Requiem pour un cadavre.

AuthorLacroix, Marieve
PositionFrance, Quebec

Le respect du cadavre peut faire l'objet d'une reflexion transversale dans les droits francais et quebecois. En effet, plusieurs mouvements contemporains se conjuguent au profit de la survie d'une protection juridique du cadavre a travers le vecteur de la dignite humaine. On peut penser, au Quebec, au Projet de loi 66 sur les activites funeraires, sanctionne en fevrier 2016 et, en France, a l'entree en vigueur en 2008 de l'article 16-1-1 du Code civil qui impose le respect du corps apres la mort.

Empruntant librement la structure d'un essai theatral, les auteurs proposent quelques jalons de reflexion sur la determination du moment de la mort (acte I), une clarification du statut juridique du cadavre (acte II), une protection du defunt au temps de la memoire des proches (acte III), ainsi qu'au temps de l'oubli (acte IV), menant au denouement ultime, certes inevitable (acte V).

Respect for human cadavers can be the object of an interdisciplinary reflection in French and Quebec law. In fact, several contemporary movements have joined together for the benefit of preserving the legal protection of human cadavers through the vector of human dignity. In Quebec, Bill 66 on funeral operations comes to mind (sanctioned in February 2016), as does, in France, the coming into force in 2008 of article 16-1-1 of the Civil Code, which imposes a duty to respect the human body after death.

Borrowing the structure of a theatrical essay, the authors reflect on issues related to the determination of the moment of death (Act I), the legal status of corpses (Act II), the protection of the deceased through the memories of those close to them (Act III), as well as once they are forgotten (Act IV), all leading to the ultimate and inevitable denouement (Act V).

Prologue Acte I--La mort Acte II--Le mort Acte III--La memoire Acte IV--L'oubli Acte V--Deus ex machina **********

[A]u coeur de la tombe, au seuil de l'abime, au dernier instant de leur vie, au lieu de se lamenter, au lieu de pleurer sur leurs jeunes vies perdues--des etres humains font entendre un chant! (1)

Prologue

A la tombee finale du rideau sur la scene, le defunt se meut dans un theatre hante par des ombres (2). La tirade de Theramene dans Phedre est eloquente : <> (3).

La scene de theatre est un mausolee; les textes dramatiques sont la voix des morts qui se dissolvent dans une temporalite indefinie. Au theatre, les morts, sous l'apparence de l'invisible et de l'immateriel, peuvent exprimer leurs volontes posthumes. Ils se manifestent le plus souvent dans les textes dramatiques a travers une esthetique de la dissipation, de la blancheur, de la dematerialisation. Les fantomes prennent la parole. La mort est un evenement qui supprime le corps et qui ne fait subsister de l'individu que sa voix ou sa silhouette.

Mais le theatre se degage parfois de l'ancienne voie. Les fantomes trouvent porte close. Leur chemin est entrave par un mur de cadavres. S'ils veulent passer a la scene ils doivent prendre corps. Certaines voix fantomatiques persistent, mais les cadavres parlants envahissent les textes theatraux. L'incarnation des morts au theatre tend a la reappropriation de la mort. Le theatre, en placant les corps morts face aux yeux des spectateurs, permet de considerer le cadavre d'une maniere novatrice et d'imposer la distance necessaire pour son etude. Le juriste peut s'en inspirer, certes.

On sait que dans la culture occidentale, le concept de personnalite lie, durant la vie de la personne--en son sens etymologique persona qui revele le <> (4)--le corps et l'esprit (5). La mort emporte leur dissociation. Pourtant, precisement parce qu'il a ete le support de l'esprit, le corps conserve son empreinte apres la mort.

Une etude juridique releve necessairement de la gageure parce que le droit qui protege l'Homme depuis sa naissance et jusqu'a sa mort, ne l'abandonne pas au moment ou il cesse de vivre. D'ailleurs, la multiplicite des travaux consacres a la matiere atteste cette realite (6). A l'heure ou la pulsion de mort habite de nombreux debats juridiques contemporains (7), le questionnement sur la depouille mortelle semble pouvoir etre revisite. Ainsi, expurge du champ traditionnel des croyances et de la religion, le <> (8) peut faire l'objet d'une reflexion juridique axee sur les valeurs morales representees par le cadavre plutot que la matiere anatomique dont il se compose, laquelle possede sans conteste une valeur qui transcende la vie et la mort.

Dans la perspective d'amorcer cette reflexion, un survol en droit compare parait opportun puisque les droits quebecois et francais semblent promouvoir, a juste titre, le respect de la depouille mortelle (9). En effet, plusieurs mouvements se conjuguent au profit de la survie d'une protection juridique du cadavre. Au Quebec, il n'est qu'a penser au Projet de loi 66 sur les activites funeraires, sanctionne en fevrier 2016 (10) et, en France, a l'entree en vigueur en 2008 de l'article 16-1-1 du Code civil qui impose le respect du corps apres la mort.

