Parjure, outrage et privilege : les pouvoirs de coercition des comites parlementaires.

AuthorRobert, Charles

Le présent document porte sur l'histoire du privilège et de l'assermentation de témoins ainsi que sur les enjeux qui s'y rapportent. En somme, il y est soutenu que les pouvoirs relatifs à l'outrage que possèdent les comités ne suffisent pas toujours à exiger la comparution de témoins ni à les contraindre à témoigner; que, en prévoyant par voie législative le pouvoir de faire prêter serment, en soustrayant les témoignages sous serment aux protections habituelles du privilège en cas de parjure et en confiant aux tribunaux la responsabilité des poursuites dans les cas de parjure, le Canada a créé un mécanisme plus efficace pour sévir contre ceux qui mentent à un comité parlementaire; que les dispositions de la Charte garantissant la primauté du droit et l'application régulière de la loi peuvent entrer en conflit avec les pouvoirs de coercition du Parlement; que d'autres pouvoirs allégués, comme la capacité d'imposer des amendes aux contrevenants, peuvent également être contestables; que le pouvoir de sanctionner l'outrage et d'imposer des amendes ne peut plus être affirmé avec certitude tant que les tribunaux ne se seront pas prononcés. Comme solution, les auteurs proposent qu'on réalise une étude exhaustive des privilèges et des pouvoirs du Parlement en ce qui concerne ses comités et qu'on envisage de faire en sorte que les comités soient équipés correctement pour agir à l'égard des interprétations des droits juridiques et humains qui ont cours depuis l'adoption de la Charte.

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L'Utilisation de pouvoirs de coercition par le Parlement a deux fonctions identifiables : contraindre ou punir. La contrainte peut servir dans le cas de témoins qui hésitent ou répugnent à coopérer; il s'agit d'une situation immédiate. Les sanctions servent après le fait, à l'encontre de témoins dont le comportement a été jugé offensant pour la dignité du comité. La possibilité de recourir à la contrainte ou aux sanctions est laissée entièrement à la discrétion du comité, sous réserve de confirmation par la Chambre. L'histoire de ces pouvoirs de coercition et leur efficacité n'ont pas fait l'objet d'études ni d'observations très importantes. L'ouvrage Le privilège parlementaire au Canada, de Joseph Maingot, est l'un des seuls qui aient abordé la question, mais son analyse ne se prétend pas exhaustive, et Maingot ne se demande pas vraiment si ces pouvoirs conviennent encore de nos jours, bien qu'il soit sensible à l'évolution du contexte juridique provoqué par l'ajout de la Charte à la Constitution. Faudrait-il revoir ces pouvoirs pour en maximiser l'utilité dans le contexte contemporain? Se sont-ils ressentis de la proclamation de la Charte, qui garantit les droits individuels, notamment l'application régulière de la loi et la protection contre l'auto-incrimination?

Les privilèges et les pouvoirs du Parlement du Canada découlent des pratiques et traditions parlementaires britanniques. En Angleterre, la Chambre des communes exerce depuis des siècles ses pouvoirs à l'égard de l'outrage. Comme élément de la Haute Cour du Parlement, elle avait le droit inhérent d'insister sur une coopération complète des témoins convoqués à la barre de la Chambre ou devant l'un de ses comités. Le refus de se conformer aux demandes d'information pouvait entraîner diverses sanctions, dont des remontrances, des réprimandes et, assez fréquemment, l'emprisonnement.

Il se trouve que l'affirmation fructueuse de la suprématie du Parlement, à la fin du XVIIe siècle, a confirmé ces pouvoirs et a également contribué à des excès dans leur utilisation. Le jugement rendu dans l'affaire Stockdale v. Hansard comprend une liste d'excès commis pendant un siècle (1). Parmi les pires exemples, il faut noter la violation des biens privés de députés, comme le braconnage et des intrusions, voire l'éviction de locataires pour non-paiement du loyer. Ces excès n'avaient aucun lien avec une interprétation stricte de la notion d'outrage, car les faits ne constituaient pas une entrave au fonctionnement de la Chambre ni à la participation des députés. Ces pratiques excessives ont fini par être tempérées, et, ce qui convient mieux, on a limité le recours aux pouvoirs en matière d'outrage aux cas oø il fallait faire respecter les ordres de la Chambre dans la poursuite de ses travaux.

