Table ronde sur une union monetaire nord-americaine.

Le 25 mars 1999, le comite du Senat sur les banques et le commerce a invite cinq economistes a exposer leur point de vue sur l'eventualite d'une union monetaire nord-americaine. Herb Grubel, ancien depute, est professeur du Departement d'economie de l'Universite Simon Fraser. Thomas Courchene est professeur du Departement d'economie de l'Universite Queen's. John W. Crow est consultant en economie et ex-gouverneur de la Banque du Canada. Jack Carr est professeur du Departement d'economie de l'Universite de Toronto et Bernard Wolf est professeur d'economie de la Schulich School of Business de l'Universite York.

Herb Grubel: Imaginez que, le 1erjanvier 2000, l'ensemble des prix, des salaires et des bilans du Canada, des Etats-Unis et du Mexique soient libelles dans une nouvelle monnaie, que l'on pourrait appeler l'>. Le dollar des Etats-Unis etant l'equivalent de l'amero, le dollar canadien vaudrait 0,5 amero. Le taux de conversion effectif serait choisi de maniere a ce que la competitivite du Canada au plan international reste la meme.

Apres cette conversion, le niveau de vie et la richesse du Canada resteraient absolument les memes. Votre revenu, en chiffres absolus, au lieu d'etre de 100 000 $ par an, serait de 50 000 ameros. Cependant, l'automobile que vous allez acheter, une BMW flambant neuve qui coutait jusqu'alors 100 000 $, ne vous coutera plus que 50 000 ameros. Par consequent, vous allez vous apercevoir que votre niveau de vie n'a pas change. Par contre, il est indeniable qu'il en resultera un certain nombre d'avantages economiques a long terme.

Tout d'abord, les couts des transactions de change avec les devises etrangeres diminueront. La commission Delors a estime que cela pouvait s'elever a 0,5 p. 100 du revenu national dans certains pays europeens, toutes ces economies etant acquises a perpetuite. On a estime qu'environ 85 p. 100 des operations faites en Europe par les banques sur les devises disparaitront.

En second lieu, les taux d'interet canadiens pourraient alors jusqu'a baisser d'un point du fait de la suppression des risques sur devise pour les investisseurs. Cette baisse des taux d'interet va entrainer une diminution du service de la dette pour l'ensemble des gouvernements et des emprunteurs prives. Pour le seul gouvernement federal, les economies se monteraient a 6 milliards de dollars par an compte tenu du montant actuel de sa dette.

Troisiemement, la suppression du risque de change est l'equivalent d'un abaissement du cout des flux internationaux de capitaux et d'echanges. Cela revient a supprimer un droit de douane. Dans le cadre de l'accord de libre-echange, cet effet a ete evalue a quelques pour cent du revenu national. Nous pouvons donc nous attendre a un effet similaire ici d'un point de vue dynamique, du fait de la suppression du risque lie aux devises.

Quatriemement, la discipline du marche de la main-d'oeuvre serait renforcee, les responsables syndicaux et les dirigeants d'entreprise ne pouvant plus compter sur une devaluation de la monnaie pour maintenir la competitivite des entreprises qui ont laisse deriver les couts reels de la main-d'oeuvre. Les syndicats, dans des pays comme l'Italie de l'apres-guerre, avaient l'habitude d'exiger des augmentations salariales meme sans accroissement correspondant de la productivite. Les directions cedaient a ces pressions, meme si les salaires plus eleves rendaient leurs entreprises moins concurrentielles et menacaient de causer des recessions. Elles le faisaient, sachant que la Banque centrale d'Italie sauverait la mise en laissant filer le taux de change. Je pense que c'est un peu ce que nous avons fait au Canada, au moins jusqu'au debut des annees 90.

Le cinquieme avantage viendrait du fait que les ajustements economiques devant resulter de la baisse seculaire du prix des matieres premieres sur les marches mondiaux interviendraient a un rythme plus normal, la depreciation de notre monnaie ne protegeant plus les producteurs nationaux contre la realite d'une baisse des prix mondiaux. Le systeme actuel revient a eriger une protection chaque fois qu'il y a une depreciation ou une chute des prix mondiaux. A l'instar de toutes les protections, elle empeche ou, du moins, ralentit l'adoption des ajustements rendus necessaires dans ces secteurs.

Le sixieme avantage porte sur le fait que la stabilite des prix lors d'une periode caracterisee par une tendance inflationniste serait plus grande etant donne que les chocs positifs et negatifs sur les prix a l'interieur d'une zone monetaire plus vaste auraient plus de chances de se compenser qu'a l'echelle du Canada. Si la moisson est mauvaise, il se peut que la recolte d'oranges soit bonne, et vice versa. Par consequent, si les prix sont bas en Floride et s'ils sont eleves dans les regions canadiennes qui cultivent le ble, les deux choses finiront par se compenser et le niveau global des prix, mesure par l'Indice des prix a la consommation, sera plus stable. Plus les prix sont stables, plus l'efficacite economique est grande.

Le septieme avantage resulte du fait que les aventures monetaires inspirees par les ideologies ou les politiciens ne seront plus possibles au Canada. La situation des annees 70 a ete causee par une expansion monetaire excessive dans tous les pays industriels et en developpement, parce que les politiciens et les decideurs se sont sentis finalement liberes du carcan des taux de change fixes et se sont dit: > Lorsque cela s'est produit, les reserves de ressources naturelles, qui, historiquement, avaient toujours suffi a repondre a la demande des 15 annees suivantes, le faisaient pour des periodes de plus en plus courtes.

Jumeles a des taux d'inflation mondiale plus eleves, ces evenements susciterent le durcissement de la politique monetaire de nombreux pays, dont le Canada. Beaucoup se souviennent encore des taux d'interet de pres de 20 p. 100 et du chaos qu'ils engendrerent dans leur vie et celle de leurs amis et voisins. Apres la fin de l'inflation, les conditions economiques revinrent a la normale, mais le du cycle inflation-deflation entraina d'enormes couts socioeconomiques qui auraient pu etre evites si la fixite des taux de change avait ete maintenue et avait empeche l'aventure monetaire. Grace a l'union monetaire proposee, de telles aventures ne pourraient se produire.

Le huitieme avantage pour le Canada, ce serait de pouvoir exercer une plus grande influence sur la politique monetaire dans la zone de l'amero. Nous aurions des representants au sein du comite etablissant les politiques monetaires a la Banque centrale nord-americaine. Nous n'y aurions que quelques voix, mais nous pourrions des alliances avec des representants americains de regions ayant les memes caracteristiques economiques que le Canada.

Le neuvieme avantage provient du fait que le seigneuriage tire du droit de frappe de la monnaie resterait au Canada, car nous produirions dans nos etablissements existants les billets et les pieces qui seraient utilises ici. La perte du seigneuriage, qui se chiffrait a deux milliards de dollars au Canada en 1997, constitue l'un des gros inconvenients de la solution panameenne, qui consiste a employer purement et simplement la devise des Etats-Unis.

Le dixieme et dernier avantage que je tiens a souligner est le fait que la creation de l'amero va vraisemblablement obliger les gouvernements a restreindre leurs deficits, ce qui a ete largement le cas au sein de l'Union monetaire europeenne. Cette obligation rendrait service a l'economie canadienne et aux generations futures.

Les couts correspondant a ces avantages sont les suivants: tout d'abord, notre souverainete economique serait reduite parce que nous ne serions plus en mesure d'adapter nos politiques monetaires et financieres ainsi que nos taux de change aux besoins propres du Canada. Je ne veux pas mesestimer la force des arguments de ceux qui disent que ce cout sera eleve. Les enjeux sont complexes. Laissez-moi cependant resumer brievement ma position en ces termes: les preoccupations liees a la souverainete economique sont apparues a la suite de la theorie economique keynesienne. Elles ont mene a l'adoption du regime des taux de change flexibles au cours des annees 70. La souverainete economique ainsi obtenue, contrairement a ce qu'on attendait, n'a pas mene a une baisse du chomage et a meilleure croissance economique. Au contraire, elle a entraine une degradation de ces indicateurs de rendement economiques au Canada et ailleurs. La theorie keynesienne, de ce point de vue, est deconsideree. Il n'est plus question de reajuster les parametres economiques dans leurs moindres details. Je pense que c'est pour ces raisons que les gouvernements europeens ont convenu de former une union monetaire.

Le deuxieme inconvenient est celui de la perte de souverainete culturelle et politique. La encore, je ne veux pas sous-estimer les arguments de ceux qui se preoccupent a ce sujet. Il n'en est pas moins vrai que la souverainete canadienne dans ces domaines resterait la meme, comme ce fut le cas a la suite de tous les accords de libre-echange signes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Je vais terminer mes brefs commentaires par quelques reflexions sur la faisabilite politique d'une union monetaire nord-americaine. Les sentiments sont partages, du moins au Canada et au Mexique. J'ai constate qu'une proportion etonnamment importante de Canadiens appuient une telle initiative. J'ai entendu parler d'une hausse de l'appui au concept au Mexique. Les Americains n'ont pas vraiment porte attention a la question, mais ils suivent avec grand interet l'evolution de l'euro. Je m'attends toutefois a un accroissement de l'acceptation politique de l'union monetaire si nous parvenons a avoir une discussion publique approfondie du projet et de ses merites.

Thomas J. Courchene: L'avenement de l'euro en janvier 1999 est un evenement dans les annales de l'histoire economique et monetaire. A un certain niveau, l'euro temoigne de la...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT