Prorogation, dissolution et elections a date fixe selon l'approche de Westminster.

AuthorHicks, Bruce M.

La reine dispose de divers pouvoirs de réserve, ou prérogatives de la Couronne, qui comprennent la prorogation, la dissolution et la convocation du Parlement, de même que la nomination et la révocation du premier ministre. Le recours à ces pouvoirs est régi par des conventions constitutionnelles non écrites qui sont, en théorie, les mêmes dans tous les pays du Commonwealth qui reconnaissent toujours la reine comme chef d'État. Toutefois, dans la pratique, ils sont appliqués différemment--et de façon beaucoup plus démocratique--en Angleterre, oø la reine est présente, qu 'au Canada, oø le gouverneur général est nommé pour la représenter et exercer ces pouvoirs en son hom. Le présent traite de l'approche britannique en l'opposant à l'approche canadienne, et montre comment le Canada pourrait être un pays plus démocratique s'il adoptait les pratiques britanniques.

**********

Le régime de gouvernance en Grande-Bretagne tire ses origines de la prérogative royale. Dans toute monarchie, le roi possède toutes les terres, édicte toutes les lois, lève les armées pour défendre la population (et conquérir de nouveaux territoires en vue d'accroîre les richesses du royaume), applique les lois et rend la justice. Au fil du temps, le Parlement en est venu à abolir progressivement bon nombre des prérogatives du roi d'Angleterre en édictant des lois visant à autoriser ou à limiter l'exercice de ses pouvoirs, ainsi que les activités de ses représentantsl. La Couronne a fini par accepter ces limites, car l'idée que les príncipes démocratiques doivent éclairer tous les aspects de la Constitution, ayant pris naissance au sein du Parlement anglais au xviie siècle, gagnait du terrain pour devenir la norme juridique et populaire dans tout le Royaume-Uni au xixe siècle.

La plupart des prérogatives royales que le Parlement n'a pas abolies en sont venues à être exercées par les ministres, individuellement ou collectivement. Cette dévolution de pouvoirs s'explique du fait qu'un ministre doit être membre du Parlement, oø il peut être tenu responsable de rexereice de ces prérogatives (2).

Il existe toutefois un eertain nombre de << pouvoirs de réserve >>, ainsi nommés parce qu'ils ont été gardés en réserve et non transmis aux ministres, au premier ministre ou au Cabinet à l'ère de la démocratisation. Aussi appelés << prérogatives de la Couronne >>, ces pouvoirs ont été laissés entre les mains de la reine parte que rien ne justifiait, sur le plan démocratique, que les ministres en obtiennent le contrôle, alors qu'on pouvait aisément montrer que, si le Cabinet ou le premier ministre jouissait d'un accés salas limites à ces pouvoirs, ils pourraient s'en servir pour miner la capacité du Parlement de représenter la population et d'obliger l'organe exécutifà rendre des compres. Après tout, le Parlement compte le seul organe dont les membres sont directement élus par la population, à savoir la Chambre des communes, car le premier ministre, les membres du Cabinet, les sénateurs et les juges des tribunaux sont tous nommés. Les prérogatives de la Couronne comprennent : la prorogation, qui a pour effet de mettre fin à une session du Parlement; la dissolution, qui met un terme à une législature et force ainsi la tenue d'élections générales; la convocation d'une nouvelle Iégislature ou l'ouverture d'une session; la nomination et la révocation du premier ministre. Comme ces pouvoirs tempèrent les relations entre le Parlement et le gouvernement--c'est-à-dire entre les organes législatif et exécutif--, ils n'ont pas été conférés au chef de gouvernement, le premier ministre. Cela dit, les premiers ministres au Canada convoitent ces pouvoirs depuis longtemps, et ils ont tenté à l'occasion, paffois avec succès, de les utiliser pour en tirer un avantage partisan au détriment du Parlement.

En théorie, les conventions constitutionnelles sont les mêmes dans chacun des pays du Commonwealth qui y ont toujours recours, puisqu'elles sont des pouvoirs personnels de la reine. Toutefois, les récents événements au Canada ont poussé de nombreux constitutionnalistes à débattre de la nature de ces conventions, et même à se demander si l'ambiguïté qui les entoure a conféré au premier ministre canadien une latitude qui mine les principes démocratiques de gouvernement responsable. Cette préoccupation est inexistante en Angleterre, oø de récents événements ont amené les politiciens à travailler ensemble pour réduire cette ambiguïté et démocratiser davantage leur régime parlementaire.

Le présent article traite des pratiques et de l'évolution du cours des choses au Royaume-Uni, en commençant par l'obligation royale envers le Parlement la plus publique, soit la lecture du << discours de la Reine >>. Bien que ces discours soient rédigés par le gouvernement, les traditions qui les entourent sont intrinsèquement liées à l'exercice efficace des pouvoirs de réserve. Ils évoquent le fait que le Parlement : i) a été prorogé ou dissout et qu'une élection générale aura lieu ou a déjà eu lieu; ii) que le Parlement a été convoqué, qu'un nouveau premier ministre a été nommé et qu'un nouveau gouvernement a été formé (le cas échéant).

L'article illustre ensuite les pratiques britanniques par des exemples de prorogation et de dissolution du Parlement, notamment la période << d'expédition des travaux >> (wash-up period) qui précède la tenue d'élections et l'adoption récente d'élections à date fixe. Ces pratiques sont ensuite comparées à la situation au Canada, et l'article conclut par quelques enseignements que le Canada pourrait tirer de l'expérience britannique.

Les conventions au Royaume-Uni

En Angleterre, chaque session parlementaire comporte deux << discours de la Reine >>. À l'origine, ces derniers étaient prononcés par Sa Majesté depuis le trône situé dans la Chambre des lords au palais de Westminster, qui abrite le Parlement britannique. Au Canada, comine la reine n'est pas présente, ces discours en sont venus à s'appeler << discours du Trône >> et étaient, à l'origine, tous deux prononcés par le gouverneur général au Sénat. Bien qu'ils soient en général lus par le représentant de Sa Majesté, il est arrivé que ce soit le roi ou la reine qui les prononce lors d'un séjour au Canada.

Le premier discours du Trône marque l'ouverture d'une session parlementaire. Lorsqu'ils en donnent lecture, la reine ou le gouverneur général font connaître les motifs pour lesquels le Parlement a été eonvoqué. Ce diseours expose, dans les grandes lignes, les mesures dont le gouvernement en place compte saisir le Parlement.

La reine Elizabeth II a personnellement donné lecture d'un discours du Trône marquant l'ouverture d'une session du Parlement canadien en 1957 et en 1977.

Le deuxième << discours de la Reine >> marque la fin d'une session parlementaire. C'était ainsi que le Parlement devait être prorogé. Le discours faisait état des réalisations durant la législature, pour ensuite proroger le Parlement. Aucune proclamation n'était nécessaire, puisque le discours à iui seul suffisait pour mettre un terme à la session.

En 1939, il avait été convenu que le roí George VI allait prononcer le discours du Trône prorogeant le Parlement canadien, mais, comme le programme législatif n'était pas suffisamment avancé, il n'a fait qu'octroyer la sanction royale à des projets de loi.

Avant la Confédération, une assemblée législative des provinces de l'Amérique du Nord britannique durait quatre ans. Chaque législature comportait quatre sessions, qui duraient chacune quelques mois. La date d'ouverture et de clôture des sessions était fixée par le gouverneur, sur recommandation du Cabinet, mais la durée des sessions variait très peu, puisqu'il était d'usage de les proroger seulement quelques mois après leur ouverture pour permettre aux législateurs de retourner dans leur circonscription et de s'occuper de leurs fermes et de leurs entreprises.

La reine Victoria a été la dernière souveraine à prononeer son discours lors d'une prorogation au Royaume-Uni, en 1854. Elle a décidé de s'abstenir de se présenter à la cérémonie de la prorogation l'année suivante, parte que la coalition peelite-whig avait perdu la confianee des Communes en raison de sa gestion de la guerre de Crimée, et parce que la souveraine ne portait aucune affection au gouvernement libéral de lord Palmerston, qu'elle avait été forcée de nommer premier ministre. Vietoria était en fait si rétieente à faire de lord Palmerston son premier ministre qu'elle a épuisé tous ses recours pour former un nouveau gouvernement avant de nommer l'ancien ministre des Affaires étrangères (3).

Depuis 1855, la reine nomme un représentant par commission sous le grand sceau pour lire le << discours de la Reine >> à la fin de chaque session. Si des projets de loi sont prêts à recevoir la sanction royale, on inclut dans la commission une disposition autorisant l'octroi de la sanction (4). À la fin du discours, le représentant de la reine proroge le Parlement du Royaume-Uni jusqu'à la date indiquée dans la commission.

Comme il est d'usage que le Parlement fasse toujours l'objet d'une convocation, il doit être prorogé jusqu'à une date précise, même en l'absence d'intention de le convoquer à cette date. Autrefois, si la date de convocation n'était pas choisie, il était de coutume de proroger la législature pour une période pro forma de 40 jours. La prorogation pouvait être prolongée, par proclamation, de 40 jours à la fois. Cette coutume est fondée sur la Magna Carta (Grande Charte) du roi Jean d'Angleterre, qui a accepté de donner un préavis d'au moins 40 jours pour convoquer le Parlement. En 1867, le Parlement britannique a fixé à 14 jours le prolongement d'une prorogation...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT