Obstruction en Ontario et a la Chambre des communes.

AuthorCharlton, Chris

Chris Charlton est candidat au doctorat en sciences politiques a l'Universite de Toronto..

Dans le regime parlementaire, il existe une tension constante entre le droit du gouvernement de gouverner et le droit de l'opposition de s'opposer. A quel moment l'exercice d'une opposition legitime se transforme-t-il en obstruction? Le present article se penche sur certains problemes entourant la definition de l'obstruction et compare l'incidence de celle-ci a la Chambre des communes et a l'Assemblee legislative de l'Ontario. Les donnees utilisees ici ont ete recueillies par l'auteur pour sa these de doctorat concernant l'obstruction dans ces deux parlements.

L'ouvrage fondamental de sir Erskine May sur la procedure parlementaire britannique contient huit allusions a la question de l'obstruction. Les six premieres concernent le droit des deputes, des dignitaires du Parlement, des auteurs de petitions, des temoins et des avocats d'exercer leurs fonctions aupres du Parlement sans ingerence. Dans chacun de ces cas, c'est de violation de privileges et d'outrage qu'il s'agit, c'est-a-dire d'infractions passibles de sanctions. Mais les deux autres categories, a savoir l'obstruction des travaux de la Chambre et l'opposition systematique, sont d'une autre nature, puisqu'elles n'impliquent pas de manquement au reglement. Les deputes peuvent donc s'y livrer plus ou moins impunement.

Le depute qui > ou encore qui, sans vraiment transgresser une regle, utilise son droit de parole pour empecher le deroulement du debat ou fait obstruction aux travaux de la Chambre en detournant la procedure, ce depute n'est pas theoriquement coupable d'inconduite. Il ne peut donc vraisemblablement pas etre force de quitter la Chambre pour le reste de la seance. Toutefois, il peut etre juge coupable d'outrage a la Chambre et faire l'objet d'un rappel a l'ordre. La presidence se sert relativement peu de ce pouvoir (1).

De fait, en Grande-Bretagne, il n'est arrive que quatre fois a un depute d'etre rappele a l'ordre pour obstruction, dont pas une seule au cours des 70 dernieres annees.

Voila donc la difference entre les deux grands types d'obstruction. La violation de privileges et l'outrage sont passibles de mesures punitives, ce qui reduit leurs effets sur le processus legislatif general, tandis que l'obstruction des travaux de la Chambre n'est passible d'aucune sanction. Il incombe donc de comprendre l'obstruction si l'on veut tirer des conclusions sensees du processus legislatif.

Qu'est-ce que l'obstruction?

Les ouvrages specialises qui concernent aussi bien l'Assemblee legislative de l'Ontario que le Parlement du Canada regorgent d'allusions a l'obstruction des debats, mais le seul auteur a avancer une definition est C.E.S. Franks. > Franks fait remonter l'apparition de l'obstruction a >, et deplore le rythme de plus en plus lent auquel la Chambre des communes traite le programme legislatif du gouvernement.

L'Assemblee legislative de l'Ontario et la Chambre des communes n'obeissent pas exactement aux memes regles de procedure. Neanmoins, dans les grandes lignes, leurs processus legislatifs sont remarquablement semblables (3). Ces deux chambres se conforment au cadre general elabore en Grande-Bretagne. Tous les projets de loi doivent y etre lus trois fois.

La premiere lecture s'entend de la presentation d'un projet de loi. Celui-ci est depose, imprime et rendu public. La personne qui le propose peut l'expliquer brievement, mais ni amendement ni debat n'est permis a ce stade. La deuxieme lecture vise l'approbation du principe du projet de loi. C'est, pour la Chambre, la premiere occasion d'en debattre. Un vote affirmatif a ce stade est suivi de l'examen detaille du texte en comite, qu'il soit permanent ou plenier (4). Le projet de loi est alors decortique et fait l'objet d'un vote article par article. Une fois approuve en comite, il est renvoye a la Chambre. L'etape du rapport donne a tous les deputes la possibilite de proposer des amendements et d'en debattre, apres quoi ils sont pries de souscrire au rapport du comite. Apres que le rapport est adopte, le projet de loi passe en troisieme lecture pour approbation generale finale et vote. Si ce vote est favorable lui aussi, le projet de loi passe a la derniere etape qui, en vertu d'une convention, est devenue une simple formalite. Le texte legislatif est remis au representant de la Reine, qui procede a la sanction royale. A ce moment, il devient loi, et sa prise d'effet a lieu a la date de proclamation prevue dans le texte meme (5).

