Quelques aspects visuels de la tradition monarchique.

AuthorTrepanier, Peter

La reine Elizabeth II est montée sur le trône en 1952 alors que l'Empire britannique se transformait peu à peu en Commonwealth. Constitutionnellement, l'adoption par des pays indépendants d'une monarchie partagée était une procédure relativement simple que rendaient possible des lois comme la Loi sur les titres royaux de 1953. L'intégration de cette nouvelle réalité dans la conscience des citoyens posait un défi plus grand. Le présent article traite de deux initiatives visant à étendre la notion de statut partagé au-delà de sa dimension juridique. Ce fut d'abord la tournée canadienne des robes du couronnement sous la responsabilité administrative du Musée des beaux-arts du Canada (alors appelé Galerie nationale du Canada) en 1954-1955, puis l'inauguration du Parlement du Canada par la reine Elizabeth II en 1957.

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Le couronnement d'Elizabeth II, qui eut lieu le 2 juin 1953, coïncida avec les débuts de la télévision et fut la première production mondiale du média. La télévision rendit les fastes royaux accessibles de façon plus immédiate et plus impressionnante. Environ 27 millions de personnes ont regardé le couronnement en direct au Royaume-Uni et des centaines de millions de personnes de par le monde en ont vu la version filmée quelques heures après chez eux sur un téléviseur noir et blanc fraîchement acheté, loué ou partagé. La décision d'Elizabeth II de permettre la télédiffusion de son couronnement, moment fort de la vie d'un monarque, a établi l'importance que devait désormais avoir le nouveau média dans l'orchestration des cérémonies royales. La reine est devenue ainsi la figure médiatique la plus reconnaissable et la plus durable du monde.

La robe qu'elle a portée au couronnement compte parmi les plus célébres du XXe siècle. Dessinée par Norman Hartnell, elle était conçue pour faire converger les regards sur celle qui la portait dans un chef-d'oeuvre scintillant de cérémonial d'État et qui devait rester le point de mire au milieu d'une débauche de robes ecclésiastiques et cérémonielles et sous les projecteurs de la télévision. La robe devait signifier que l'être humain qui la portait était l'incarnation de 11 pays. C'était en somme un atlas des domaines de la reine.

La robe du couronnement était faite de satin blanc et somptueusement brodée de fil d'or et d'argent ainsi que de pierres précieuses et semi-précieuses. La broderie incorporait les emblèmes floraux du Royaume-Uni et des dominions dont Elizabeth II était la reine. Les emblèmes floraux des 11 pays du Commonwealth étaient entrelacés en une guirlande, dont chaque fleur ou feuille entourait une rose Tudor. Le Canada était symbolisé par une feuille d'érable de soie verte et de fil d'or brut veinée de cristal. La robe était si lourdement ornée de joyaux qu'elle a dû être doublée en taffetas et renforcée d'une crinoline en crin de cheval, ce qui la faisait tomber droite sans déformer les emblèmes et en répartissait le poids de manière à la rendre plus facile à porter. Lorsque la reine se déplaçait, sa robe paraissait légère et délicate, avec des chatoiements qui passaient du rose le plus pâle au mauve pâle et au vert tendre -- pourtant l'effet général était celui d'une blancheur éclatante : la reine scintillait de la tête au pied parmi une flambée d'or et de diamants. La robe ajoutait à la solennité du moment. La reine éblouissait tout le monde quand elle marchait avec grâce dans une auréole enchantée de majesté et de splendeur.

Elizabeth II est le premier monarque à porter le titre de chef du Commonwealth et à être couronné comme tel. Cette nouvelle désignation a poussé les pays du Commonwealth dont elle était le chef de l'État à faire adopter par leur Parlement, avant son couronnement, une loi reconnaissant le monarque du Royaume-Uni comme le leur. Au Canada, la Loi sur les titres royaux a été adoptée par le Parlement canadien et édictée par proclamation royale le 29 mai 1953. La Loi conférait juridiquement et publiquement, à la veille du couronnement de la reine, le statut d'une monarchie constitutionnelle distincte au Canada. Elizabeth II était également reine du Canada et du Royaume-Uni. Le monarque restait partagé, mais l'institution monarchique s'incarnait en des entités constitutionnelles indépendantes. Le couronnement offrait aussi l'occasion d'affirmer le concept de la multiplicité de la Couronne même s'il n'y avait qu'un monarque. Même si les royaumes de la reine n'ont pas hésité à prêter allégeance à leur souveraine en assistant à son couronnement, leur manque de participation officielle à la cérémonie proclamait à la face du monde, dignement mais visiblement, leur statut de monarchie constitutionnelle égale...

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