où Flanagan explique sa déclaration selon laquelle > :

Ensemble, les libéraux et les néo-démocrates ont remporté seulement 114 sièges, 29 de moins que les conservateurs. Ils ne peuvent rester au pouvoir qu'avec l'appui du Bloc, dont la raison d'être est le démembrement du Canada. Les libéraux et les néo-démocrates ont publié le texte de leur accord, mais non celui de leur entente avec le Bloc. De plus, les partenaires de cette coalition n'ont pas parlé de l'éventualité d'une coalition durant la campagne électorale; en fait, le chef libéral Stéphane Dion a nié qu'il formerait une coalition avec le NPD. Dans les pays où les gouvernements de coalition sont fréquents, les partis révèlent leurs alliances de manière que les citoyens soient conscients de l'incidence que leur vote aura sur la composition de l'exécutif après l'élection. Ici, c'est exactement le contraire, ceux qui ont voté pour les libéraux, les néo-démocrates ou le Bloc lors de la dernière élection ne pouvaient pas savoir qu'ils choisissaient un gouvernement libéral-néo-démocrate appuyé par le Bloc en vertu d'un protocole secret. Pour toutes ces raisons, j'estime qu'il s'agirait d'une violation massive des normes démocratiques de la libre discussion et de la règle de la majorité (20). Ici, comme c'était le cas dans l'article de 2008, Flanagan souligne le caractère particulier--le caractère anormal--de cette tentative de remplacement d'un gouvernement sans tenir d'élections, et ne soutient pas que toutes les tentatives de remplacement d'un gouvernement sans tenir d'élections sont illégitimes.

On pourrait dire la même chose de Michael Bliss, le deuxième nom qui se trouve dans la cellule supérieure gauche du tableau d'Aucoin qui regroupe les partisans de la théorie des élections à tout prix. Bliss avait envoyé...

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