La reforme du Senat et les minorites francophones.

AuthorTardif, Claudette

Le présent article examine de façon générale les projets récents de réforme du Sénat lancés par le gouvernement et s'intéresse à l'impact que ces projets pourraient avoir sur la représentation des communautés francophones minoritaires au Sénat. En se basant sur les fondements historiques et constitutionnels du Sénat ainsi que sur son rôle, cette étude analyse la représentation dont ont joui historiquement les communautés francophones minoritaires du pays au sein de la Chambre haute. En s'appuyant sur des comparaisons internationales avec d'autres États multinationaux et fédéraux, les auteures proposent des pistes de réflexion quant aux meilleurs moyens de reformer le Sénat, si cela s'impose, afin qu'il continue à bien représenter les communautés francophones en milieu minoritaire.

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Selon Walter Bagehot, journaliste anglais qui a écrit sur le système parlementaire britannique, >. Et pourtant, le Sénat canadien, instance nécessaire et utile, est aujourd'hui probablement l'une des institutions canadiennes les moins bien comprises au pays.

Combien de Canadiens et de Canadiennes se demandent >, ou > ou encore > Ce sont là des questions importantes qui constituent le point de départ des débats entourant la réforme du Sénat canadien. Ce texte examine de façon générale les fondements historiques et constitutionnels de la Chambre haute, son rôle ainsi que les diverses suggestions de réforme et l'impact de ces dernières sur les communautés francophones en situation minoritaire.

Contexte présent et efforts récents de réforme

Après une absence de plusieurs années, la réforme du Sénat refait surface et est à nouveau au menu. Le 30 mai 2006, le gouvernement a présenté au Sénat le projet de loi S-4, qui visait à limiter le mandat des sénateurs à une période de 8 ans. Ce texte (devenu C-19 à la session suivante) a été étudié en profondeur par deux comités du Sénat. Lors de son passage devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat le 7 septembre 2006, le premier ministre Harper a lui-même informé le Comité que le projet de loi S-4 constituait une première étape du processus de réforme du Sénat (1).

En effet, le gouvernement a présenté à la Chambre des communes quelques mois plus tard, en décembre 2006, le projet de loi C-43 (devenu C-20 à la session subséquente). Ce texte visait la mise sur pied d'un système électoral complet applicable à la sélection des sénateurs. À la dissolution du Parlement en septembre 2008, le projet de loi C-20 se trouvait au comité législatif de la Chambre des communes qui était chargé de l'étudier. Mentionnons qu'avec ces deux projets de loi, le gouvernement fédéral espérait apporter des modifications importantes au Sénat par voie strictement législative. Dans le discours du Trône de novembre 2008, le gouvernement est revenu à la charge et a fait part de son intention de déposer un projet de loi proposant un sénat élu dont le mandat maximal des sénateurs serait de huit ans. La présentation de ces projets de loi continueront à susciter un débat et à soulever plusieurs questions, tant chez les parlementaires fédéraux et provinciaux qu'au sein de la société canadienne.

Même s'il est bien de s'interroger sur les façons de renouveler le Sénat et nos institutions de façon plus générale, il est toutefois essentiel que ces discussions soient fondées sur une bonne compréhension de la Chambre haute. Pour cela, il importe de revenir aux fondements historiques et constitutionnels ainsi qu'aux rôles que les Pères de la Confédération avaient prévus pour le Sénat. Dans le cadre des débats récents, certains enjeux sont négligés.

Fondements historiques et constitutionnels

Dans les débats actuels, on semble oublier que, sans l'inclusion d'une chambre haute qui soit capable de représenter et de défendre les intérêts règionaux et les minorités, il n'y aurait pas eu de Confédération en 1867. Comme le soulignent plusieurs auteurs (par exemple, Ajzenstat, 2003; MacKay, 1927; Woerhling, 1992), le Sénat a été un sujet fort discuté à la Conférence de Québec en 1864 et sur lequel les Pères de la Confédération ont eu du mal à s'entendre (2). Pour reprendre le propos de George Brown, >. Sans cette protection des intérêts régionaux et minoritaires, le Québec n'aurait pas consenti à se joindre aux autres colonies.

Le sénateur Serge Joyal, dans son ouvrage Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité, présente un résumé de l'opinion exprimée par la Cour suprême du Canada en 1998 dans le contexte du Renvoi sur la sécession du Québec. La Cour suprême du Canada énonce clairement dans ce jugement les quatre principes directeurs de notre architecture constitutionnelle : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect des minorités (4). Le principe du fédéralisme et le principe du respect des minorités sont ceux qui nous intéressent davantage dans le cadre de ce texte.

Le principe du fédéralisme

Le principe du fédéralisme anime notre structure constitutionnelle. Comme le souligne le sénateur Joyal,

... le fédéralisme exprime la diversité de notre fédération. C'est essentiellement la reconnaissance des différences linguistiques, religieuses et socioéconomiques qui distinguent les régions et les provinces du Canada. Le régime fédéral du Canada a été conçu d'emblée pour tenir compte des divers besoins, des faiblesses et des ressources des premiers partenaires de la Confédération ... Le Sénat a fait partie intégrante du compromis de 1867 parce qu'il était perçu, de concert avec le principe du fédéralisme, comme étant un moyen d'accommoder les différences profondes entre les régions et les provinces constituantes de la nouvelle fédération. Récemment, le gouvernement du Québec a repris ce point dans le mémoire qu'il a soumis le 31 mai 2007 au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Le gouvernement du Québec rappelle que le Sénat >.

En outre, plusieurs politologues considèrent que le fédéralisme est un mécanisme qui permet d'accommoder les minorités au sein d'un État et de ses institutions. Comme l'explique Alain-G. Gagnon dans son étude récente sur le fédéralisme asymétrique au Canada, les auteurs s'entendent généralement pour dire que le fédéralisme correspond à une forme institutionnelle avancée qui permet de mettre en place des pratiques démocratiques plus élaborées et respectueuses des préférences des diverses communautés appelées à cohabiter sur le territoire d'un État-nation donné (6).

Dans le même ouvrage, François Rocher explique, pour sa part, que >.

Le principe du respect des minorités

Le principe du respect des minorités est un autre principe constitutionnel fondamental défini par la Cour suprême en 1998 dans le Renvoi sur la sécession du Québec. La décision de la Cour confirme que les droits des minorités ont >.

Bien que la loi incarne un compromis ayant fait en sorte que les provinces initiales ont convenu de se fédérer, il est important de se rappeler que la préservation des droits des minorités a été l'une des conditions selon lesquelles celles-ci se sont jointes à la fédération. Il s'agit du fondement sur lequel toute la structure a été par la suite érigée. L'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982 a confirmé cette protection des...

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