Réflexion sur la taille des cabinets.

AuthorLewis, J.P.

Introduction

Après le remaniement ministériel de janvier 2014, le cabinet de 40 membres du premier ministre Stephen Harper a rattrapé celui de Brian Mulroney en 1984 au rang de cabinet comptant le plus de membres de l'histoire du Canada (1). Comparativement à d'autres pays de système de gouvernement britannique, les cabinets canadiens comptent d'ailleurs beaucoup de membres (2). Le Canada a-t-il donc un problème de taille de cabinet? Comme l'écrit Graham White en 1990, >. Par-delà les différences institutionnelles entre les États de style britannique mentionnées par les politologues, la taille des cabinets fédéraux et provinciaux canadiens fait l'objet d'un examen intérieur minutieux après chaque remaniement ministériel. Lorsque les cabinets connaissent une expansion, les critiques, évoquant l'austérité, se déclarent inquiets du coût du gouvernement, quand ils n'avancent pas le reproche populiste du >. À l'inverse, en cas de réduction de cabinet, on félicite les premiers ministres de > ou de >. Il n'est donc pas surprenant que les politiciens canadiens recherchent les réactions positives à la réduction des cabinets et promettent de nommer moins de ministres.

Si les politiciens se concentrent sur les économies que représente la réduction du cabinet, d'autres mettent l'accent sur ses conséquences institutionnelles. En 2011, Aucoin et coll. expliquaient que les cabinets élargis ont des conséquences négatives considérables, comme de réduire le nombre des députés qui peuvent exiger des comptes au gouvernement et de créer plus de postes auxquels ces derniers peuvent aspirer, contribuant ainsi à la culture de stricte discipline de parti (4). Les arguments d'Aucoin et coll. sont certes importants, mais ils correspondent surtout à la nature normative du débat sur la taille des cabinets. En fait, le débat politique sur le sujet repose également sur un cadre normatif, les cabinets restreints étant le symbole de gouvernements de plus petite taille.

Plutôt que de s'intéresser aux coûts institutionnels ou financiers de la taille des cabinets, le présent article cherche à introduire une approche empirique dans la compréhension de la taille des cabinets dans les gouvernements fédéraux et provinciaux canadiens en posant la question suivante : les gouvernements canadiens ont-ils un > de taille de cabinet? Pour essayer d'y répondre, trois hypothèses sont avancées : 1) la taille des cabinets augmente tant au palier fédéral que dans les provinces au Canada; 2) la taille des cabinets augmente en période de gouvernement et diminue après une dissolution et l'assermentation d'un nouveau gouvernement; et 3) la taille des cabinets augmente lorsque des gouvernements de centre gauche sont portés au pouvoir, reste la même sous des gouvernements formés par des partis centristes et diminue sous ceux formés par des partis de centre droit. Cette étude vise la période qui va de 1993 à 2014, les cabinets de Kim Campbell et Jean Chrétien en 1993 représentant la première tentative de ce que j'appellerai le cabinet > : de plus petits exécutifs qui étaient surtout des créations symboliques reflétant l'adoption par les gouvernements d'approches néolibérales par rapport à la croissance et au rôle de l'État.

Pour déterminer si le Canada a un problème de taille de cabinet, je décris d'abord le cas canadien plus en détail et j'examine la documentation spécialisée ainsi qu'un échantillon du discours politique canadien sur le sujet. Je présente ensuite une analyse de données recueillies sur la question, y compris un ensemble de données nouvellement créé qui repose sur l'évolution de la taille des cabinets dans les gouvernements fédéraux et provinciaux de 1993 à 2014.

Avant d'analyser la documentation pertinente, il est important d'expliquer pourquoi le cas canadien est unique lorsqu'on examine la question de la taille des cabinets. Le régime fédéral canadien comprend deux paliers de pouvoir, avec des assemblées législatives de tailles différentes, dans lesquelles on peut observer la réduction et l'expansion des cabinets : le gouvernement fédéral (national) et les gouvernements provinciaux. De plus, l'absence de gouvernements de coalition dans ce pays donne une perspective différente de celle de la plupart des recherches internationales qui portent sur la taille des cabinets dans des États dotés de gouvernements de coalition--variable qui influe considérablement sur l'élargissement du conseil des ministres.

Si l'on compare la taille du cabinet fédéral canadien à celle du cabinet d'autres États similaires, comme le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le Canada se situe dans la moyenne. Comme l'indique le tableau 1, indépendamment de l'attention politique prêtée à la taille du cabinet, la taille du cabinet fédéral canadien est comparativement modérée tant en proportion de la chambre basse que du nombre de ministres par habitant.

