Reflexions sur la reception du droit etranger en Chine.

• Author: Reynaud, Joseph
• Position: Book review

Reflexions sur la reception du droit etranger en Chine Helene Piquet, La Chine au carrefour des traditions juridiques. Bruxelles, Bruylant, 2005, Pp. 332.

Avec l'amorce d'une campagne d'ouverture sur le monde en 1978, le dirigeant Deng Xiaoping donna par la meme occasion le coup d'envoi a une vaste et ambitieuse reforme du droit en Republique populaire de Chine. Cette reforme se poursuit aujourd'hui a un rythme soutenu. Notons, a titre d'exemple, le depot en decembre 2002 d'un projet de code civil chinois devant l'Assemblee populaire nationale de Chine. Mais que cette codification officielle du droit chinois n'induise pas le lecteur en erreur. Malgre l'apparente adherence de la Chine a la tradition civiliste, les reformes en cours reposent en realite sur des emprunts a divers modeles juridiques, des > provenant autant du droit civil que de la common law. Aux yeux de certains juristes occidentaux, l'approche des dirigeants chinois vis-a-vis ces transferts de droit est purement instrumentaliste *

legislation in China in general is not based upon one coherent systematic model, but occurs rather on an ad hoc basis, absorbing elements from all relevant systems and experiences, irrespective of whether [these] are Chinese or non-Chinese, sino-marxist or western-capitalist, and civil law or common law, or even lslamic or traditional in origin. Any piece that can be useful, will be used (1) [italiques dans l'original]. Ainsi, selon certains auteurs, les modeles juridiques etrangers seraient importes en Chine > (2).

Dans La Chine au carrefour des traditions juridiques, un ouvrage edifiant s'adressant aussi bien aux sinologues qu'aux juristes interesses par les transferts de droit, Helene Piquet examine si la these de l'instmmentalisation pure et simple des droits etrangers correspond a la realite des transferts de droit en Chine depuis 1978. L'auteure reconnait que l'approche officielle vehiculee par le legislateur et les dirigeants chinois est > (3). Elle avance cependant que cette position officielle doit etre distinguee des positions adoptees par les juristes chinois, des juristes dont les debats exercent une influence sur l'importation et la codification du droit etranger en Chine. A travers un expose de l'histoire des transferts de droit en Chine et un examen approfondi de la doctrine chinoise contemporaine, Helene Piquet avance qu'une vision purement instrumentaliste des transferts de droit n'est que partiellement exacte. Les debats sur les transferts de droit n'ont rien de nouveau en Chine. Bien au contraire, il existe dans ce pays une longue tradition de reflexion intellectuelle a propos de l'importation du droit etranger, ce qui refute la these de son instrumentalisation pure et simple. Aujourd'hui encore, les transferts de droits font l'objet de discussions et sont parfois une source de desaccords entre juristes chinois, chaque modele juridique comptant ses propres partisans.

Afin de permettre au lecteur de comprendre le contexte dans lequel se deroule l'adoption du droit etranger en Chine, Helene Piquet expose dans la premiere partie de son ouvrage les composantes de la tradition juridique chinoise, notamment la philosophie confuceenne du > qui correspond a une logique particulariste et reticente envers la regle du droit (4). Ce courant de pensee a traditionnellement domine le legisme et la philosophie du >, courant selon lequel la regle de droit devrait etre appliquee de facon impersonnelle, eliminant toute tendance au particularisme. Le triomphe du li sur le fa a fortement marque l'evolution du droit en Chine et son influence continue de se faire sentir a ce jour. Frequemment cite comme constituant un obstacle a la progression de la primaute du droit, ce phenomene est aussi associe a la preference marquee, en Chine, pour une justice substantielle plutot que procedurale (5). En effet, la logique du li etant historiquement basee sur les rites et sur les statuts individuels plutot que sur la primaute du droit, elle tend a favoriser la resolution des conflits > (6). Notons que l'auteure contribue a l'etude de ce sujet a travers son expose des recherches du juriste Yongping Liu, qui insiste sur le fait que certains elements jusqu'ici associes au confucianisme, en particulier l'importance attachee aux statuts respectifs des individus au sein de la famille et du clan, sont en realite des produits de l'ordre aristocratique pre-confuceen (7). Ce retour sur les elements essentiels de la composante juridique chinoise permet au lecteur d'apprecier les obstacles de taille rencontres par l'insertion d'une notion de justice fondee sur la primaute du droit. Un tel expose permet aussi d'apprecier les composantes juridiques traditionnelles qui influencent les debats sur l'adoption du droit etranger en Chine, debats sur lesquels Helene Piquet se base pour remettre en cause la these de la simple instrumentalisation du droit etranger.

Helene Piquet a beau mentionner le role joue par la mediation dans la tradition juridique chinoise, elle n'approfondit pas le theme de la puissante influence exercee en Chine par ce moyen de resolution des conflits (8). Le recours aux tribunaux est certes de plus en plus frequent dans la Chine d'aujourd'hui. Neanmoins, pour diverses raisons d'ordre culturel, philosophique et historique, les procedures litigieuses ont traditionnellement ete considerees avec un oeil suspect dans l'Empire du milieu. Comme l'ecrivait Wang Hui-tsu (1731-1807) : > [notre traduction] (9). Le theme de la mediation merite que l'on s'y attarde quelque peu car de nombreux conflits mineurs se resolvent en pratique a travers un reseau extensif d'organismes de mediation extrajudiciaire. Cette pratique a beau etre un vestige de l'ere maoiste, ses racines sont profondement ancrees dans la tradition juridique chinoise (10). Par ailleurs, la mediation est aussi integree a certaines procedures adjudicatives de resolution des differends : elle s'exerce dans un cadre judiciaire, lorsqu'elle est entreprise par les juges...