Le privilege parlementaire, la primaute du droit et la Charte apres l'affaire Vaid.

AuthorFox-Decent, Evan
PositionSatnam Vaid

Le privilège parlementaire protège certaines activités des organes législatifs et de leurs membres contre le droit commun et le contrôle judiciaire. Il semble placer ces activités au-dessus des principes et du cadre institutionnel de la primauté du droit, ce qui risque d'entraîner des conséquences graves, comme l'impossibilité pour une personne victime de discrimination d'exercer un recours si cette discrimination découle d'un acte protégé par le privilège parlementaire. Le présent document examine une affaire récente et avance que la primauté du droit et le privilège parlementaire, lorsqu 'ils sont bien compris, se complètent au lieu de s'opposer. Plus particulièrement, les acteurs législatifs ont le droit d'interpréter les normes constitutionnelles lorsqu'ils cherchent à invoquer le privilège. De plus, l'auteur soutient que les juges ne sont pas les seuls gardiens de la primauté du droit, et les fonctions législatives, comme celle de président de la Chambre, jouent un rôle légitime dans son maintien. Il conclut qu'il faut cependant exposer les raisons confirmant le pouvoir légitime de la Chambre de régler les différends entre députés dans le cadre du privilège parlementaire, tout en fournissant aux tribunaux les principes leur permettant d'intervenir lorsque les faits le justifient.

De 1984 à 1995, Satnam Vaid a travaillé en qualité de chauffeur pour trois présidents successifs de la Chambre des communes. Congédié en janvier 1995, il a déposé un grief sous le régime de la Loi sur les relations de travail au Parlement (la LRTP), pour lequel il a eu gain de cause, et il a été réintégré dans ses fonctions en août de la même année. À son retour, on lui a annoncé que le poste avait été désigné >. Puisqu'il ne connaissait pas le français, M. Vaid a dû suivre des cours de langue. En avril 1997, il a informé le président qu'il voulait réintégrer ses fonctions, mais le bureau du président lui a répondu que, par suite d'une réorganisation, son poste deviendrait excédentaire le 29 mai 1997.

En juillet 1997, M. Vaid a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne deux plaintes distinctes à l'encontre de la Chambre des communes et de son président, alléguant qu'ils avaient agi de façon discriminatoire à son endroit du fait de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. Il s'est également plaint d'avoir fait l'objet de harcèlement en milieu de travail.

La Chambre des communes et son président ont contesté la compétence du Tribunal canadien des droits de la personne (le >) pour des motifs fondés sur le privilège parlementaire. Dans une décision majoritaire, le TCDP a tranché en faveur de M. Vaid, et la Chambre des communes et son président ont demandé un contrôle judiciaire. Leur demande a été rejetée par la Section de première instance de la Cour fédérale, et cette décision a été confirmée à l'unanimité par la Cour d'appel fédérale. La Cour suprême a instruit l'appel de la Chambre des communes et de son président, et a invalidé à l'unanimité les décisions des tribunaux inférieurs. Le juge Binnie, qui a rédigé les motifs de ce jugement unanime, a statué que la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquait aux employés de la Chambre, que les appelants n'avaient pas établi l'existence du privilège qu'ils revendiquaient, mais que, selon les faits présentés, le tribunal compétent pour régler le différend était le régime établi par la LRTP plutôt que le TCDP.

À vrai dire, les motifs détaillés de la Cour quant au privilège sont incidents parce que cette dernière n'a pas confirmé le privilège revendiqué et que sa décision finale n'était donc pas fondée sur une exception d'immunité recevable. Néanmoins, 56 des 80 paragraphes de la rubrique > traitent explicitement de la doctrine de l'immunité et ont essentiellement pour effet de réaffirmer et d'expliquer en détail la décision majoritaire de l'arrêt-clé antérieur, New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (président de l'Assemblée législative).

Je soutiens que le cadre d'analyse que les tribunaux devraient utiliser pour déterminer si une revendication de privilège satisfait au critère de nécessité se fonde toujours sur l'arrêt rendu à la majorité dans l'affaire New Brunswick Broadcasting, et que ce cadre est légèrement différent de celui proposé dans l'arrêt Vaid, mais l'unanimité de la Cour dans ce dernier cas donne à penser qu'en règle générale, ce récent arrêt fait désormais autorité au Canada en matière de privilège parlementaire.

Le juge Binnie parle abondamment du fondement constitutionnel du privilège parlementaire, principe ancré dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce dernier pose l'exigence d'>. En outre, l'article 18 de cette loi (modifiée en 1875) prévoit ce qui suit :

Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunitès ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre. Par ailleurs, l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada définit ces privilèges, immunités et pouvoirs comme étant > et >.