Outre le pouvoir relatif à l'outrage, la Chambre des communes a réclamé le droit de faire prêter serment aux témoins, droit qui lui a été intégralement conféré par voie législative en 1871. À la différence de ce qu'on observait à la Chambre des lords, les Communes ne possédaient pas ce droit de façon inhérente parce qu'elles n'exerçaient pas de fonctions judiciaires. Par contre, elles s'occupaient de questions quasi judiciaires comme les élections contestées et les requêtes en divorce. Les premières tentatives d'audition de témoins sous serment ont été entachées de procédures irrégulières. Lorsque des députés étaient également magistrats, on pouvait leur demander de faire prêter serment aux témoins. Il est arrivé aussi que des témoins soient envoyés prêter serment à la barre de la Chambre des lords. Ces pratiques, qui n'étaient pas autorisées par la loi, ont été utilisées sporadiquement pendant une centaine d'années, jusqu'à leur abandon, au milieu du XVIIIe siècle.

Si on préférait entendre les témoins sous serment, c'est en partie à cause d'au moins deux raisons. D'abord, il s'agissait de faire comprendre aux députés comme aux témoins le sérieux de certaines des délibérations des comités. Deuxièmement, le nombre croissant de projets de loi d'intérêt privé accentuait le besoin d'entendre les pétitionnaires sous serment, pour éviter que le Parlement ne légifère en s'appuyant sur des informations fausses.

Le Grenville Act de 1770 a été la première loi à remplacer cette approche fragmentaire par une démarche plus systématique. Il s'agissait de permettre aux comités qui étudiaient les cas d'élections contestées de se comporter davantage comme s'il s'agissait d'un procès. Cette même loi a également autorisé la Chambre des communes à faire prêter serment à des témoins à la barre dans certains cas. Diverses modifications ont été apportées à cette loi et à d'autres lois analogues après 1770, de façon à étendre la portée de l'action des comités et les sujets pour lesquels ils pouvaient faire prêter serment. Les questions étudiées étaient surtout des élections controversées et des cas de divorce.

Pour finir, le Parliamentary Witnesses Oaths Act de 1871 a accordé à la Chambre des communes et à ses comités le droit de faire prêter serment sans aucune restriction. Pour en reprendre le texte, >. Avant l'adoption de ces textes législatifs, l'article 9 du Bill of Rights interdisait aux tribunaux d'utiliser le moindre élément des délibérations parlementaires comme preuve à quelque fin que ce soit. Les lois permettant l'assermentation des témoins, plus particulièrement la loi de 1871, ont levé cet obstacle en prévoyant une exception législative à l'article 9. Cette interprétation a été confirmée par le Comité mixte du privilège parlementaire du Royaume-Uni en 1999 (2) et par Maingot (3). Jusqu'à l'adoption du Defamation Act 1996 (4), qui permet une utilisation limitée du Hansard par les députés comme élément de preuve dans les actions en diffamation, le parjure était la seule exception à l'article 9.

Ces exceptions à l'article 9 n'ont pas entravé les pouvoirs de coercition du Parlement, au contraire. À cause de l'ajout du pouvoir d'assermentation, on pouvait retenir contre les témoins deux accusations distinctes, l'outrage et le parjure. Selon les circonstances, on pouvait porter une accusation ou l'autre ou encore les deux. Ce fait a été reconnu dès 1844 dans la première édition de l'ouvrage d'Erskine May, Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament. Le rapport britannique de 1999 sur le privilège a également signalé cette double responsabilité, sans exprimer de préoccupation particulière, mais un juge britannique a manifesté une certaine inquiétude récemment au sujet de la possibilité de résultats contradictoires, s'il était donné suite aux deux accusations. En réalité, la chose ne s'est jamais produite et elle semble fort peu probable (5).

On ne trouve au XIXe siècle que trois exemples d'accusations de parjure qui ont été recommandées par la Chambre des communes. Ils sont tous les trois antérieurs à la loi de 1871 et il s'agit, dans tous les cas, de faux témoignages relatifs à l'examen, par un comité, d'une élection contestée (6).

Ces exemples ont suscité l'impression que des poursuites pour parjure ne peuvent être intentées que sur recommandation de la Chambre, ou que des poursuites doivent être intentées si la Chambre le demande. Cette position ne semble guère fondée. Comparaissant en 1869 devant un comité spécial des Communes, Erskine May a proposé une autre interprétation. Comme on lui demandait s'il ne pouvait y avoir mise en accusation pour parjure qu'avec la permission de la Chambre, May a répondu par la négative :

... la Chambre des communes serait dans la même position que tout autre tribunal qui fait prêter serment: et la loi du parlement dirait, comme ce fut le cas dans la loi de 1858, que >. C'est maintenant le cas en ce qui concerne les comités relatifs aux projets de loi d'intérêt privé, ainsi que les comités de la Chambre des lords; et je ne vois pas pourquoi la Chambre des communes serait traitée différemment (7). May s'est servi de l'exemple des tribunaux pour montrer que la décision de porter une accusation de parjure serait prise, en fin de compte, à la discrétion de l'autorité chargée des poursuites. La décision n'a pas à dépendre...

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