Comment mesurer l'obstruction?

Une methode possible consisterait a considerer le pourcentage des projets de loi adoptes par rapport a ceux qui ont ete presentes. Toute proportion inferieure a 100 p. 100, pourrait-on soutenir, est un signe que l'opposition a reussi a entraver le programme legislatif du gouvernement. Au Parlement federal, entre 1974 et 1993, le pourcentage moyen des projets de loi adoptes a ete de 79 p. 100 (6), tandis que, en Ontario, il s'est etabli a 75 p. 100 entre 1975 et 1995. Dans les deux chambres, donc, plus d'un cinquieme des projets de loi presentes par le gouvernement sont >.

Toutefois, l'obstruction ne peut, a elle seule, expliquer l'ecart numerique entre les projets de loi presentes et adoptes. D'ailleurs, quelques exemples suffiront pour le prouver. Comme l'a souligne Bob Rae, toutes sortes de pressions d'origines differentes tendent a faire inscrire des projets de loi dans le programme legislatif du parlement.

Vers le milieu du mandat du gouvernement, pendant l'hiver de 1993, nous en faisions encore beaucoup trop. Chaque ministre avait son projet de predilection, auquel il ne voulait ni ne pouvait renoncer. De plus, chaque ministere possedait ses propres concepteurs de politiques, bien determines a resoudre tous les problemes possibles par des lois, des lois, des lois. [...] Nous avions donc un ordre du jour tres charge, qui etait devenu pratiquement impossible a gerer (7).

Pourtant, il fallait bien le gerer. C'est ainsi que le gouvernement a cree un nouveau mecanisme charge d'examiner chaque nouvelle proposition legislative: le comite de gestion de la Chambre.

Son travail consiste avant tout a classer par ordre de priorite les souhaits des ministres, de maniere a etablir un programme legislatif gerable. L'un des principaux criteres pris en compte est le temps dont la Chambre dispose pour traiter les projets de loi du gouvernement. A ce sujet, dans l'un de ses rapports au caucus, le comite declare:

La Chambre sera en mesure de faire avancer 40 projets de loi arrives a diverses etapes, au cours de la session d'automne. Ce nombre represente un leger accroissement par rapport aux travaux realises dans les sessions anterieures. Il a ete decide de ne pas viser davantage, parce que, abstraction faite des changements au reglement, de nombreux textes sont fort controverses, et la plupart des projets de loi reportes n'ont ete lus qu'une seule fois. Soulignons que la liste des 40 points prioritaires comprend des projets de loi aussi bien nouveaux que reportes, ainsi que des textes dont on pense qu'ils ne passeront que par une seule etape (8).

L'une des principales contraintes limitant la taille du programme legislatif du gouvernement etait donc l'opposition prevue a certaines de ses initiatives prioritaires, dont on craignait qu'elle reduise le temps disponible pour examiner d'autres questions. Ainsi, seulement 40 textes legislatifs ont ete classes dans la categorie des priorites pour la session a venir, tandis que 49 autres initiatives etaient considerees comme des non-priorites. Dans le contexte des premieres lectures, le gouvernement aurait presente 41 autres projets de loi s'il ne s'etait pas senti limite par la possibilite que l'opposition manipule le temps disponible de la Chambre. Il etait donc vrai que l'opposition entravait indirectement le programme legislatif du gouvernement, meme si cela n'apparaissait pas d'emblee a la simple analyse du pourcentage de projets de loi adoptes par rapport aux projets de loi presentes.

De plus, l'analyse purement statistique risque d'accorder trop d'importance a la capacite de l'opposition d'influer sur l'ordre du jour du gouvernement. Au printemps de 1990, la decision prise par le premier ministre de declencher des elections au cours de l'ete etait un secret de polichinelle. Pourtant, au cours du dernier mois de la session de printemps, le gouvernement a depose 29 nouveaux projets de loi. Bien entendu, personne ne s'attendait a ce que tous ces textes soient adoptes (9). L'intention etait plutot symbolique: > En fait, dans ce cas particulier, 24 des 29 projets de loi n'ont meme pas ete pris en consideration au-dela de la premiere lecture.

legislature, le pourcentage du nombre de projets de loi adoptes par rapport au nombre de

[Part 1 of 3] Tableau 1 Projets de loi du gouvernement federal 1974-1993 1974-79 1979 30e legislature 31e legislature Projets de loi presentes en...

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