La regle sub judice : que faire lorsque les tribunaux sont saisis d'une affaire.

AuthorSteele, Graham

La convention relative aux affaires en instance (sub judice) est une contrainte qu 'un parlement s 'impose pour garantir un équilibre raisonnable entre la liberté d'expression des parlementaires et l ëquité des procès des prévenus. Dans le présent article, l'auteur soutient que cette convention est souvent mal comprise. Nombreux sont ceux qui pensent que la règle interdit de parler de toute affaire dont les tribunaux sont saisis. Il est affirmé dans l'article qu 'il s 'agit là d'une interprétation trop large. Appliquée ainsi, la convention tend à réprimer le débat parlementaire, même lorsqu 'il n "y a pas le moindre risque de nuire à l'équité d'un procès. L 'auteur présente des exemples du bon et du mauvais usage de la convention et préconise une approche plus équilibrée afin de concilier la liberté d'expression et l ëquité des procès.

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Dans les parlements du Commonwealth, la convention qui impose une certaine restriction à la discussion d'affaires dont les tribunaux sont saisis est appelée >. Celle-ci a pour but est de préserver l'équilibre entre la liberté d'expression au parlement et l'équité dans la conduite des procès. Il s'agit, dans les deux cas, de valeurs importantes. Aucune des deux ne doit entièrement primer l'autre. On peut invoquer six raisons principales pour lesquelles le parlement doit éviter de laisser la convention se transformer en une restriction automatique et trop large du débat parlementaire.

D'abord, il faut protéger assidûment la souveraineté du parlement. Il a fallu des siècles pour établir les droits des parlements inspirés du modèle de Westminster. Il ne faut donc pas les sacrifier à la légère. Les parlements ne doivent jamais céder de façon automatique à quelque processus que ce soit.

Deuxièmement, l'objet du débat parlementaire diffère de celui des instances judiciaires. Ainsi, une enquête policière vise à établir s'il y a lieu de porter des accusations au pénal. Si des accusations sont portées, il ne peut y avoir condamnation que si la preuve permet de dissiper tout doute raisonnable. Et s'il y a condamnation, une sanction est imposée pour transgression des normes sociales. Les délibérations parlementaires sont fort différentes, car elles portent exclusivement sur la politique d'intérêt public.

Troisièmement, il arrive souvent que le parlement et les tribunaux soient saisis en même temps de questions importantes. >

Quatrièmement, les procédures judiciaires peuvent traîner pendant des années et ne pas aboutir à une conclusion nette. Le parlement aurait horreur d'adopter des règles qui auraient pour effet de paralyser le débat pendant une période indéterminée.

Cinquièmement, il existe, d'habitude, des mesures moins radicales qui permettent de poursuivre les débats sans porter préjudice aux procès.

Enfin, il est difficile de trouver des exemples avérés oø le discours tenu au parlement aurait influé de façon démontrable sur des instances judiciaires. Nous devrions peut-être nous garder de trop recourir à la convention si la menace réelle pour ces procédures se concrétise si rarement.

Ce que la convention n'est pas

Un point de départ utile est de dire ce que la convention relative aux affaires en instance n'est pas. Il ne manque pas de raisons pour lesquelles un parlementaire peut refuser de parler d'une affaire dont les tribunaux sont saisis. Dans chaque cas, la raison peut être exprimée en ces termes : > Chacune de ces raisons a sa légitimité, mais aucune ne doit interdire le débat parlementaire.

Voici quelques raisons, en dehors de la convention, qui peuvent inciter une personne à s'abstenir de toute observation.

Il y a les contraintes stratégiques que s'imposent les parties à un procès. Une déclaration publique peut modifier la position des parties en ce qui concerne la stratégie d'instance, la preuve, la stratégie ou les négociations de règlement ou les témoins. Parfois, il est plus sage de garder le silence. Il s'agit d'un choix stratégique que les parties s'imposent elles-mêmes. Cela n'a aucune influence sur l'autorisation ou non du débat parlementaire. Cela veut simplement dire que, s'il y a débat, une partie (d'habitude le gouvernement) choisit de s'abstenir d'y participer.

Il y a l'obligation déontologique des avocats envers leurs clients. Au Canada, cette obligation est le plus souvent prévue dans le code de déontologie régissant un barreau qui se réglemente soi-même. Les avocats sont tenus de s'abstenir de faire des déclarations publiques sans le consentement de leur client. Il s'agit d'une affaire qui concerne l'avocat et le client et qui n'influe aucunement sur la question de savoir s'il y a lieu d'autoriser un débat parlementaire.

Les avocats ont une obligation déontologique envers les tribunaux. Là encore, cette obligation est prévue dans le code de déontologie du barreau. Il n'y a pas si longtemps, la plupart des avocats refusaient régulièrement de faire quelque observation que soit en dehors de la salle d'audience. Le principe voulait que les avocats doivent présenter leurs éléments de preuve et leur argumentation à la cour. Il était jugé irrespectueux et indigne du processus judiciaire qu'un avocat dise quoi que ce soit aux médias à l'extérieur de la salle d'audience. Avec le temps, ces restrictions d'ordre éthique se sont assouplies. Il arrive maintenant fréquemment que des avocats s'adressent aux médias. Ils conservent néanmoins l'obligation déontologique d'être justes, exacts, et respectueux du tribunal. Cette restriction constitue une obligation déontologique des avocats, qui doivent faire respecter l'administration de la justice. Elle n'a aucune incidence sur l'autorisation d'un débat parlementaire.

Un usage parlementaire veut qu'on ne puisse contraindre un ministre à répondre à une question. Ce droit parlementaire de garder le silence s'applique à tout moment et pour tous les sujets, que les tribunaux soient saisis d'une affaire ou non. Là encore, il n'y a aucune incidence sur l'autorisation d'un débat parlementaire.

Il y encore des limites d'ordre pratique : il est possible que d'autres moyens que le parlement soient mieux adaptés pour obtenir de l'information sur les faits. Il est fort courant qu'une question d'intérêt public fasse l'objet d'une enquête policière, publique ou interne, d'une vérification ou d'un ensemble de ces divers éléments. D'après mon expérience, ces processus réussissent habituellement mieux à cerner les faits qu'un comité parlementaire, bien que chacun ait un objectif, des moyens et des échéanciers différents. Le parlement peut parfois croire que ses propres enquêtes et débats seront plus efficaces s'il attend que ces autres démarches aient suivi leur cours ou soient, au moins, bien avancées. Mais il s'agit là d'un conseil dicté par la prudence. Il n'y a aucune incidence sur le bien-fondé ou non d'un débat parlementaire.

Il y a le droit juridique de chacun contre l'auto-incrimination. Le paragraphe l lc) de la Charte des droits dit que >. Par ailleurs, l'article 13 dit : > Aucun de ces motifs ne peut justifier que quiconque refuse de s'exprimer à l'intérieur du parlement (dans le cas d'un parlementaire) ou de répondre au parlement (dans le cas d'un témoin qui comparaît devant un comité). Même en l'absence de la protection de la Charte, l'immunité et le privilège parlementaires font en sorte que rien de ce qui est dit au parlement ne peut servir dans quelque autre instance. Le droit de ne pas s'incriminer n'a donc aucune incidence sur l'autorisation d'un débat parlementaire.

Il y a, enfin, la protection garantie par la loi sur les renseignements personnels qui (entre autres choses) empêche les ministres de discuter de cas particuliers en public.

Lorsque des parlementaires sont motivés par l'une ou l'autre de ces raisons, ils peuvent sembler invoquer la convention relative aux affaires en instance ou peuvent être convaincus qu'ils le font, en disant : > Mais il nous faut éviter la confusion. Ce que le député veut peut-être dire en fait, c'est : > C'est bien autre chose.

Ce qu'est la convention

Toute discussion portant sur la convention relative aux affaires en instance au Canada doit débuter par le premier rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur les droits et immunités des députés, publié en 1977 (2). Trente ans plus tard, il s'agit toujours de l'érude canadienne du sujet qui est la meilleure et la plus réfléchie.

La majeure partie du rapport de ce comité spécial est consacrée à une étude approfondie des précédents. Les conclusions de fond se trouvent aux paragraphes 21 à 24, qui peuvent se résumer ainsi :

* La justification de la convention n'a pas été établie au-delà de tout doute. La liberté de la Chambre ne devrait pas être restreinte par une convention dont l'existence n'est pas même totalement justifiée (paragraphe 22).

* La seule raison qu'on puisse invoquer pour la convention est le souci d'éviter de nuire à des instances judiciaires (paragraphe 21).

* Il est fort peu probable que les juges puissent être influencés par ce qui se dit au Parlement. La convention vise donc à protéger les jurés et les témoins contre les influences indues (paragraphe 21).

* Le préjudice est le plus probable dans le cas des affaires de diffamation au pénal et au civil, lorsqu'il y a jury (paragraphe 24).

* La convention n'est certainement pas une règle (paragraphe 22).

* Le Parlement ne devrait pas être plus limité dans ses débats, à propos des instances judiciaires, que ne l'est la presse qui en donne le compte rendu (paragraphe 22).

* Tous les députés devraient normalement faire preuve de jugement lorsqu'il y a risque de préjudice pour des instances. Au cours de la période des questions, le rôle du président doit être minimal, et la responsabilité de faire preuve de retenue doit reposer surtout sur le député qui pose la question et le ministre qui y répond (paragraphe 23).

* Il serait peu sage de tenter d'encadrer de règles précises l'application de la convention (paragraphe 24).

* Le président devrait...

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