LE PROFILAGE RACIAL : É L'OMBRE DES ORGANES DE L'ADMINISTRATION PUBLIQUE AU QUÉBEC.

AuthorChoukair, Manar

I INTRODUCTION 120 II LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE 122 ET DE LA JEUNESSE A. Les missions de l'organisme 122 B. La Commission : un travail àla chaîne 123 C. La Commission : son rôle essentiel dans la lutte 126 D. La Commission : entre victoires et défaites 129 E. La Commission : abolition ou réforme? 137 III LE COMMISSAIRE À LA DÉONTOLOGIE POLICIÈRE ET 141 LE COMITÉ DE DÉONTOLOGIE POLICIÈRE A. Derrière la création du Commissaire et du Comité 141 B. L'état et le fonctionnement du régime de déontologie 142 policière C. Les faiblesses du système de déontologie policière actuel 147 IV CONCLUSION 160 I INTRODUCTION

Le profilage racial (ci-après << profilage >> ou << profilage racial >>) est une manifestation du racisme systémique bien ancré au sein des institutions québécoises. Par profilage racial, on entend << toute action prise par une ou des personnes en situation d'autorité àl'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d'appartenance réels ou présumés, comme la race, la couleur, l'origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d'exposer la personne àun examen ou àun traitement différent Bien que le profilage racial puisse s'exercer par toute personne en situation d'autorité, (2) nous traiterons dans ce travail uniquement du profilage racial pratiqué par des corps policiers municipaux ou provinciaux.

Plusieurs recherches démontrent que certains groupes de la population sont davantage ciblés par ces pratiques discriminatoires. En effet, les chercheurs ont identifié que ces personnes sont les minorités visibles, (3) soit principalement les Noirs, les Arabes ainsi que les Autochtones. (4) Or, en 2016, 32,9 % de la population totale dans les ménages privés de Montréal s'identifient comme des minorités visibles, (5) faisant de Montréal une métropole centrale dans l'étude de ce phénomène. Pendant plusieurs années, certains arrondissements montréalais font l'objet de surveillance policière excessive, de contrôles aléatoires, d'amendes injustifiées, de détentions et d'arrestations arbitraires, (6) souvent justifiées par des statistiques de criminalité recensées dans la Ville. Or, d'après le rapport Armony, contrairement àleur supposée contribution collective àla criminalité de Montréal, les personnes noires et les personnes arabes sont sur-interpellées par rapport aux personnes non-racisées, soit d'environ 66 % et 93 % respectivement. (7)

Nous partons donc de la prémisse que le profilage racial est un phénomène qui existe àMontréal, et plus largement au Québec, et nous tenterons d'analyser les recours administratifs qui s'offrent aux victimes, soit àla Commission des droits de la personne et de la jeunesse (ci-après << CDPDJ >> ou << Commission >>) et au Commissaire àla déontologie policière (ci-après << Commissaire >>). Plus précisément, nous détaillerons pourquoi, ànotre avis, les recours d'une personne victime de profilage àla CDPDJ et au Commissaire ne sont pas suffisamment adaptés aux victimes de profilage racial. Notre travail se divisera en deux parties principales consacrées àchacun de ces recours.

II LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DE LA JEUNESSE

  1. LES MISSIONS DE L'ORGANISME

    La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est un organisme administratif spécialisé constitué par l'article 57 de la Charte. (8) La CDPDJ, telle qu'on la connaît aujourd'hui, a pour mission (9) de veiller au respect des principes contenus dans la Charte tant dans les rapports que les individus entretiennent entre eux, que dans les rapports avec les institutions de juridiction québécoise, tels les ministères provinciaux, les institutions municipales et la police provinciale et municipale. Pour ce faire, elle doit s'assurer que << les lois, les règlements, les normes et les pratiques institutionnelles, tant publics que privés, sont conformes àla Charte qui prohibe la discrimination fondée notamment sur la << race >>, la couleur, l'origine ethnique ou nationale et la religion dans l'exercice des droits et libertés>>. (10) La CDPDJ a aussi comme mission d'assurer la protection de l'intérêt de l'enfant (11) et l'application de la Loi sur l'accès àl'égalité en emploi dans des organismes publics. (12)

