Le role des barreaux canadiens en matiere linguistique: le Barreau quebecois et le Barreau du Haut-Canada.

AuthorGrenon, Aline

Canadian law societies are required by their incorporating statutes to act in the public interest. What does this mean for law societies when it comes to official languages? The author traces the history of the Quebec bar, which has been shaped in part by relations between the French-speaking and English-speaking communities, and seeks to identify lessons that all Canadian law societies might learn from the Quebec experience. This subject has not previously been addressed. The article consists of three parts: an outline of the history of the Quebec bar that illustrates the language-related factors that have shaped it; a description of its present-day governance and the status of English in the organization; and the importance of the two official languages in the legal context and the role that Canadian law societies might play in that regard. In all three parts, relevant comparisons are drawn with the Law Society of Upper Canada, the largest of the Canadian law societies.

En raison de leurs lois constitutives, les barreaux canadiens doivent agir dans l'interet public. Dans ce contexte, quelles sont les obligations des barreaux a l'egard des langues officielles ? A travers l'evolution du barrou quebecois, lequel a ete faconne en parue par les relations entre les communantes d'expression francaise et anglaise, l'auteur tente de tirer cermines lecons qui pourraient servir a l'ensemble des barreaux canadiens. Le sujet est inedit. L'article comporte trois parties : une esquisse de l'evolution historique du Barreau du Quebec permettant de comprendre notamment les elements linguistiques qui l'ont faconne ; une description de sa gouvernance actuelle et du statut de l'anglais en son sein ; enfin, despistes de reflexion concernant l'importance des deux langues officielles dans le contexte juridique et le role que pourraient jouer les barreaux canadiens a cet egard. Dans les trois parties, des comparaisons seront etablies au besoin avec le Barreau du Haut-Canada, le plus important des barreaux canadiens.

Table des matieres I. INTRODUCTION II. ESQUISSE DE L'EVOLUTION HISTORIQUE DU BARREAU QUEBECOIS III. GOUVERNANCE ACTUELLE DU BARREAU QUEBECOIS ET LE STATUT DE L'ANGLAIS A. Lois-cadres 1. Code des professions 2. Charte de la langue francaise B. Statut de l'anglais au sein du barreau quebecois 1. Le processus disciplinaire 2. La representation des membres de la communaute d'expression anglaise 3. Acces a la justice IV. L'IMPORTANCE DES DEUX LANGUES OFFICIELLES DANS LE CONTEXTE JURIDIQUE ET LE ROLE QUE POURRAIENT JOUER LES BARREAUX CANADIENS A CET EGARD A. Responsabilite et competence professionnelles B. Competence culturelle V. CONCLUSION I. INTRODUCTION

Au Canada, en raison notamment des liens etroits et delicats qui existent entre les communautes linguistiques, le parcours de certaines institutions est souvent sinueux et imprevisible. C'est le cas du barreau quebecois. Comparativement au parcours des autres barreaux canadiens, notamment celui du Barreau du Haut-Canada, le Barreau du Quebec a correu a plusieurs egards un parcours hors du commun : nous verrons qu'il a ete faconne en grande partie par tes relations entre les communantes d'expression francaise et anglaise et qu'il est assujetti a une reglementation plus severe que celle qui regit les barreaux des autres provinces. A la lumiere de l'evolution particuliere de ce barreau, cet article tentera de tirer certaines lecons qui pourraient servir a l'ensemble des barreaux canadiens.

Il s'agit d'un sujet inedit. Bien qu'il ne soit pas possible dans le cadre d'un article d'une quarantaine de pages de faire une etude exhaustive, il est possible de proposer despistes de reflexion. Puisque les barreaux canadiens travaillent de plus en plus de concert, notamment en ce qui a trait a la libre circulation de la profession juridique, a la mise en oeuvre d'tm code type de deontologie professiormelle et l'adoption de normes d'admission nationale aux barreaux (1), ils devraient egalement travailler ensemble lorsqu'il est question d'un element aussi incontournable au Canada que celui de la langue.

Voila la these du present article, lequel comporte trois parfies : une esquisse de l'evolution historique du Barreau du Quebec permettant de comprendre notamment les elements linguistiques qui l'ont faconne; une description de sa gouvernance actuelle et du statut de l'anglais en son sein; enfm, despistes de reflexion concernant l'importance des deux langues officielles dans le contexte juridique et le role que pourraient jouer les barreaux canadiens a cet egard. Dans les trois parfies, des comparaisons seront etablies au besoin avec le Barreau du HautCanada, le plus important des barreaux canadiens.

  1. ESQUISSE DE L'EVOLUTION HISTORIQUE DU BARREAU QUEBECOIS (2)

    Au debut de la colonisation, les avocats sont une denree rare dans le territoire qui est le Quebec d'aujourd'hui. Les tribunaux seigneuriaux et la Senechaussee de Quebec (a partir de 1651) dispensent la justice. On pourrait etre porte a croire que les avocats n'ont pas la cote car dans un proces-verbal accompagnant une ordonnance de Louis XIV de 1678, il est ecrit qu'il ne se trouve pas > (3). Cette observation ne reflete pas un dedain de la profession, elle a plutot trait > (4). Il faut egalement bien comprendre que la population de la Nouvelle-France n'est pas tres dense (5) et qu'il n'y a donc pas un grand besoin de services juridiques malgre les crimes et les querelles inevitables dans toute societe humaine. Se trouvent neanmoins en Nouvelle-France des personnes ayant recu une formation juridique. Par exemple, un edit de 1693 nomme non seulement un juge royal pour Montreal, mais aussi un procureur >, un greffier, quatre huissiers, quatre notaires royaux et quatre procureurs postulants (6).

    A la suite de la capitulation du 8 septembre 1760, la colonie change de nom. Elle s'appelle alors Province of Quebec. Il n'existe toujours pas de barreau organise, bien qu'il y ait des personnes ayant suffisamment de connaissances juridiques pour agir en tant qu'avocats. La periode de 14 ans entre la capitulation et l'Acte de Quebec en 1774 en est une de'grande incertitude. La forme que prend le systeme juridique, la lacou dont est aclministree la justice, ainsi que le role que peuvent jouer les Canadiens, c'est-a-clire les habitants francophones et catholiques, font l'objet de tiraillements, de debats et de petitions. Deux etapes importantes sont cependant franchies pendant cette periode. Premierement, le 17 septembre 1764, la Cour du Banc du Roi (une cour superieure ayant competence eu matieres civile et criminelle) et la Cour des plaids communs (une cour de juridiction inferieure ayant competence en mafiere civile seulement) sont creees, et les autorites accordent aux avocats et procureurs canadiens le droit de comparaitre devant cette dermere (7). Deuxlemement, le 1er juillet 1766, les autorites acceptent que les Canadiens puissent comparaire comme avocats ou procureurs devant la Cour du Banc du Roi (8). Surveyer decrit la problemauque :

    The first lawyers to be admitted to the Bar under the English regime were Henry Kneller and William Conygnham, both of Montreal, who obtained their commissions together on the 23rd of March 1765. During that same year seven other names were placed on the list, namely, John Burke, John Morrison, Nathaniel Minor, Thomas Hall, Thomas Weems, Samuel Nelson and Edward Antill. These were all Englishmen, the restrictions placed on the Canadians being the explanation for no French names appearing until June and July, 1766, when Jean-Baptiste Lebrun, Guillaume Guillimin, Joseph-Antoine Olry and Antolhe Saillant, all of Quebec, were admitted to practice. A few Frenchmen, however, availed themselves ofthe meagre privilege accorded them in connection with the Court of Cominou Pleas, and on January 29, 1765, Lemaitre-Lamorille, Saillant, Lebrun and Guillemin were admitted as advocates and proctors before that court at its session in Quebec (9). A l'epoque, pour devenir avocat, il suffit que le gouverneur emette une commission. La delivrance du document est avant tout une affaire de favoritisme. La formation, le merite et la competence comptent pour peu. D'ailleurs, pour des raisons economiques, il arrive souvent que les individus cumulent les fonctions d'avocat, de notaire, voire d'arpenteur.

    L'Acte de Quebec de 1774 (10) marque la fin de cette periode d'incertitude. Afin d'eviter que les Canadiens ne se rangent derriere les colonies americaines, lesquelles se dirigent resolument vers l'independance, les autorites britanniques doivent faire des concessions. En outre, dans la province de Quebec (qui englobe alors, pour l'essentiel, les provinces actuelles du Quebec et de l'Ontario) (11), les autorites permettent l'utilisation des lois civiles francaises (12). Cette reconnaissance n'empeche cependant pas qu'une demande soit deposee aupres de la Cour du Banc du Roi en 1812 ela vue de faire rejeter une action au motif que le bref d'assignation est redige en francais! Le juge refuse cependant d'acceder a la demande et consigne dans ses notes les motifs suivants :

    The French language has been used by His Majesty in his communications to His subjects in this province, as well in his executive as in his legislative capacity, and been recognized as the legal means of communication of His canadian subjects. Courts of Justice have at all times used this language in their writs and processes as in their other proceedings, as well before as since the Ordinance of 1785. It is for the benefit of the subject that this was done, and the defendant cannot be permitted to say that he will not be sued in the language of his country (13). Il reste cependant plusieurs etapes a franchir avant la creation d'un veritable barreau. Une premiere association embryonnaire, la Communaute des avocats, prend naissance dans la ville de Quebec en 1779. Dans son ouvrage sur l'histoire du Barreau de Montreal, Rinfret se prononce ainsi :

    C'est...

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