Inextricablement lies a la prevalence de la dignite humaine en droit contemporain, en France (11) et au Quebec (12), ces mouvements revelent qu'elle comporte une dimension normative qui se prete a l'analyse, si l'on fait amende honorable de renoncer a toute forme d'objectivite epistemologique, et apres avoir accepte--dans le sillage trace par le doyen Jean Carbonnier--<> (13). Sans pour autant postuler une signification de ce concept, car y pretendre releverait de la temerite intellectuelle, voire d'un aveuglement methodologique volontaire destine a occulter sa polysemie inherente, il est possible de relever deux acceptions de la dignite. C'est dans son sens ontologique, comme caracteristique inherente a l'etre humain, du seul fait de son appartenance a l'humanite, que nous envisageons la notion (14). Nous evacuons ainsi la dignite dans son sens subjectif, comme droit fondamental de la personne (15). En la matiere, <> [notes omises] (16) ; la dignite humaine constituant <> (17). Parce que le cadavre est digne de respect, il commande une protection. Tel est le veritable defi, selon Generosa Bras Miranda, c'est-a-dire de <> (18).

L'etude proposee, dont l'ambition se mesure a l'aune de sa forme et ne peut pretendre qu'a poser quelques jalons de reflexion, emprunte librement la structure d'un essai theatral. A la determination du moment de la mort (acte I) s'enchaine la clarification du statut juridique du cadavre (19) (acte II). L'affermissement du statut juridique du cadavre au Quebec et en France suggere alors une extension de la temporalite traditionnelle des droits attaches au cadavre. Embrassant la notion d'eternite, nos droits ajoutent au temps connu de la memoire ou le cadavre est protege par ses proches (acte III), un temps nouveau de l'oubli ou le cadavre est protege par la collectivite (acte IV). Le denouement ultime de ces actes, empruntant a ces deux temps circonscrits de la memoire et de l'oubli, s'avere alors inevitable (acte V).

Sur la premisse de cet axe temporel, nous ecartons la souverainete posthume du defunt par rapport au prelevement de ses organes, a ses funerailles et au mode de disposition de son corps, laquelle participe essentiellement de considerations successorales (20). Par voie de consequence, nous evincons l'examen des recours possibles de la part des proches lorsque les volontes exprimees par le defunt ne sont pas respectees ou en l'absence de volontes formulees, le cas echeant. Bien qu'il s'agisse d'un champ de reflexion fecond (21), nous sommes d'avis que cela renvoie en quelque sorte au prolongement de la personne (22). Or, c'est justement le ca davre, purge de tout vestige de sa personnalite, qui irrigue nos observations liminaires.

Acte I--La mort

<> (23). Puisque le cadavre n'apparait en droit que lorsque survient la mort, une reflexion juridique sur le sujet conduit necessairement a sonder, de maniere liminaire, les criteres de determination de Yinstant de la mort (24). Or, on sait que, vivifiee par les progres des sciences et des techniques, la quete d'immortalite de l'Homme le conduit sans cesse a tenter de repousser les frontieres de la vie (25). Au jourd'hui, le moment de la mort s'avere plus incertain que jamais (26), de sorte qu'il semble presomptueux pour le juriste de prononcer la mort, car elle est en realite un simple fait pour lui (27). Par consequent, en France et au Quebec, le droit delegue a la medecine le pouvoir d'affirmer sa survenance; il se contente ainsi d'en prendre acte. Tel que l'enonce Jean-Louis Baudouin, en cette matiere, <> [emphase dans l'original] (28). Pour autant, le degre de deference de nos droits a l'egard des prescriptions du corps medical differe. En France, si un substrat legislatif s'impose aujourd'hui a lui, au Quebec, il conserve une certaine preeminence.

On ne peut occulter qu'en France, pendant longtemps, la necessite d'une definition juridique de la mort n'est pas apparue puisque la mort etait concue de maniere <> (29). C'est avec la decision rendue par le Conseil d'Etat dans l'affaire Milhaud (30) en 1993 qu'a ete esquissee, pour la premiere fois, une apprehension juridique de la mort. Dans cette affaire, s'agissant d'apprecier la regularite d'une sanction pro noncee a l'encontre d'un medecin ayant pratique des experimentations sur une personne en etat de mort cerebrale, le juge administratif impose que la mort soit constatee selon les conditions prevues aux dispositions des articles 20 a 22 du decret du 31 mars 1978 (31). Or, ce texte, depuis abroge (32), prevoyait notamment en son article 21 ceci :

Le constat est fonde sur des preuves concordantes cliniques et paracliniques permettant aux praticiens de conclure a la mort du sujet. Les procedes utilises a cette fin doivent etre reconnus valables par le ministre charge de la sante apres consultation de l'academie nationale de medecine et du conseil national de l'Ordre des medecins. Les medecins etablissent un proces-verbal precisant les procedes...

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