Réformes et systèmes électoraux : l'expérience canadienne.

PositionTable Ronde

Harold Jansen, Dennis Pilon et Laura Stephenson

RPC : Comment le Canada en est-il venu à adopter son système électoral actuel?

DP : Si nous remontons à l'époque de la Confédération, toutes les colonies utilisaient le scrutin majoritaire à un tour pour faire leurs choix électoraux, quoique certaines d'entre elles avaient des circonscriptions plurinominales (plus d'un député par circonscription). Nous savons que de la Confédération jusqu'aux alentours de 1966, il y avait quelques circonscriptions binominales. Donc, à l'échelle fédérale, nous avons principalement utilisé le scrutin uninominal majoritaire à un tour, et le scrutin majoritaire plurinominal à l'occasion. À l'échelle provinciale, surtout dans certaines grandes villes, il y a eu plus d'occurrences de scrutin majoritaire plurinominal dans des circonscriptions comptant de trois à cinq sièges.

RPC : Ces circonscriptions plurinominales étaient-elles communes dans d'autres pays qui se sont développés parallèlement au régime parlementaire de Westminster?

DP : Je ne peux pas me prononcer sur l'Australie et la Nouvelle-Zélande, mais aux États-Unis, il y avait des circonscriptions plurinominales d'un bout à l'autre du pays jusqu'à ce que le Congrès adopte une règle dans les années 1840 et, bien sûr, il y en avait aussi au Royaume-Uni. En fait, en 1867, la majorité des circonscriptions au Royaume-Uni étaient plurinominales, et non uninominales. Cela crée beaucoup de confusion quand les gens disent que le système uninominal majoritaire à un tour fait partie de notre héritage britannique, alors qu'en fait, ce n'est pas le cas. On ne peut pas hériter de quelque chose qui ne faisait pas partie de la tradition. On utilisait ce système au début à l'échelle fédérale.

À l'échelle provinciale, on a fait quelques expérimentations. Tout d'abord avec le vote limité en Ontario pour les circonscriptions urbaines de Toronto. Cette ville comptait des circonscriptions plurinominales, mais comme le Parti libéral au pouvoir ne réussissait jamais à y remporter des sièges, il y a instauré le vote limité--un système semi-proportionnel. Ce système a été en place pendant trois élections, et les libéraux ont obtenu un certain succès pour remporter des sièges. Par contre, dès que ce système a semblé pouvoir donner la chance à un député travailliste de faire une percée et ainsi perturber la stabilité du système bipartite, les libéraux n'ont pas tardé à l'abolir.

La réforme électorale a fait l'objet de discussions au cours de cette période. Dans les années 1870, le mouvement Canada First a fait naître un certain intérêt à cet égard. Au tournant du siècle, les conservateurs du Québec ont eux aussi commencé à discuter de réforme électorale parce qu'ils ne parvenaient pas à faire élire beaucoup de candidats dans la province. Mais le désir de réforme n'a réellement pris son essor qu'aux alentours de la Première Guerre mondiale, lorsque des députés libéraux et progressistes ont commencé à discuter des différents types de systèmes électoraux. Ce genre de discussion se tenait aussi dans d'autres pays. C'était notamment le cas en Australie; en Nouvelle-Zélande, on avait déjà adopté un système majoritaire à deux tours pour ensuite s'en débarrasser, et bien sûr, il y a eu d'importantes discussions à ce sujet au Royaume-Uni et dans toute l'Europe à divers moments.

Durant cette période, certaines municipalités de l'Ouest canadien passent au scrutin à vote unique transférable. Toutefois, bon nombre d'entre elles n'ont pas tardé à s'en débarrasser parce que le dépouillement manuel est tout simplement trop difficile à faire. Les seules exceptions se produisent dans des municipalités où des classes politiques commencent à émerger, notamment en raison de la grève générale de Winnipeg ou de la montée du syndicat One Big Union dans l'Ouest canadien. Dans les municipalités où le conflit entre les classes est particulièrement intense, comme Winnipeg et Calgary, l'utilisation de différents systèmes électoraux semble perdurer un certain temps. Harold pourrait peut-être nous en dire plus à ce sujet.

RPC : Harold, quels types de systèmes étaient utilisés dans les provinces des Prairies à cette époque?

HJ : De 1910 à 1920, la réforme électorale suscite un vif intérêt. Le Grain Growers' Guide, un périodique à caractère politique extrêmement populaire, a publié de nombreux articles à ce sujet. Dans le contenu politique du Grain Growers' Guide, les articles ont tendance à porter sur l'aliénation de l'Ouest, mais on y discute aussi beaucoup de réforme institutionnelle. Ce guide a transmis aux agriculteurs une foule de renseignements très détaillés sur les réformes électorales, en expliquant << voici comment cela fonctionne, voici pourquoi cela est mieux >>. Il y avait un énorme intérêt pour la réforme parmi les mouvements d'agriculteurs, mais aussi parmi les mouvements de travailleurs dont Dennis a parlé. Lorsque les agriculteurs sont devenus plus actifs sur le plan politique dans les Prairies, la réforme faisait partie de leurs demandes et elle est devenue profondément ancrée dans ce mouvement populiste des Prairies que nous avons vu en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba et même un peu en Ontario.

Au Manitoba, nous sommes alors en présence du radicalisme ouvrier à Winnipeg et du populisme agricole dans les régions rurales. Le gouvernement libéral de la province décide d'instaurer le scrutin à vote unique transférable, mais de le limiter à Winnipeg. Cette tactique est un mélange de tentatives visant à calmer les esprits de ceux qui souhaitent un tel système, mais aussi d'une bonne dose d'intérêts partisans, car elle permet de faire obstacle au Parti travailliste. C'est toujours d'un mélange de principe et d'intérêts partisans. Par cette réforme, les libéraux ont tenté de contrecarrer la montée du Parti travailliste, mais ce sont les progressistes qui ont remporté...

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