Si nous prenons les provinces canadiennes, nous trouvons des cabinets plus grands. Comme le montre le tableau 2, dans la plupart des provinces canadiennes, les cabinets absorbent une forte proportion de parlementaires.

Les chiffres provinciaux aident à expliquer pourquoi la taille des cabinets pourrait devenir préoccupante. En outre, ils donnent une bonne raison de chercher à savoir si la tendance aux gros cabinets dans les provinces est récente et quels types de variables, comme la période et le type de gouvernement, conduisent à des réductions ou à des expansions de cabinet.

Examen de la documentation

La majeure partie de la documentation internationale sur la taille des cabinets se concentre sur la constitution des cabinets dans des pays où les partis forment des coalitions de gouvernement (5). Lorsque l'on examine la formation des cabinets dans des gouvernements de coalition, on s'intéresse à la fois à la politique interne aux partis (ce qui vaut aussi pour les gouvernements monopartites) et à la politique entre partis (relations et dynamique entre les partis). Les spécialistes de ce domaine sont d'avis que la politique entre partis aide à déterminer et à influencer la taille des cabinets dans les gouvernements de coalition (6). D'autres études insistent sur les dilemmes que posent les grands cabinets. En effet, un plus grand cabinet offre plus de possibilités de représentation dans l'exécutif politique, mais il est plus difficile avec un grand nombre de ministres de fonctionner efficacement (7). D'autres études encore concluent que la taille du cabinet peut influer sur la taille du gouvernement et faire augmenter les niveaux de dépenses et les déficits (8).

La taille des cabinets est un sujet de discussion dans les recherches en sciences politiques canadiennes depuis les années 1960, mais il a fallu attendre les années 1990 pour que l'on se livre à un examen plus rigoureux des tendances (9). En 1990, Graham White expliquait que la taille des institutions politiques canadiennes comptait plus qu'on ne le pensait auparavant. Il décrivait un certain nombre de conséquences des grands cabinets, y compris sur le processus décisionnel, sur le pouvoir du premier ministre, sur la représentation au Cabinet et sur l'influence des simples députés à l'assemblée législative (10). Parmi les études notables portant précisément sur la taille des cabinets au Canada figure l'article intitulé >. Comme le laisse entendre le titre, les auteurs comparent l'expérience australienne en matière de réduction de la taille des cabinets et le resserrement du cabinet canadien en 1993 par les deux nouveaux premiers ministres en poste cette année, soit Kim Campbell, du Parti progressiste-conservateur, et Jean Chrétien, du Parti libéral. Comme le font remarquer Aucoin et Bakvis : Cependant, Aucoin et Bakvis laissent entendre qu'à trop se concentrer sur le nombre de ministres, on oublie ce qui devrait être la vraie préoccupation : l'organisation des portefeuilles.

Une bonne partie de la littérature canadienne récente consacrée à la taille des cabinets porte sur les conséquences pour les pratiques démocratiques dans les assemblées législatives du pays. David Docherty souligne la tendance provinciale à de faibles rapports députés d'arrièrebanministres du Cabinet et son incidence négative sur la capacité des députés d'exiger des comptes aux ministres (2005). Docherty souligne également l'effet qu'a un gros cabinet sur la présence de la discipline de parti et déclare que > Dans Democratizing the Constitution, Aucoin et coll. critiquent la pratique très courante qui consiste à augmenter le nombre de ministres, de ministres d'État et de secrétaires parlementaires au gouvernement fédéral. Aucoin et coll. proposent d'adopter une mesure législative limitant la taille des cabinets à 25 ministres. Se faisant l'écho des préoccupations exprimées par Docherty, les auteurs font valoir que la mesure législative > (13). L'augmentation de la taille du cabinet confère plus de pouvoir au premier ministre par la solidarité ministérielle qui va de pair avec les postes de ministre et la discipline de parti qui accompagne la possibilité d'être nommé à un tel poste lorsque le nombre de postes de ministre est plus grand.

Les chercheurs ne s'intéressent guère à la taille du cabinet fédéral et encore moins à celle des cabinets provinciaux. Dans son chapitre intitulé >, dans Prime Ministers and Premiers: Political Leadership and Public Policy in Canada (1988), Jennifer Smith constate que les cabinets prennent de l'expansion dans les provinces de l'Atlantique depuis les années 1970. Elle souligne qu'en >. Christopher Dunn fait observer que les cabinets provinciaux peuvent réunir de 20 à 40% du caucus législatif et souligne le pouvoir et le contrôle importants que cela confère au premier ministre et au gouvernement sur >. Cette taille des cabinets provinciaux s'explique en partie par le fait que les premiers ministres des provinces sont confrontés à des questions de représentation similaires à celles que connaît le premier ministre du Canada, mais avec des chambres...

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