La quête de légitimité du Sénat: Prochaines étapes vers une Chambre haute indépendante.

AuthorWoo, Yuen Pau

Maintenant que plus de 80% de ses membres ne sont affiliés à aucun caucus partisan, la composition du Sénat du Canada revêt une forme sans précédent dans son histoire. S'appuyant sur son expérience en tant que facilitateur du Groupe des sénateurs indépendants, l'auteur fait le point sur la façon dont la Chambre haute s'est transformée depuis les changements apportés au processus de nomination en 2016. Se servant d'un article de grande importance rédigé par deux anciens éminents sénateurs comme point de départ, l'auteur passe en revue les récents changements apportés au Sénat et suggère d'autres réformes possibles qui pourraient contribuer à modifier les perceptions négatives de l'institution qui persistent chez de nombreux Canadiens. Il souligne que la popularité du nouveau processus de nomination ne suffira pas à convaincre le public que le Sénat doit être considéré comme un pilier de la démocratie canadienne.

**********

Sept ans après la mise en place d'un nouveau processus de nomination des sénateurs, la composition de la Chambre haute du Canada n'a rien à voir avec celle des 150 dernières années. Avant la première série de sept sénateurs nommés à titre de membres non partisans au printemps 2016, on ne comptait que 13 sénateurs qui siégeaient à titre de membres indépendants, ce qui représentait 16% du nombre total de sénateurs. En mars 2023, 83% des membres étaient des sénateurs non partisans. Les 74 sénateurs indépendants appartiennent à l'un des trois groupes parlementaires qui ne sont associés à aucun parti politique ou siègent comme membres non affiliés, et n'entretiennent aucun lien officiel avec les caucus partisans à la Chambre des communes (1). Le seul groupe encore explicitement partisan est les sénateurs conservateurs, mais leur nombre est passé de 42 en mars 2016 à seulement 14 en mars 2023. La transition vers un Sénat plus indépendant est maintenant bien ancrée.

Toutefois, un changement dans le visage des sénateurs ne garantit pas la réussite des réformes annoncées par Justin Trudeau lors de l'expulsion des sénateurs libéraux de son caucus en 2014. Même si la nomination de sénateurs non partisans constitue sans doute l'ensemble de réformes le plus profond de l'histoire de la Chambre haute, cela ne constitue que la première étape de l'objectif à long terme de Justin Trudeau en matière de réformes visant à >. En modifiant uniquement le processus de nomination, le premier ministre a imposé au Sénat le défi plus vaste d'améliorer le rendement, l'efficacité et la crédibilité de la Chambre haute. Un sondage Nanos mené en 2021 a révélé que, bien que 76% des Canadiens soient d'accord avec le nouveau processus de nomination fondé sur le mérite et que seulement 3% d'entre eux souhaitent revenir au modèle précédent des nominations partisanes, la majorité des Canadiens continuent d'avoir une opinion médiocre du Sénat dans son ensemble (2).

Le contraste entre l'approbation retentissante du processus de nomination des sénateurs et l'insatisfaction continue à l'égard de l'institution pose un défi unique pour le Sénat d'aujourd'hui : comment pouvons-nous faire en sorte que l'appui généralisé pour la nomination de sénateurs indépendants se traduise par un soutien accru à l'institution?

Il serait illusoire de supposer que la faveur du public à l'égard du Sénat deviendra inévitablement plus positive en raison de la composition de son effectif. Au contraire, il est probable qu'à mesure que l'effet de nouveauté du processus de nomination s'estompera, une antipathie profonde à l'égard de la Chambre haute--enracinée dans des enjeux de longue date sur sa légitimité--dominera l'opinion publique. Cela sera le cas même si la totalité des sénateurs sont non partisans (3).

Une occasion historique

Cet article traite de la façon dont le Sénat, en tirant parti de sa nouvelle composition réformée et en s'appuyant sur les efforts de modernisation récents, peut s'attaquer à la question centrale de sa légitimité sans changement constitutionnel. Il repose sur l'idée que les réformes de 2016 présentées par le premier ministre Trudeau étaient nécessaires, mais pas suffisantes, pour redorer le blason du Sénat, terni par les scandales de dépenses des années précédentes. De plus, il laisse entendre que ces réformes visaient à mettre en branle d'autres changements qui amélioreraient la structure et le fonctionnement de la Chambre haute et, par extension, sa légitimité auprès de la population canadienne.

