Rapatriement de la Constitution, reconnaissance des droits et reconciliation/Patriation, the Recognition of Rights and Reconciliation.

AuthorWilson-Raybould, Jody

TABLE DES MATIÈRES Rapatriement de la Constitution, reconnaissance des droits et réconciliation L'Honorable Jody Wilson-Raybould, CP, cr, députée Ministre de la Justice et procureur général du Canada Introduction 59 I. La Déclaration universelle 60 II. La Charte canadienne des droits et libertés 62 III. La Charte au cours des trente-cinq dernières années 65 IV. La ministre de la Justice et procureur générale du Canada comme ambassadrice de la Charte 65 V. Le procureur général face aux litiges fondés sur la Charte 68 VI. Réconciliation de nation à nation 71 Conclusion 74 INTRODUCTION

Gilakas'la. Bon après-midi. Bonjour, tout le monde.

Je souhaite reconnaître que nous sommes réunis aujourd'hui sur le territoire du peuple algonquin.

Aujourd'hui, en prenant en considération le 150e anniversaire du Canada, le thème de mon allocution est >. L'idée selon laquelle le rapatriement s'est accompagné de la reconnaissance des droits est familière. La Charte canadienne des droits et libertés (ci-après >) (1), qui a accompagné l'indépendance constitutionnelle du Canada, est la manifestation évidente de cette reconnaissance. Et cela a eu un effet transformateur. En effet, à maints égards, elle définit notre pays et lorsqu'on demande aux Canadiens et aux Canadiennes ce à quoi ils tiennent le plus au Canada--après les soins de santé--ils répondent : la Charte (2).

Cela dit, chez les peuples autochtones, la célébration du 150e anniversaire du Canada a suscité, pour des raisons évidentes, des réactions mitigées, d'une part parce qu'il est difficile de célébrer les 150 dernières années (une histoire caractérisée par la colonisation, la dénégation et les promesses non tenues), mais d'autre part, il existe un espoir renouvelé d'édifier un Canada meilleur et plus inclusif au cours des 150 prochaines années.

Cela est dû au fait que la reconnaissance des droits entrainée par le rapatriement n'a été que partielle puisque la garantie prévue à l'article 35 (1) de la Constitution selon laquelle les droits des peuples autochtones sont dorénavant > (3) n'a pas correspondu à la réalité de la relation entre le Canada et les peuples autochtones.

Malgré l'article 35, les peuples autochtones ont passé les 35 dernières années à avoir recours aux tribunaux pour prouver que leurs droits existent et que les gouvernements doivent les respecter. Par conséquent, nous avons passé plus de temps en conflit qu'en relation de nation à nation, caractérisée par la reconnaissance et le respect, comme l'exige une approche fondée sur les droits et comme le reflètent de manière plus générale les principes de la société civile évoqués par l'idée même de la Charte.

J'y reviendrai plus tard. Mais d'abord, je voudrais parler du 35e anniversaire de la Charte, en cette année marquant le 150e anniversaire du Canada. La Charte a une renommée internationale et continue aujourd'hui d'être prometteuse. L'histoire de notre Charte n'a pas commencé en 1982, mais plutôt lors de la reconnaissance mondiale des droits qui a suivi le déni et la violation systématiques de ces mêmes droits. La Deuxième Guerre mondiale et la Déclaration universelle des droits de l'homme (ci-après >) (4) représentent à la fois le pire et le meilleur de la condition humaine et à la fois l'illustration la plus effrayante et la plus prometteuse de ce que l'être humain est capable de faire.

  1. LA DÉCLARATION UNIVERSELLE

    La Déclaration universelle a voulu affirmer l'universalité des droits de la personne contre les aléas de l'histoire et de la géographie, une affirmation faite à un moment et à un endroit précis, mais qui s'appliquait à toutes les époques et à tous les peuples. Le succès de cette entreprise devant l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies (ci-après >) en décembre 1948 (5) reposait sur sa capacité d'intégrer différentes visions de la liberté ou, comme l'a exprimé de manière poétique le philosophe français Jacques Maritain : > [notre traduction] (6)

    La version préliminaire de la Déclaration universelle a été préparée par le premier directeur de la Division des droits de l'homme du Secrétariat des Nations Unies, un Canadien que plusieurs ici présents connaissent sans doute, John Humphrey.

    M. Humphrey donna l'ordre à son personnel d'> [notre traduction] (7) afin de rédiger un document provisoire reconnaissant les droits universels. La création de la Déclaration universelle a débuté à l'échelle locale tout en ayant des aspirations universelles ; des tentatives nationales et régionales d'énoncer des droits et libertés pour certaines communautés ont inspiré un appel plus vaste en faveur de l'universalité pour toutes les communautés du monde. Une ambition de taille.

    Peut-être grâce à cette approche, lorsqu'on demandait à M. Humphrey quelle philosophie l'avait guidé dans la rédaction d'un premier document provisoire reconnaissant les droits universels, il répondait que le document ne reposait sur > [notre traduction] (8)

    Je ne crois pas que M. Humphrey ait voulu dire que l'idée même des droits de la personne--leur aspect universel, indivisible, inaliénable et inviolable--n'ait aucun pouvoir philosophique. Au contraire, M. Humphrey cherchait à éviter que l'on prétende que la Déclaration universelle était motivée et articulée du point de vue d'une philosophie ou d'une perception du monde en particulier. À la rigueur, la seule disposition ou vision philosophique ou perception du monde ouvertement incompatible avec la Déclaration universelle en serait une qui nierait le concept même de droits.

    De cette façon, M. Humphrey a montré que le succès de la Déclaration universelle était d'affirmer des droits communs à l'humanité, d'affirmer que chaque droit devait être interprété relativement à tous les autres, et de faire cela d'une manière qui serait acceptable pour les nombreuses communautés politiques du monde. Ainsi, elle devint une nouvelle vision du monde collective et véritablement globale.

    Il s'agit d'un succès qui ne doit pas être sous-estimé. Le vote d'adoption de la Déclaration universelle devant l'Assemblée générale de l'ONU en décembre 1948 fut unanime. Il n'y eut aucun vote dissident.

    À ce jour, la Déclaration universelle demeure une affirmation emblématique de la capacité de l'être humain à faire du bien. Elle demeure en outre un rappel immédiat des nombreuses façons dont les droits de la personne sont énoncés pour tous, mais ne sont pas reconnus partout.

  2. LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

    Après son adoption, la Déclaration universelle a exigé un effort renouvelé de la part du Canada pour reconnaître les droits dans nos lois et politiques. En matière de droits de la personne, le Canada de 1948 a connu des réussites, mais aussi des échecs.

    Même si l'appui du Canada à la Déclaration universelle reposait sur des bases solides, nous étions un pays très différent à l'époque que celui que nous sommes aujourd'hui. Avant la Déclaration canadienne des droits (ci-après >) de 1960 (9), il n'y avait aucune reconnaissance pancanadienne des droits ni aucune affirmation pancanadienne de la Déclaration universelle dans la loi canadienne.

    Nos droits et libertés n'étaient pas reconnus par une loi suprême.

    Tous ici présents, nous savons quel a été le destin de la Déclaration canadienne. Bien qu'elle constitue une part importante de l'histoire des droits de la personne, elle n'était pas non plus transformatrice. Malgré l'importance de l'année 1960, celle-ci n'a pas été le tournant décisif pour la reconnaissance des droits dans l'histoire du Canada.

    À l'opposé de l'année 1960, l'année 1982 a marqué l'histoire du Canada par son effet transformateur. Elle ressort comme l'année qui a marqué la reconnaissance des droits dans notre ordre constitutionnel.

    C'est une année connue pour de nombreux jalons :

    * le rapatriement;

    * le mode de révision constitutionnelle (10);

    * l'indépendance constitutionnelle;

    * la naissance d'un autre instrument constitutionnel important (11); et

    * le changement de nom de notre instrument constitutionnel fondateur afin que notre loi constitutionnelle ne soit plus connue comme l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, basé sur la colonisation (12).

    L'année 1982 est également connue pour la promesse faite sous l'article 35 de la Loi constitutionnelle (13), un sujet sur lequel je reviendrai.

    Cependant, de nombreux Canadiens et Canadiennes se souviennent surtout de l'année 1982 pour l'adoption de la Charte, un moment décisif de cette année-là. C'est une réputation que la Charte s'est taillée au fil du temps.

    Cette réputation est basée sur le fait que la Charte a réussi là où la Déclaration canadienne a échoué, c'est-à-dire à inspirer et à inculquer une culture de droits au sein des institutions gouvernementales et des peuples du Canada. Cette culture de droits a été une culture de la reconnaissance des droits.

    La Charte est la >--notre vision de la liberté au sein de la famille humaine ou pour paraphraser Jacques Maritain, c'est la musique du Canada jouée sur les trente cordes de la Déclaration.

    Bon nombre des droits et libertés garantis par la Charte sont formulés dans une langue qui suit de très près le libellé de la Déclaration :

    * les libertés fondamentales d'expression, d'association, de religion et de conscience, ainsi que de réunion pacifique (14);

    * le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne (15);

    * les droits en matière de justice criminelle (16); et

    * les droits à l'égalité (17);

    D'autres aspects de notre Charte soulignent l'attention particulière que nous portons, en tant que pays, à la reconnaissance des droits :

    * nos droits en matière de langues officielles (18);

    * nos droits à l'instruction dans la langue de la minorité (19)

    * notre engagement envers le multiculturalisme (20)

    Pour certains, cette attention particulière n'est pas sujette à l'affirmation universelle. Bien sûr, pendant un moment, certains de ces droits ont été freinés par une interprétation restrictive ; une lecture qui limitait leur portée en raison d'une...

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