Privilege parlementaire? Les liens familiaux au sein du Parlement du Canada.

AuthorGodwin, Matthew
PositionArticle vedette

L'histoire parlementaire canadienne est riche en exemples actuels et passes d'hommes et de femmes issus d'une dynastie familiale de politiciens. Curieusement toutefois, le monde universitaire s'est tres peu interesse au phenomene. Bien des questions sur les liens familiaux entre parlementaires demeurent sans reponse. Quel est le taux de parente au sein du Parlement du Canada? Comment ce taux a-t-il evolue au fil du temps, et peut on expliquer cette evolution? Quels avantages les politiciens appartenant a une dynastie familiale possedent-ils, et a quelles contraintes se heurtent-ils? Dans le present article, l'auteur mesure la proportion des liens familiaux au sein de la Chambre basse du Parlement federal du Canada et presente des donnees sur ces liens familiaux depuis la premiere legislature canadienne. Apres avoir examine les donnees d'ordre economique et electoral, il fait valoir que la diminution observable du taux de parente au fil du temps pourrait s'expliquer par les changements apportes au systeme electoral afin d'en accroitre la transparence et de le rendre socialement plus inclusif. Enfin, l'auteur conclut son article en suggerant des pistes en vue de recherches futures.

Taux de parente depuis la premiere legislature canadienne

L'analyse ci-apres s'interesse a la periode qui s'echelonne de 1867, annee oo le Canada obtient de la GrandeBretagne le statut de Dominion, a l'election federale de 2011. Elle presente des points de donnees (figure 1) en bleu (losanges) sur le >, ce qui revient au pourcentage de deputes dont au moins un membre de la famille a siege a la Chambre des communes en proportion du nombre total de deputes. Les points de donnees sur le >, en vert (triangles), illustrent le taux de deputes > elus a la Chambre des communes lors d'une election donnee. Manifestement, le taux de parente au sein du Parlement du Canada recule de maniere constante depuis la Confederation, exception faite de quelques legers ecarts au fil du temps. Le present article vise a explorer les causes de cette evolution.

Au total, 287 deputes canadiens depuis la Confederation peuvent etre consideres comme faisant partie d'une dynastie a cause de liens de filiation (par exemple, un pere ayant siege au Parlement avant sa fille, ou un petitfils ayant suivi les traces de son grand-pere). On peut notamment penser a James Woodsworth (qui deviendra ulterieurement le premier chef de la Federation du Commonwealth cooperatif (FCC)), qui est elu depute pour une premiere fois en 1921, pour la 14e legislature. Sa fille, Winona Grace MacInnis, sera pour sa part elue deputee du Nouveau Parti democratique (NPD) en 1965, a la 27e legislature.

Par ailleurs, 35 autres deputes sont apparentes par le mariage. Winona Grace MacInnis etait l'epouse d'Angus MacInnis, depute de la FCC, qui a siege en meme temps que son pere. Au debut du XXe siecle, un certain nombre de deputees etaient liees a d'autres deputes par le mariage, notamment la deputee conservatrice independante Martha Louise Black. Deuxieme femme a acceder a la Chambre des commimes, elle represente la circonscription de Yukon durant un mandat, celui de 1935, en remplacement de son mari malade. Ce dernier, George Black, representera le Yukon de 1921 a 1945, sauf durant la legislature de 1935. Plus recemment, un certain nombre de conjoints ont siege concurremment a la Chambre des communes, les plus celebres etant peutetre les deputes de Toronto Jack Layton et Olivia Chow, qui ont siege ensemble durant les legislatures de 2006, de 2008 et de 2011.

Enfin, 95 deputes de la Chambre des communes sont le frere ou la soeur de parlementaires actuels ou passes. Un exemple exceptionnel de ce type de lien est celui des trois freres Geoffrion, au Quebec, qui se sont relayes dans la circonscription de Chambly-Vercheres (1) a trois reprises pour y sieger collectivement de 1867 a 1911 (2).

Ainsi, on denombre un total de 395 deputes qui, depuis la Confederation, ont un lien familial avec un autre depute ou un senateur. Sur un ensemble de 4 206 deputes elus pour la premiere fois, cela represente environ 9,39 %. Sur la periode visee de 144 ans, le taux de parente par siege varie de 21,35 % (3e legislature) a 3,54 % (33e legislature). Le taux de parente par depute varie, lui, de 17,97 % (2e legislature) a 3,47 % (33e legislature); ce taux se situe actuellement a 3,83 %.

La juxtaposition de ces deux lignes de tendance permet d'evaluer l'incidence sur le taux de parente du renouvellement de la deputation lors des elections. Fait interessant, l'ecart le plus marque entre les deux lignes se situe dans la premiere moitie du graphique, a une periode oo le renouvellement etait nettement plus accentue : a cette epoque, pas moins de 40 elections partielles ont eu lieu pour combler des sieges devenus vacants au cours d'une legislature. L'ecart entre les lignes s'attenue a mesure que le rythme du renouvellement diminue. Voila qui suggere une relation negative entre l'existence de liens familiaux et le renouvellement de la deputation.

Malgre plusieurs ecarts mineurs, le recul graduel est sans equivoque. Il reste maintenant a determiner les causes de ce recul pour ainsi dire constant du taux de parente.

Croissance demographique

A premiere vue, le recul du nombre de liens familiaux pourrait simplement s'expliquer par l'augmentation graduelle de la population canadienne depuis la Confederation. Alfred B. Clubok (3) et coll. proposent une formule qui permet de clarifier cette relation dans le contexte etats-unien; la meme formule peut s'appliquer dans le present cas.

Les resultats indiquent un ecart important entre le nombre reel de deputes ayant des proches pour chaque legislature et celui auquel on aurait pu s'attendre en se fondant sur la croissance demographique. Ces resultats suggerent l'influence de facteurs autres que la simple evolution demographique sur les liens familiaux au sein de la deputation canadienne.

Bouleversements electoraux

Les partis politiques du Canada ont connu leur lot de bouleversements electoraux et de revers de fortune. Lorsqu'un parti--notamment le parti au pouvoir--perd un nombre considerable de sieges au profit d'un autre, on peut des lors supposer que de nombreux deputes faisant partie d'une dynastie familiale auront ete defaits et cederont la place a une cohorte de deputes fraichement elus, donnant ainsi lieu a un > de la deputation et a une reduction importante de la proportion de liens familiaux.

L'election la plus transformatrice qui remet en cause cet argument est sans doute celle de 1993, oo, hormis deux sieges, les...

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