La prorogation en tant que prejudice constitutionnel.

AuthorWheeldon, Johannes
PositionLettres - Letter to the editor

Monsieur,

Dans votre numéro du printemps, Nicholas MacDonald et James Bowden, étudiants à l'Université Carleton, présentent une réponse originale aux nombreuses questions d'ordre constitutionnel soulevées par des spécialistes de la constitution, des politicologues et des parlementaires au sujet de la prorogation du Parlement en 2008. Si les auteurs méritent nos éloges pour avoir présenté une argumentation claire, attiré l'attention sur le cas troublant de la prorogation de 1873 et souligné les distinctions qui existent entre une demande de prorogation et une demande de dissolution, il reste que, malheureusement, leur thèse est lacunaire à plusieurs égards.

Les auteurs invoquent la prorogation de 1873 pour affirmer que le gouverneur général ne possède aucun pouvoir discrétionnaire en matière de prorogation. Ils soutiennent qu'en 2008, Michaëlle Jean devait suivre la recommandation du premier ministre Stephen Harper, qui demandait la prorogation du Parlement. Pourtant, comme les auteurs le soulignent eux-mêmes, dans l'exemple de 1873, le premier ministre, sir John A. Macdonald, avait demandé la prorogation afin d'éviter la publication d'un rapport de comité, et non pas pour se soustraire à un vote de confiance prévu. Peu importe les conséquences qu'aurait pu avoir la publication du rapport pour le gouvernement Macdonald en 1873, la situation en 2008 était tout à fait différente. La question qui occupait Mme Jean consistait à déterminer si elle devait proroger le Parlement et ainsi permettre à M. Harper d'éviter un vote de confiance dûment prévu qu'il était certain de perdre. En acceptant de proroger le Parlement, elle a bouleversé les principes fondamentaux de la responsabilité ministérielle et donné lieu à une contestation de la légitimité de la démocratie canadienne.

Bien qu'il soit toujours odieux de recourir à la prorogation pour se soustraire à ses responsabilités devant la Chambre, le cas de 2008 va bien au-delà de l'exemple de 1873. L'argument des auteurs, selon lequel l'exemple démontre que la gouverneure générale n'avait aucun pouvoir discrétionnaire en 2008, est vicié à la base. Bien qu'en temps normal le gouverneur général agisse sur la recommandation du premier ministre, MM. MacDonald et Bowden ne tiennent pas dûment compte du mandat primordial qu'a le gouverneur général de faire respecter le principe fondamental voulant que le gouvernement doive conserver la confiance de la Chambre.

En plus de trop recourir à l'exemple de 1873, les auteurs présentent l'idée largement discréditée selon laquelle la Couronne ne sert guère plus qu'à officialiser les décisions du Cabinet. Bien qu'ils concèdent que la question soit sujette à débat, ils passent sous silence les travaux exhaustifs et faisant autorité du regretté sénateur Eugene Forsey au sujet du pouvoir de réserve du monarque et de ses représentants. Les arguments présentés dans le livre marquant publié par M. Forsey en 1943 sur la dissolution sont mis à jour dans l'introduction exhaustive de cent pages qu'il a rédigée pour le volume Evatt and Forsey on the Reserve Powers, en 1990. La position de M. Forsey est aujourd'hui largement acceptée des spécialistes dans tout le Commonwealth. En résumé, sa position est que, dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la primauté du Parlement est menacée, la Couronne a la latitude de refuser...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT