La recitation des prieres: une tradition a l'epreuve de la secularisation.

AuthorLanouette, Martin

Depuis le règne de la reine Elizabeth 1re en Angleterre au XVIe siècle, il est de tradition que l'ouverture des séances de chacune des deux chambres du Parlement de Westminster soit précédée de la lecture d'une prière. Les colonies britanniques, un peu partout sur la planète, ont fait preuve de mimétisme institutionnel afin de préserver l'unité avec le système politique qui les a fait naître. Au fil du temps et des événements, les différentes colonies devenues des pays souverains ont su développer, chacune à leur manière, des formes de prières reflétant leur histoire, leur identité et, bien sûr, leurs grandioses aspirations. Afin de faire face au défi de la neutralité étatique Contemporaine, trois choix se sont jusqu'à maintenant imposés. Premièrement, il y a l'option du statu quo. Deuxièmement, on trouve l'option de l'ouverture, qui consiste à rendre la prière plus universelle, en proposant l'alternance entre diverses confessions ou en proposant un moment de silence et de réflexion. Troisièmement, il y a l'option de l'éviction, qui consiste à éliminer cette pratique de l'espace public au nom du principe de la séparation de l'Église et de l'Etat. Le présent article examine les arguments employés par les promoteurs de chacune des trois options, afin de mieux comprendre la teneur d'un débat qui, même s'il peut paraître archaïque, ne cesse de soulever les passions partout oø il tend à s'enraciner.

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Comme le soulignait Louis Massicotte dans son compte rendu exhaustif de 1982, la pratique de réciter une prière à l'ouverture des séances législatives du monde britannique ne trouve pas d'équivalent dans les autres démocraties d'Europe continentale (1). Depuis l'étude de Massicotte, qui englobait une somme considérable de pays, de provinces et de territoires, la hausse des flux migratoires internationaux et le phénomène de la sécularisation des institutions politiques (dans les pays occidentaux) ont, chacun à leur manière, exercé une pression sur les dirigeants pour qu'ils reconsidèrent le rapport privilégié qu'entretient la religion chrétienne avec l'État.

L'option du statu quo

Dans le Royaume-Uni plusieurs défenseurs de la prière traditionnelle militent actuellement au sein même du Parlement afin d'affirmer la continuité de l'héritage religieux britannique. Parmi eux, se trouve le groupe >, qui est dirigé par Jeffrey Donaldson, membre du Parlement du Royaume-Uni et de l'Assemblée d'Irlande du Nord, et qui tente de promouvoir la nécessité de perpétuer le référent divin dans les lieux de décisions politiques. Le > (Prayer Shield)

propose des renseignements essentiels sur les enjeux qui sont débattus au Parlement et qui sont d'une importance stratégique pour notre gouvernement et notre pays. Ces questions nécessitent une prière ciblée si nous voulons transformer le Royaume-Uni, chercher la volonté de Dieu pour ce pays et voir à la mise en place d'une législation saine. Par ailleurs, le collectif > s'est constitué autour du député conservateur Andrew Selous pour offrir un lieu de rassemblement autour du Christ, dans un organisme non confessionnel et ouvert à tous les partis (2). Ce prosélytisme intraparlementaire a même mené à la rédaction, en 2008, du rapport Faith in the Future par un comité multipartite d'enquête. Réalisé à l'initiative du chef tory David Cameron, ce document vise à promouvoir une approche parlementaire qui s'inscrive dans la lignée de l'héritage multiséculaire chrétien, en plus de mousser une revitalisation de ce dernier au sein de la population.

L'Angleterre a choisi le statu quo toutefois, malgré le fait que, selon l'Institut de recherche sur les politiques publiques, près de 7,5% de la population en 2001 était née à l'extérieur du Royaume-Uni, par comparaison avec 5,75% en 1991 (+1,75%). En 2001, plus de 72% de la population se considérait chrétienne, tandis que plus de 1,6 million de musulmans représentaient environ 3% de la population du pays, mais plus de 52% de la population non chrétienne. Les hindous comptaient pour 1% de la population, les Sikhs pour 0,6%, les juifs pour environ 0,5, tandis que les bouddhistes comptaient pour 0,3% de la population britannique. Le refus des parlementaires de relativiser le référent divin semble affirmer un consensus bien enraciné au sein de la tradition britannique. Aucune organisation ni aucun regroupement prônant la prière multiconfessionnelle ne semble, à ce jour, s'être manifesté de façon durable afin de renverser cette pratique multiséculaire.

Australie

Depuis 1901, la prière quotidienne est affaire courante au sein des institutions australiennes. En 2009, l'obligation d'effectuer la prière chaque jour oø les parlementaires sont réunis est toujours présente, autant à la Chambre des représentants qu'au Sénat.

La composition démographique du pays depuis 1990 reflète également le phénomène de pluralisation culturelle des sociétés de type occidental. Au recensement de 2001, plus de 69% des gens se sont déclarés d'affiliation chrétienne, tandis qu'environ 25% se sont dits sans religion et 5%, d'allégeance non chrétienne. Le pourcentage de personnes se déclarant non croyantes a fait un bond considérable entre 1991 et 2001, augmentant de près de 3% (3), tandis que le pourcentage de chrétiens chutait, pour sa part, de 6%. C'est au sein même des communautés religieuses traditionnelles que la croissance a été toutefois la plus significative. Entre 1996 et 2001, le bouddhisme a connu une augmentation (79%), tout comme l'hindouisme (42%), l'islam (40%) et le judaïsme (5%).

Le débat a émergé en octobre 2008, quand le président de la Chambre, Harry Jenkins, s'est prononcé publiquement en faveur d'une reformulation de la prière afin de poursuivre la politique de reconnaissance envers les populations aborigènes, qui avait connu un dénouement historique avec les excuses officielles du premier ministre Kevin Rudd en janvier 2008. Cette approche plus inclusive a notamment été soutenue à l'époque par le président de la Fédération australienne des conseils islamiques, Ikebal Patel, qui dénonçait le fait que le Parlement maintienne intact ce qu'il considérait comme un >. En fait, sur les 226 députés australiens présents en 2008, aucun d'entre eux n'était soit aborigène, soit musulman.

L'acteur central du débat sur la récitation d'une prière plus universelle a surtout été le sénateur Bob Brown, également chef des Verts. M. Brown milite depuis 1997 pour une reformulation du Notre Père. L'examen du dossier par le Comité sénatorial de la procédure s'est soldé par une recommandation selon laquelle la prière ne devrait pas être abolie, ni même modifiée. En 2008, M. Brown a proposé l'addition d'un moment de réflexion au Notre Père afin de faire prendre conscience aux membres du Parlement des privilèges et des responsabilités qu'entraîne la représentation de la population australienne dans un parlement national, la prière étant ici conçue comme la prise de conscience de l'ampleur morale de la tâche des élus. D'ailleurs, en 2003, la présidente de l'Assemblée législative de l'État de Victoria, Judy Maddigan, s'était ouvertement prononcée pour l'ajout d'une référence à l'ancestralité de la culture aborigène, considérant comme une nécessité de reconnaître la présence historique de ces peuples (4). Ce geste symbolique s'appuyait sur la reconnaissance comme...

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