    Pour ce faire, la Commission porte plusieurs chapeaux et se voit attribuer plusieurs pouvoirs et responsabilités. (13) Notamment, la CDPDJ a premièrement un pouvoir d'enquête, de sa propre initiative ou àla suite d'une plainte formulée dans les cas de discrimination au sens des articles 10 à19 de la Charte ainsi que dans les cas de violations du droit àla protection contre l'exploitation des personnes âgées ou handicapées énoncées àl'article 48 de cette dernière. Deuxièmement, la CDPDJ a comme responsabilité de sensibiliser, d'informer et d'éduquer la population sur l'objet et les dispositions de la Charte. Ensuite, la Commission doit diriger et encourager les recherches et publications sur les libertés et droits fondamentaux, tout en coopérant avec toutes les organisations vouées àla promotion des droits et libertés de la personne, au Québec ou àl'extérieur. Finalement, la CDPDJ doit recevoir les suggestions, recommandations et demandes qui lui sont faites touchant les droits et libertés de la personne afin de formuler àson tour des recommandations àl'Assemblée nationale.

    Son mandat en matière de profilage racial s'inscrit donc dans la continuité de l'accomplissement de ses missions et responsabilités tel que défini par la Charte. Le profilage racial est une forme de discrimination principalement interdite par la Charte àson préambule et àl'article 10 et 10.1 qui prévoit le droit àl'égalité. Cependant, les personnes victimes de profilage racial sont également victimes de la violation de plusieurs autres droits protégés. C'est le cas par exemple du droit àla dignité, (14) àla vie, àla sûreté, àl'intégrité et àla liberté de sa personne (15) ainsi qu'au droit au respect de sa vie privée. (16) Sachant que le profilage racial est une forme de discrimination au sens de l'article 10 de la Charte, la Commission a donc compétence pour traiter les plaintes àce sujet, et àeffectuer les autres mandats de recherche, d'enquête et de sensibilisation.

  2. LA COMMISSION : UN TRAVAIL À LA CHAÎNE

    i. Le processus général des plaintes

    Premièrement, la plainte est déposée par écrit auprès de la Commission. (17) La plainte peut être formulée par une personne, un groupe de personnes ou un groupe voué àla défense des droits et libertés. (18) Un technicien ouvre le dossier et fait alors un premier tri des dossiers qui, àpremière vue, semblent être de la compétence de la Commission. Si le dossier n'est pas de sa compétence, le dossier est réacheminé vers un autre organisme administratif spécialisé. Si la CDPDJ a compétence, le dossier est transféré àla première phase de l'enquête.

    Lors de la première phase de l'enquête, un conseiller àl'évaluation est attitré au dossier. Certaines circonstances font que la Commission refuse ou cesse d'agir dès cette étape. Par exemple, la plainte peut être refusée lorsqu'elle a été déposée plus de deux ans après le dernier fait pertinent àla plainte, si la victime n'a pas l'intérêt suffisant pour agir, ou encore si la plainte paraît frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi. (19) C'est également àcette étape que le conseiller propose aux parties la médiation. (20) Le service de médiation permet aux deux parties de trouver un terrain d'entente, et il s'agit d'un processus impartial, respectueux et confidentiel. Dans le cas où les deux parties y conviennent, le dossier est renvoyé devant un médiateur. À cette étape, les parties essayent de convenir àun règlement qui prendra la forme d'un mémoire de transaction préparé et signé. (21) En cas de refus d'assister àla médiation ou en cas de médiation non concluante, le dossier est transféré àun enquêteur.

    Lors de la deuxième phase de l'enquête, le conseiller analyse la preuve au dossier, àsavoir si elle correspond au critère de la preuve suffisante. L'enquêteur dispose de pouvoirs conférés par la Loi sur les commissions d'enquête (22) afin d'obtenir la version des faits des parties et des témoins, et d'obtenir tous les documents pertinents àson enquête. À cette étape, la CDPDJ est << maître de sa procédure [...] et dispose d'une large discrétion >>. (23) Une fois la preuve révisée, le tout est soumis àun comité, formé de trois membres de la CDPDJ, qui prendra la décision finale sur le dossier. Le comité peut ainsi prendre trois décisions différentes.

    Premièrement, si le comité juge que la preuve est insuffisante, le dossier sera fermé et le comité communiquera les motifs de sa décision sous forme d'une résolution écrite. (24) Cette décision met fin àl'aide fournie par la Commission, empêche le plaignant de saisir le Tribunal des droits de la personne comme nous le verrons, mais n'empêche pas le plaignant de saisir seul et àses frais les tribunaux civils de droit commun. Deuxièmement, si àl'analyse du dossier, la preuve s'avère être suffisante, le comité de la CDPDJ...

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