Le fondement juridique du privilège parlementaire fédéral possède donc des dimensions constitutionnelles et législatives, mais son contenu exact doit être à la fois fondé sur les privilèges de la Chambre des communes du Royaume-Uni et limité par eux. Selon l'interprétation que fait le juge Binnie du passage pertinent du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, il existe un > oø >. Il conclut que le privilège parlementaire fait partie de la Constitution, à titre d'accessoire nécessaire à la séparation des pouvoirs, et que, par conséquent, la Charte ne peut primer sur le privilège parce que >.

Dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting, le tribunal a confirmé le pouvoir d'une assemblée législative provinciale d'invoquer le privilège parlementaire pour empêcher les médias de filmer et de télédiffuser les débats depuis la tribune de la presse. La liberté de la presse garantie par l'alinéa 2b) de la Charte ne peut prendre le pas sur un ordre du président protégé par le privilège parlementaire--d'exclure les > de l'assemblée législative. Toutefois, dans la Loi constitutionnelle de 1867, aucune disposition semblable à l'article 18 ne fournit expressément aux assemblées législatives provinciales un fondement au privilège parlementaire. Par conséquent, dans l'affaire New Brunswick Broadcasting, le tribunal s'est fondé sur des privilèges > à la création et au fonctionnement d'une assemblée législative provinciale qui, en raison du préambule de laLoi constitutionnelle de 1867, doit être fondée sur des principes similaires à ceux du Parlement du Royaume-Uni. Dans l'arrêt Vaid, la Cour a confirmé que >. Par conséquent, même si la loi prévoit le privilège, elle ne représente pas la source de la reconnaissance constitutionnelle dont bénéficie le privilège. Cette reconnaissance découle de l'objet constitutionnel des corps législatifs--de leur rôle d'organe de délibération et de législateur--et de l'autonomie que ces corps sont réputés exiger afin d'assurer l'intégrité et l'efficacité de la séparation des pouvoirs. C'est pourquoi la Cour a maintenu que la Charte ne peut primer le privilège parlementaire, même si celui-ci est ancré dans les textes législatifs courants, tel que l'article 4 de laLoi sur le Parlement du Canada.

Assise et critères du privilège parlementaire

Le juge Binnie commence son analyse de l'affaire Vaid en louant la réticence du Parlement et des tribunaux à intervenir chacun dans le champ de compétence de l'autre :

C'est suivant un principe d'une grande sagesse que les tribunaux et te Parlement s'efforcent de respecter leurs rôles respectifs dans la conduite des affaires publiques. Le Parlement s'abstient de commenter les affaires dont les tribunaux sont saisis conformément à la règle du sub judice. Les tribunaux, quant à eux, prennent soin de ne pas s'immiscer dans le fonctionnement du Parlement. Il réaffirme ce > quelques paragraphes plus loin et déclare que > >>. Le respect judiciaire à l'égard du domaine qui relève légitimement du Parlement se traduit par le respect du privilège parlementaire, qui lui-même >. Toutefois, >, et une partie qui tente d'invoquer le privilège a la charge d'en établir l'existence et l'étendue.

La Cour a maintenu que l'existence et l'étendue d'un privilège revendiqué sont déterminées au moyen de l'application d'un critère à deux volets. Le premier consiste à établir si >. Une fois que l'existence et l'étendue d'une catégorie de privilège ont été établies, >. Les catégories de privilège établies sont notamment la liberté de parole1, le contrôle qu'exercent les chambres du Parlement sur les >--garanti par le Bill of Rights de 1689 du Royaume-Uni (y compris la procédure quotidienne de la Chambre)z, le pouvoir d'exclure les étrangers (c.-à-d. le public) des débats (3), et le pouvoir disciplinaire du Parlement à l'endroit de ses membres et des non-membres qui s'ingèrent dans l'exercice des fonctions parlementaires (4).

Si l'existence et l'étendue du privilège revendiqué n'ont pas été établies péremptoirement, le second volet du critère exige que l'assemblée ou son membre qui cherchent à bénéficier de l'immunité démontrent que :

la sphère d'activité à l'égard de laquelle le privilège est revendiqué est si étroitement et directement liée à l'exécution de leurs fonctions d'assemblée législative et délibérante, y compris de la tâche de l'assemblée législative de demander des comptes au gouvernement, qu'une intervention externe saperait l'autonomie dont l'assemblée ou le membre ont...

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