Table ronde sur le Parlement et le processus de nomination des juges.

AuthorMarceau, Richard
PositionExcerpt

Le 6 mai 2003, Richard Marceau a déposé une motion d'initiative parlementaire visant à autoriser le Comité permanent de la justice et des droits de la personne à étudier le processus de nomination des juges aux cours d'appel et à la Cour suprême du Canada. Les interventions qui suivent sont extraites du débat sur cette motion.

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Richard Marceau : Il existe un vieux principe en droit anglais, en common law, qui précise que non seulement doit-il y avoir justice, mais il doit aussi y avoir apparence de justice. Ce slogan, ce principe est à la base même de notre système judiciaire, de manière à maintenir le plus élevé possible le sentiment de confiance de la population face à l'appareil judiciaire et à la magistrature. Or, le processus actuel de nomination à la magistrature entre en conflit direct avec ce principe, et l'apparence de justice s'en trouve ainsi diminuée.

Les exemples appuyant cette affirmation sont nombreux. Au cours de l'été dernier, le premier ministre a procédé à la nomination du juge Michel Robert, qui était à la Cour d'appel du Québec depuis 1995, au poste de juge en chef du Québec. C'est un poste fort important dans le système judiciaire du Québec.

De même, le ministre de la Justice et procureur général a annoncé, le 8 août dernier, la nomination à la Cour suprême du Canada de la juge de la Cour d'appel du Québec, Marie Deschamps.

Ces deux personnalités sont certes précédécs d'une réputation enviable dans le domaine du droit, ce qui justifie ainsi sûrement leur nomination à des fonctions aussi importantes. Cependant --et c'est ici qu'apparaît la faiblesse liée à l'apparence de justice--, il est raisonnable de s'interroger, en tant qu'élus --et la population en général ne s'en prive pas-- sur leur nomination en se basant sur leur engagement envers le Parti libéral du Canada ou les liens qu'il ou elle peut entretenir avec ce dernier.

Ces deux exemples tendent à démontrer ou, du moins, évoquer une nette impression de politisation des tribunaux. Dans la société dans laquelle on vit aujourd'hui, cette politisation ou cette apparence de politisation, ne serait-ce que ce doute de politisation, est très dangereuse pour le respect que doit avoir la population en général envers les tribunaux et la magistrature.

Si l'on considère l'importance du rôle des tribunaux aujourd'hui, notamment en raison de leurs fonctions accrues, ne serait-ce que par le recours à la Charte canadienne des droits et libertés ou encore pour leur implication dans la progression de certains débats sociaux comme le mariage entre conjoints de même sexe, les revendications autochtones, la décriminalisation de la marijuana, il nous faut à tout prix éviter d'apparenter le judiciaire au politique.

D'autant plus que les juges, des gens qui sont non élus, prennent des décisions qui ont un impact de plus en plus important dans la formation de la politique publique au Canada et vont quelquefois outrepasser les désirs que pourrait avoir formulés le Parlement.

Il s'agit là d'un argument de taille qui milite en faveur d'une révision et d'une démocratisation du processus de nomination des juges que, malheureusement, certains décrieront à coup sûr. Mais il nous faut résister et il faut engager ce débat. Il y a fort à parier que la population endossera notre position, à savoir qu'il faille étudier tout cet enjeu.

J'en appelle solennellement à mes collègues en face. Qu'ils gardent les yeux et les oreilles ouverts et surtout qu'ils ne se fassent pas une idée trop rapide. J'espère que le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, avec qui j'ai eu la chance de travailler au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, ne prendra pas une position dogmatique et qu'il acceptera qu'on étudie sérieusement, comme on l'a d'ailleurs fait dans le débat des conjoints de même sexe, un enjeu aussi important pour le Canada.

Je souhaite lui rappeler et rappeler à l'ensemble de mes collègues du Parti libéral qu'au moment oø il s'adressait aux étudiants du prestigieux Osgoode Hall de l'Université de Toronto, le 21 octobre dernier, M. Martin soutenait, et je cite :

 la procédure entourant les nominations faites par le gouvernement doit faire l'objet d'une réforme. Les pouvoirs absolus de nomination dont jouit un premier ministre sont trop étendus [...] De tels pouvoirs doivent être assujettis à un examen raisonnable et transparent de la part du Parlement [...]

La décision devrait continuer d'appartenir en fin de compte au

gouvernement, de manière à éviter que le processus ne s'étemise. Néanmoins, il faudrait que les qualifications des candidats puissent être examinées par le comité permanent ayant compétence avant que les nominations soient confirmées.

À l'époque, il parlait des hauts fonctionnaires; il parlait des ambassadeurs. Aucun de ces hauts postes auxquels il voulait soumettre les personnes nommées à l'étude des parlementaires, aucun de ces ambassadeurs ou de ces hauts fonctionnaires n'auront l'impact sur nos politiques publiques que pourront avoir les juges aux cours d'appel ou à la Cour suprême du Canada.

On pourrait élaborer longuement sur le processus actuel de nomination des juges des cours supérieures de chaque province et de chaque territoire, de la Cour fédérale du Canada, de la Cour canadienne de l'impôt, puisqu'il existe, justement, un cadre d'évaluation précis à remplir, à respecter.

Tout le processus est laissé à la discrétion du premier ministre, qui reçoit seulement l'avis du ministre de la Justice. Il est bizarre de noter que les nominations aux postes inférieurs de la magistrature sont plus encadrées que celles à ces niveaux plus élevés que représentent les cours d'appel et la Cour suprême.

Il s'agit d'une question de fond qui est d'une importance capitale pour le vieux principe de common law que j'énonçais en introduction concernant la justice et l'apparence de justice. Il nous appartient à nous, parlementaires, de favoriser la confiance du public dans nos institutions, et notre système judiciaire n'échappe pas à cette mission.

Nous pouvons citer certains articles de journaux qui sont parus et qui représentent bien l'impression qu'a la population du processus actuel. Dans le journal La Presse daté du 28 juin 2002, un article de M. Boisvert dit, commentant la nomination de Michel Robert et donnant comme titre à son article : >.

La Gazette, le 29 juin, faisait un éditorial intitulé : >. Je demanderais à mes collègues de lire ces articles. Il y a aussi le National Post qui demandait, dans un article du 2 juillet : >. Enfin, le London Free Press demandait aux parlementaires : >.

On peut voir avec ces différentes politiques éditoriales que la population est inquiète, qu'elle veut avoir un processus plus transparent, un processus qui assurerait les Québécois, les Québécoises, les Canadiens et les Canadiennes que les personnes nommées aux postes de juges à la Cour d'appel ou à la Cour suprême ne sont pas nommés juges à cause de leurs liens avec le parti politique au pouvoir.

Je lance un appel à tous les députés de cette chambre et, en particulier, aux députés du parti ministériel, de permettre aux parlementaires de se pencher sur cette question, de ne pas prendre position tout de suite. Laissez-nous étudier cette question. Donnez-nous la possibilité, à nous parlementaires, de revoir le processus pour faire en sorte que les juges ne soient pas considérés comme politiques et qu'ils aient la possibilité de se pencher sur leur nomination.

Paul Macklin (Parti libéral) : On ne saurait exagérer l'importance d'un pouvoir judiciaire fort dans la société canadienne. Il est de plus en plus reconnu que la stabilité, la sûreté de la personne et la primauté du droit sont essentielles à une société économiquement viable qui protège les droits de la personne. En tant que gardiens de la primauté du droit, les juges constituent un important pilier de notre ordre social.

La nécessité d'une étude plus poussée du processus de nomination des juges désignés par le gouvernement fédéral n'a pas été démontrée. Ce processus est bien connu et a fort bien servi l'intérêt public au Canada. Je voudrais saisir l'occasion pour...

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