La prerogative royale dans les contextes britannique et canadien.

AuthorHicks, Bruce M.

Le présent article se penche sur la prérogative royale de proroger le Parlement. Il donne d'abord un aperçu du contexte britannique et retrace l'historique des prérogatives royales qui régissent le Parlement, en relevant au passage les précédents législatifs oø celui-ci a limité ces prérogatives. Il examine ensuite le contexte canadien, oø les premiers ministres, contrairement à leurs homologues britanniques, n'ont pas hésité à s'opposer au chef de l'État quant à l'utilisation de ces pouvoirs. Enfin, l'auteur avance que cette différence dans les comportements politiques est le fruit d'un ensemble de facteurs historiques, culturels et politiques qui expliquent que le Parlement canadien se montre réticent à légiférer pour corriger la situation, comme l'a fait le Parlement britannique il y a des siècles, lorsqu'il a été confronté à un abus semblable de ces pouvoirs par la Couronne.

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La gouverneure générale Michaëlle Jean a convoqué la 40e législature du Canada pour le 8, novembre 2008. Seulement deux semaines après 1 ouverture de la première session, le premier ministre, faisant face à une défaite imminente sur une motion de censure, lui a demandé de proroger le Parlement. La gouverneure générale a accédé à sa demande et le vote de censure a ainsi pu être évité.

Un an plus tard, le 30 décembre 2009, le premier ministre a de nouveau demandé à la gouverneure générale de proroger le Parlement. Encore une fois, elle s'est rendue à sa demande. Cette fois-ci, le gouvernement n'était pas confronté à un vote de confiance, mais plutôt à des audiences parlementaires visant à déterminer si les citoyens afghans capturés dans le cadre de la mission dirigée par l'OTAN avaient été remis aux autorités locales alors qu'on savait qu'ils pourraient être torturés. Le gouvernement a alors prétendu que la prorogation était nécessaire pour rajuster le programme législatif, en général, et la composition des comités sénatoriaux, en particulier, puisque les récents départs à la retraite avaient modifié la représentation relative des partis à la Chambre haute.

Précédents historiques et législatifs britanniques

La Loi constitutionnelle de 1867 stipule : >, établissant ainsi un modèle de gouvernance exécutive assujettie à la suprématie du Parlement et inspiré de celui de Westminster, ce qui est semblable à l'appareil étatique qui existait au Royaume-Uni.

Le préambule de cette loi en précise aussi l'objet, à savoir l'établissement d'>. Autrement dit, il s'agit d'une constitution fondée principalement sur une prérogative royale limitée par des conventions constitutionnelles, des lois et la common law.

Bien que le Parlement soit structuré par une > écrite au Canada, son existence même, comme c'est le cas au Royaume-Uni, relève de la prérogative royale. C'est, en effet, à la prérogative de la Couronne de nommer les sénateurs que les membres de cette chambre doivent leur mandat; c'est à une ordonnance de la Couronne que les membres des Communes doivent leur élection; c'est par la seule volonté de la Couronne que chaque parlement s'assemble.

En Angleterre, les prérogatives qui régissent le Parlement constituent, au départ, des mécanismes permettant au roi de contrôler les dissidents se trouvant parmi les autres détenteurs de pouvoirs militaires et politiques qui, après l'invasion de Guillaume le Conquérant, se mettent rapidement à contester l'imperium revendiqué par le monarque, tout d'abord au sein de la noblesse et, ensuite, au sein du clergé. La décision de convoquer une assemblée de barons, de prélats et de ministres, assemblée qui est surnommée > au XIIIe siècle, n'est rien d'autre qu'un mécanisme politique visant à amadouer ceux qui contestent l'autorité de la Couronne.

Au début, un peu tout le monde peut être membre du Parlement, mais, au XIVe siècle, Édouard III décide de combler les lacunes du règne de son père et > des nobles et des chefs religieux bien précis au Parlement, définissant ainsi >. Il y convoque, de plus, des chevaliers de comté et des bourgeois, scindant du même coup l'organe en deux chambres -- d'oø le modèle bicaméral de la Chambre des lords et de la Chambre des communes encore en place de nos jours au Royaume-Uni. Ainsi, la prérogative royale de > des citoyens au Parlement est née du désir du roi de contrôler de puissants groupes existant au sein du pays, tout en conservant suffisamment d'appuis pour gouverner le royaume. Dans le cas d'Édouard, cela signifie, plus précisément, d'avoir les moyens de lever les années et les fonds nécessaires à la guerre de Cent Ans.

Souhaitant garder un oeil sur le roi et les sommes qui lui sont versées, les parlements qui siègent sous le règne d'Édouard III adoptent, pour la première fois en 1330, puis en 1362, une loi obligeant le roi à convoquer tre parlement tous les ans. Dans la pratique, le Parlement n'est pas convoqué chaque année, du moins pas avant la guerre civile anglaise, mais ces lois demeurent néanmoins une exigence légale adoptée par le Parlement et à laquelle sont assujetties les prérogatives royales de convocation et de dissolution jusqu'au XIXe siècle (1).

Il n'y a pas de session à l'époque, et la prorogation ne constitue donc pas une forme de prérogative royale. Le Parlement est convoqué, il examine les questions dont il est saisi -- touchant principalement la levée des années et des impôts --, puis il est dissous par le roi, qui en convoque un autre lorsqu'il a de nouveau besoin de >.

C'est à Henri VIII que revient la brillante idée de maintenir de façon plus permanente un parlement largement acquis à ses idées, plutôt que d'en convoquer un nouveau chaque >. Certes, le fait de permettre à un parlement de siéger de façon continue constitue une entreprise risquée, même si ses membres sont bien disposés à l'égard du monarque. Ils finiront inévitablement par vouloir proposer des lois de leur cru. Ainsi, vers 1530, le roi Henri invente la >; il va donc pouvoir ajourner le Parlement sans le dissoudre et simplement le rappeler lorsqu'il en a de nouveau besoin, avec les mêmes membres qui s'y sont réunis > précédente. Ici encore, on voit bien que la prorogation, à l'instar de la convocation et de la dissolution, n'est rien d'autre qu'un mécanisme permettant à la Couronne d'éviter d'avoir à rendre des comptes et de refréner les élans législatifs et les velléités de pouvoir de groupes politiques concurrents.

Il est ironique de constater que la rupture d'Henri VIII avec l'Église catholique et son besoin d'établir sa succession parmi les enfants qu'il a eus de différentes épouses jettent les bases de la suprématie parlementaire à l'époque même oø le roi représente, pour les Britanniques, ce qui se rapproche le plus d'un monarque absolu. Bien que les Tudor aient découvert que la > peut être plus puissante et légitime que la > agissant seule, ces parlements qui durent plus longtemps, malgré les prorogations périodiques, commencent à s'affirmer. On se met ainsi à revendiquer que les parlements aient le droit de débattre d'autres sujets que ceux dont ils sont saisis par la reine, dont celui d'examiner des griefs présentés au nom du peuple (2).

Les changements les plus radicaux surviennent sous le règne de Charles 1er qui tente de gouverner pendant 11 ans sans convoquer le Parlement et qui, lorsqu'il finit par le convoquer, le dissout trois semaines plus tard. Mais, comme il a toujours besoin d'argent, il est forcé de convoquer un autre parlement, qui l'oblige à sanctionner la Dissolution Act 1641 (3). Cette loi autorise le grand chancelier ou, en son absence, la Chambre des lords, à délivrer des brefs pour l'élection des membres des Communes si le roi omet ou refuse de convoquer un parlement pour au moins une session tous les trois ans (la session devait durer au moins 50 jours)...

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