Cet article se fonde sur le document Une maison unifiée : l'indépendance du Sénat (4), le document historique publié par le Forum des politiques publiques sur les réformes du Sénat de 2016 et ses répercussions sur la Chambre haute. Les auteurs Michael Kirby et Hugh Segal, deux éminents anciens sénateurs qui appartenaient respectivement aux caucus libéral et conservateur, affirment :

>

Je soumets cet article pour que le Sénat saisisse la > qui s'offre à lui. Les sénateurs Kirby et Segal ont été astucieux, voire clairvoyants, dans leurs observations sur les réformes qui venaient tout juste d'entrer en vigueur au moment de leur rédaction. Dans le présent article, je fais part de mes observations personnelles en tant que membre dirigeant du Sénat de 2017 à 2021 pour évaluer leurs propositions, de même que pour offrir mes propres suggestions. Ces points sont résumés sous cinq rubriques, qui correspondent essentiellement aux principales recommandations formulées par les deux anciens sénateurs.

Représentation régionale

Depuis sa création, le système du Sénat repose sur une représentation régionale égale. La négociation d'un nombre égal de sénateurs de chacune des régions qui a rendu possible la Confédération assure une certaine stabilité et une certaine prévisibilité à la Chambre haute. Mais cela constitue aussi une source constante de mécontentement pour les régions qui, après plus de 150 ans de changement démographique, sont gravement sous-représentées considérant leur population actuelle (5).

Comme Kirby et Segal l'ont souligné, les exigences élevées établies dans la Constitution et confirmées dans le renvoi de 2014 à la Cour suprême (6) signifient qu'il existe peu de possibilités à court terme de modifier la composition régionale du Sénat. Ils préconisent des > régionaux qui remplaceraient les groupes partisans et qui seraient responsables de nommer des sénateurs aux comités et d'assumer d'autres fonctions courantes.

Bien que peu de sénateurs soient en désaccord avec l'affirmation de Kirby et Segal selon laquelle >, l'idée de s'organiser selon des lignes régionales n'a pas fait beaucoup d'adeptes.

L'identité régionale est importante pour tous les sénateurs, mais elle ne l'est pas assez pour que les sénateurs d'une région donnée s'en servent de base pour former un groupe parlementaire reconnu. Le Groupe des sénateurs canadiens, par exemple, a été créé en 2021 en tant que groupe de sénateurs qui accordent explicitement la priorité à la défense des intérêts régionaux, mais qui proviennent de différentes régions. Des sénateurs de la même région qui appartiennent à différents groupes se réunissent périodiquement, de façon ponctuelle, pour travailler sur des enjeux qui les touchent collectivement. Par exemple, les sénateurs du Canada atlantique ont réussi à se prononcer contre une disposition d'un projet de loi de 2018 qui aurait permis à un fournisseur de services ferroviaires de réduire le service dans la région (7). Dans l'ensemble, cependant, il est rare que des sénateurs d'une région donnée se regroupent pour s'opposer collectivement à une position qui n'est généralement pas appuyée par la plupart des autres sénateurs ou pour exercer des pressions en ce sens.

La raison sous-jacente qui explique le manque d'adhésion à la proposition de Kirby et de Segal est que les sénateurs accordent généralement la priorité aux intérêts communs plutôt qu'à la camaraderie régionale. Cela vaut tant pour les caucus partisans que pour les groupes non partisans. Les membres du Groupe des sénateurs indépendants (GSI), par exemple, ne se sont pas regroupés uniquement dans le but d'attribuer les sièges des comités et d'autres fonctions administratives, mais également pour permettre une collaboration active et des échanges sur des projets de loi, des études en comité et d'autres activités de fond de la Chambre haute, à l'exception du vote >. Le Groupe progressiste du Sénat (GPS), quant à lui, s'identifie comme un groupe de >. Dans une certaine mesure, le nouveau Sénat a renversé la proposition de Kirby et Segal. Plutôt que de s'organiser sur des lignes régionales et d'avoir des > avec lesquels >, la préférence semble aller dans le sens contraire.

Quelle que soit la couleur partisane du gouvernement qui prendra le pouvoir dans les années à venir, il est difficile d'imaginer, dans un avenir prévisible, un retour complet du Sénat à une Chambre partisane. Néanmoins, il est tout aussi difficile d'imaginer la nature et le style des regroupements non partisans qui émergeront au fil des ans. Dans une large mesure, la réponse à cette dernière question dépend de la façon dont les sénateurs comprennent la signification d'un Sénat > et visent à opérationnaliser cette indépendance.

Changements au Règlement du Sénat

Les anciens sénateurs Kirby et Segal soulignent l'extrême...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT