Prolégomènes à la reconnaissance de droits à l'éducation postsecondaire en vertu de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

AuthorTovar-Poitras, Mathieu

TABLE DES MATIÈRES Introduction 389 I. De l'existence de droits implicites: une question d'interprétation 392 A. Rejet du raisonnement de l'exclusion 393 1. Une interprétation contraire àl'objet de l'article 23 394 2. Une interprétation contraire àla présomption d'effet utile 399 B. Impacts sur l'équivalence réelle 408 C. Le principe constitutionnel non écrit de la protection des minorités 412 II. Le droit de gestion et de contrôle : proposition d'analyse 419 A. Un cadre d'analyse révisé 420 B. Le cadre d'analyse pour l'éducation postsecondaire 423 Conclusion 433 INTRODUCTION

L'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés [ci-après <>] (1) est <> (2) dans la mesure où il engage les provinces de la fédération canadienne àsoutenir la sécurité linguistique des minorités de langues officielles. Il cherche àassurer le maintien et l'épanouissement intergénérationnel des communautés de langues officielles minoritaires en garantissant, làoù leur nombre le justifie, les moyens de transmission de leur langue et de leur culture, c.-à-d., l'éducation. Or, le droit constitutionnel àl'éducation dans la langue de la minorité prévu àl'article 23 de la Charte, àl'instar de l'ensemble des droits linguistiques, a fait face au pendule judiciaire quant àson interprétation. Dans sa trilogie de 1986, la Cour suprême privilégie un principe d'interprétation restrictive des droits linguistiques (3) qu'elle écarte par la suite dans l'arrêt R c Beaulac au profit d'une approche téléologique et généreuse, axée sur la réalisation de l'égalité réelle des langues officielles du Canada et leur pérennité (4). Forcément, si l'objectif des droits linguistiques est d'éviter les ravages de l'assimilation et d'assurer le renouvellement des communautés de langues officielles, il est antinomique que de faire preuve de retenue judiciaire àl'égard des normes de droit positif qui les garantissent. A fortiori, l'article 23 (5) requiert une interprétation vigilante puisque les droits qu'il enchâsse sont <> (6).

Même si la décision dans l'affaire CSFCB est devenue le nouvel arrêt de principe en la matière, l'affaire Mahé demeure une référence incontournable. C'est dans cette décision que la Cour suprême énonce l'objet (7) de l'article 23 et concrétise l'interprétation large et libérale de cette disposition en y reconnaissant, de surcroit, un droit implicite àla gestion et au contrôle des institutions scolaires (8). L'arrêt Mahé a eu pour effet d'enchâsser l'ensemble du réseau des institutions d'enseignement public de niveaux primaire et secondaire pour les communautés de langues officielles en situation minoritaire [ci-après <>] (9). Toutefois, ces droits acquis sont présentement précaires alors que les institutions de langue française hors Québec font face àune pénurie d'enseignants et d'enseignantes [ci-après <>] (10). Il nous apparait évident que la protection, l'épanouissement et la consolidation du droit àl'éducation prévu àl'article 23 ne peuvent être véritablement garantis si les institutions postsecondaires sont exclues de sa portée. En effet, pour s'acquitter de leur obligation constitutionnelle de financer des écoles primaires et secondaires dans la langue de la minorité, les provinces doivent aussi garantir l'accès àl'éducation postsecondaire en français pour former le personnel scolaire de ces écoles et servir de vecteurs communautaires (11). Or, l'article 23 ne fait pas explicitement référence àl'éducation postsecondaire. Par ailleurs, les tribunaux n'ont pas eu l'occasion de se pencher sur la question et il y a peu d'études qui l'abordent en détail (12). Pourtant, il existe au Québec dix institutions postsecondaires de langue anglaise (en comptant les collèges d'enseignement général et professionnel) (13) et plusieurs institutions postsecondaires de langue française dans les autres provinces offrant des programmes en français (14) financés en partie par des fonds publics (15). Il convient donc de réfléchir àla question fondamentale de savoir si la programmation et l'offre de cours des établissements postsecondaires peuvent être comprises comme faisant partie des droits constitutionnels àl'éducation dans la langue officielle minoritaire garantis àl'article 23 de la Charte.

Le présent article propose certains prolégomènes àla reconnaissance éventuelle de certains droits constitutionnels en lien avec l'éducation et la gestion postsecondaires découlant de l'article 23. Notre objectif est de débroussailler le terrain de réflexion et d'identifier certains principes, tirés principalement de la jurisprudence, qui permettraient potentiellement de défendre une telle extension de l'article 23 au profit des CLOSM. Notre analyse se tient en deux parties. D'abord, nous soutenons qu'il est effectivement possible de conclure àl'existence d'un droit constitutionnel àl'instruction postsecondaire dans la langue de la minorité au sein de l'article 23 de la Charte àla lumière des principes d'interprétation applicables. Ensuite, nous avançons que le droit de gestion et de contrôle implicite àl'article nécessite un examen adapté au contexte postsecondaire.

  1. DE L'EXISTENCE DE DROITS IMPLICITES: UNE QUESTION D'INTERPRÉTATION

    Il est utile, d'emblée, de reproduire intégralement le libellé de l'article 23 de la Charte:

    Droits àl'instruction dans la langue de la minorité

    (1) Les citoyens canadiens:

    a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

    b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

    (2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

    (3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les articles (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province:

    a) s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier àleur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité;

    b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics [nos italiques et intertitres omis] (16).

    A priori, il semblerait que le postsecondaire n'y soit pas inclus, car comme l'explique Giroux, <> (17). Toutefois, ànotre avis, cette hypothèse, fondée sur la maxime expressio unius est exclusio alterius, ne résiste pas àl'analyse soutenue que commandent les canons d'interprétation applicables.

    A. Rejet du raisonnement de l'exclusion

    La maxime expressio unius est exclusio alterius àlaquelle réfère Giroux (18) s'inscrit dans l'argument logique a contrario qui, souvent, limite la portée des droits (19). Toutefois, le professeur Côté nous invite àla prudence: ce principe est <> (20). Ces avertissements, relevés dans les propos des juges Newcombe et Rinfret (21), mènent Côté àconclure que <> (22). Par ailleurs, ce dernier cristallise cet avis en affirmant:

    Le raisonnement a contrario n'étant qu'un guide susceptible de mener àla découverte de l'intention, il doit être mis de côté si d'autres indices montrent que les résultats auxquels il conduit sont contraires àl'objet de la loi, manifestement absurde ou qu'ils impliquent des incohérences ou des injustices qu'on ne peut imputer au législateur (23). Le juge Bastarache a fait siens ces constats de Côté dans 65302 British Columbia Ltd c Canada (24). Il convient alors de démontrer qu'en appliquant le principe de l'exclusion àl'éducation postsecondaire découlant de l'article 23 de la Charte, le résultat est contraire au projet constitutionnel qu'incarne cette disposition et mène àdes incohérences qui vont àl'encontre de l'intention du constituant et du <> (25). Nous y reviendrons plus bas.

    1. Une interprétation contraire àl'objet de l'article 23

      Il est bien établi depuis l'arrêt Beaulac que les droits linguistiques, incluant ceux garantis àl'article 23 de la Charte, s'interprètent de manière téléologique et libérale (26):

      Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada [...]. La crainte qu'une interprétation libérale des droits linguistiques fera que les provinces seront moins disposées àprendre part àl'expansion géographique de ces droits est incompatible avec la nécessité d'interpréter les droits linguistiques comme un outil essentiel au maintien et àla protection des collectivités de langue officielle làoù ils s'appliquent [soulignements dans l'original, nos italiques et références omises] (27). S'agissant de l'article 23...

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